Zones sous-dotées : pourquoi les sénateurs veulent contraindre l'installation des médecins ?
- Jean-Bernard Gervais
- Nathalie Barrès
- Actualités Médicales par Medscape
Les sénateurs ont adopté dans le cadre de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale 2022 un amendement qui oblige les jeunes médecins à exercer dans une zone sous-dotée pendant six mois avant d'obtenir leur conventionnement. De quoi faire hurler les syndicats d'étudiants en médecine et de jeunes médecins. Pourtant la loi de juillet 2019 stipulait déjà que les étudiants de médecine générale devaient réaliser au cours de la dernière année du troisième cycle de médecine un stage d'un semestre en pratique ambulatoire dans une zone sous-dotée…mais le décret n’a jamais été publié.
6 mois dans un désert médical avant conventionnement
L'amendement 1063, proposé par la sénatrice Corinne Humbert, contraint les médecins à exercer pendant six mois dans une zone sous-dotée, pour prétendre ensuite bénéficier d'un conventionnement. Plus exactement, « un médecin ne peut être conventionné qu’à la condition d’avoir préalablement exercé en qualité de médecin salarié d’un médecin libéral ou en qualité de médecin remplaçant pendant une durée totale d’au moins six mois dans les zones » sous-dotées. Cet amendement, adopté par le Sénat après l'article 41 du PLFSS 2022, ne sera pas appliqué avant le 1er novembre 2022, si toutefois l'Assemblée nationale ne l'a pas retoqué, lors de l'examen du PLFSS 2022 le 22 novembre. « Cette mesure devrait inciter très largement les médecins nouvellement diplômés ainsi que les étudiants achevant leurs études de médecine à réaliser des remplacements ou à effectuer un exercice salarié en cabinet libéral dans des zones caractérisées par une offre de soins insuffisante ou par des difficultés dans l'accès aux soins », ont expliqué les sénateurs.
Unanimité des internes, externes et jeunes médecins contre
La réaction des jeunes médecins et étudiants en médecine n’a pas tardé. Ils ont exprimé, dans un communiqué commun en date du 13 novembre, tout le mal qu'ils pensaient de cette mesure : « l’Association Nationale des Etudiants en Médecine de France (ANEMF), l’InterSyndicale Nationale Autonome Représentative des Internes de Médecine Générale (ISNAR-IMG), l’InterSyndicale Nationale des Internes (ISNI) et le Regroupement Autonome des Généralistes Jeunes Installés et Remplaçants (RéAGJIR) s’opposent fermement à cette mesure, prise sans concertation avec les jeunes et futurs médecins, sans distinction de spécialité. » Avant d'ajouter : « Le conventionnement sélectif s'inscrit dans la droite lignée des politiques hors sol menées depuis plusieurs décennies pour lutter contre les déserts médicaux. Contraindre les jeunes médecins à exercer dans un territoire pendant six mois n’est qu’une réponse palliative à des problématiques complexes négligées par les pouvoirs publics, et dénote une profonde méconnaissance des difficultés des jeunes professionnels. »
Consensus, côté Sénat, sur la mesure
Côté Sénat, la mesure a fait la quasi-unanimité, et a notamment été saluée par le sénateur socialiste Bernard Jomier par ailleurs médecin généraliste. « Nous sommes d’accord pour soutenir l’amendement de Mme la rapporteure », a-t-il notamment déclaré en séance publique.
D'autres amendements concernant l'installation des médecins, plus coercitifs, ont toutefois été rejetés comme les amendements n° 989, 801 rectifié, 835 rectifié bis, 27 rectifié bis et 570 rectifié visant à conditionner le conventionnement d’un médecin libéral dans les zones surdotées en professionnels de santé au départ d’un autre médecin. Aux termes de l’amendement n° 592 rectifié, « ce serait seulement un mécanisme subsidiaire », a précisé la rapporteur Corinne Imbert. D'autres amendements souhaitaient, quant à eux, moduler les modalités de conventionnement selon les territoires de santé.
Rejet d’autres amendements
Pour justifier du rejet de ses amendements, la rapporteure Corinne Imbert a fait valoir le fait qu'« introduire un mécanisme « une arrivée pour un départ » dans les zones surdotées reviendrait de manière trop coercitive sur la liberté d’installation des médecins, sans que l’efficacité de cette mesure pour lutter contre les déserts médicaux soit certaine, car un médecin s’étant vu refuser son conventionnement en zone surdense n’irait pas nécessairement s’installer là où sa présence est la plus nécessaire ». D'autres amendements, qui obligeaient les médecins à exercer un jour par semaine en zone sous-dotée pendant cinq ans, ont été jugés irréalistes.
Décret non publié de la loi du 24 juillet 2019
En revanche l'amendement 1063, comme l'a rappelé Corinne Imbert, remet au goût du jour une mesure déjà inscrite dans la loi du 24 juillet 2019 de transformation de notre système de santé et qui n'a jamais été appliquée, faute de publication du décret d'application : « Si j’ai déposé cet amendement, c’est aussi parce que ce que nous avions voté au sein de la loi de 2019 n’est pas appliqué, comme je l’ai signalé au début de nos discussions. Vous le savez, monsieur le secrétaire d’État : c’est un loupé, volontaire ou non, que de ne pas avoir publié le décret d’application de la mesure concernant les étudiants en dernière année d’internat de médecine générale ; si cela avait été fait, cette mesure s’appliquerait déjà, depuis le 1er novembre 2021 », a rappelé Corinne Imbert. L'article 2 de la loi du 2ème juillet 2019 stipulait en effet que « les étudiants de médecine générale réalisent au cours de la dernière année du troisième cycle de médecine au minimum un stage d'un semestre en pratique ambulatoire. Ce stage est réalisé, dans des lieux agréés, en priorité dans les zones mentionnées au 1° de l'article L. 1434-4 du code de la santé publique », soit en zone sous-dotée.
Décret publié au premier trimestre 2022
Lors de la discussion autour de l'amendement 1063, Adrien Taquet, secrétaire d'État, opposé à l'adoption de cet amendement, a assuré que le décret d'application de l'article 2 de la loi du 24 juillet 2019 serait bientôt publié : « Je veux enfin répondre à Mme la rapporteure au sujet du décret d’application de l’article 2 de la loi du 24 juillet 2019, dont nous avons effectivement eu de nombreuses occasions de discuter. On me dit que ce décret – en tout cas sa partie « professionnalisation », à laquelle vous tenez et que vous avez évoquée – est en cours de rédaction et qu’il devrait paraître au premier trimestre 2022. » Le sénateur Bernard Jomier a fait remarquer que le décret et l'amendement 1063 feraient doublon : « Si l’on adopte l’amendement de la commission et que le Gouvernement applique ce que nous avions voté il y a deux ans, il y aura aussi, malgré tout, un dispositif en trop. » Reste que l'amendement 1063, rejeté par le gouvernement, risque d'être supprimé lors de l'examen du PLFSS devant l'Assemblée nationale dès le 22 novembre prochain.
Cet article a initialement été publié sur le site internet Medscape.
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