WONCA 2023 - Comment gérer un patient agressif ou violent ?

  • Daniela Ovadia
  • Actualités Congrès
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Des gants de boxe, des protections pour la tête et un cercle de personnes autour des deux combattants. Il ne s'agit pas d'un défi sur un ring de boxe de banlieue, mais de la partie pratique d'un atelier sur la manière de se défendre contre des patients agressifs, organisé par le groupe d'intérêt en médecine d'urgence de WONCA Europe 2023, le congrès des médecins généralistes qui se tient du 7 au 10 juin à Bruxelles, en Belgique. La salle bondée atteste de l’intérêt que suscite le sujet.

 

"Les statistiques indiquent que les professionnels de la santé sont très exposés à la violence. Entre 8% et 38% d'entre eux, selon les enquêtes, subissent des violences physiques au cours de leur carrière. Beaucoup d'autres reçoivent des menaces verbales de la part de patients ou de proches de patients", explique Rocio Garcia-Gutierrez Gómez, médecin urgentiste à l'hôpital universitaire Severo Ochoa de Leganés, à Madrid (Espagne). "Une enquête que nous avons menée auprès de 247 personnes montre également que les femmes médecins comme les hommes considèrent le contact physique et l'intimidation verbale comme des formes d'agression, et que la majorité des personnes interrogées ont été agressées verbalement".

L'objectif de l'atelier est de sensibiliser les médecins aux facteurs qui génèrent de l'agressivité chez les patients, d'apprendre à décoder les signes avant-coureurs et, enfin, de se défendre physiquement si nécessaire.

"Le patient agressif est généralement mécontent au sujet de quelque chose, parfois de l’attente ou du résultat d'un traitement. Les personnes peuvent aussi être agressifs s'ils se rendent compte que le médecin se désintéresse d'eux. Il y a ensuite les patients impulsifs et hystériques, parfois pour des raisons culturelles. Enfin, les patients qui ont des relations sociales conflictuelles, des problèmes relationnels ou familiaux peuvent devenir harcelants", explique Elena Klusova Noguinà, médecin urgentiste à la Policlinico de Rosario, SAMU061, Ibiza (Espagne).

Le patient difficile

Comme dans toute relation, le patient difficile l'est en raison de ses caractéristiques intrinsèques, mais aussi de la personnalité du médecin. "Les médecins doivent être conscients de leurs propres préférences, mais aussi des situations contingentes qui peuvent réduire leur capacité d'écoute, comme l'épuisement professionnel ou les problèmes familiaux", poursuit Elena Klusova Noguinà. "À cela s'ajoutent des facteurs environnementaux susceptibles d'induire des comportements agressifs, tels que des environnements mal organisés, de longs temps d'attente sans ordre apparent, des interruptions fréquentes de la consultation ou une focalisation excessive sur la paperasserie plutôt que sur la relation et l'interaction avec le patient."

Gestion empathique et autoprotection

Dans les premières phases d'une agression, il est possible d'avoir recours à la gestion empathique, qui consiste à maintenir extérieurement un ton émotionnel neutre malgré ses réactions intérieures, à écouter immédiatement et avec empathie les besoins du patient, à abandonner d'autres tâches et à identifier la source de la colère. Un point essentiel est d'être clair sur l'objectif de l'interaction avec le patient agressif. "Dans toute négociation (et la gestion de l'agression est une véritable négociation), le succès dépend d'une définition claire des objectifs", poursuit l'expert. 

Ces recommandations sont utiles pour calmer le patient frustré, envers lequel vous pouvez encore ressentir de l'empathie (peut-être parce que vous reconnaissez les raisons de ses griefs). Il existe cependant des patients intimidants, envers lesquels aucun sentiment d'empathie n'émerge. "Dans ce cas, il faut immédiatement poser des limites : il faut leur dire que l'on ne va pas les écouter, que la situation est inacceptable. Il faut s'éloigner et l'inviter à revenir quand il sera plus calme", explique Elena Klusova Noguinà. 

Trois réactions sont à éviter à tout prix : relativiser ou déprécier le problème du patient ("vous n'êtes pas le seul, ce n'est pas si urgent") ; ignorer les sentiments du patient ("excusez-moi, mais j'ai beaucoup à faire") ; réprimander le patient pour les émotions négatives qu'il suscite chez le médecin ("arrêtez, vous me mettez mal à l'aise"). 

"Il s'agit d'une gestion empathique de sa sécurité personnelle basée sur l'écoute active, l'explication de sa position et du temps pour le patient : souvent, en laissant le patient s'exprimer, la colère disparaît d'elle-même".

Les signes de l'alarme

L'empathie n'implique pas de sous-estimer les signaux d'alarme, dont beaucoup découlent de la capacité à décoder le langage corporel. L'atelier s'est concentré sur le décodage des émotions primaires, en apprenant aux médecins présents à regarder attentivement les lèvres, le front et les yeux des personnes exprimant du dégoût, de la colère ou de la tristesse, les trois émotions qui peuvent conduire à l'agression. Il s'agit d'un exercice simple que l'on peut également faire sur soi-même, devant le miroir, en observant quels éléments du visage changent, et de quelle manière, lorsque l'on simule l'une de ces émotions. 

Le langage corporel est également un signe d'alerte important : les poings serrés, les mouvements rythmiques ou continus, la réduction de la distance interpersonnelle, le serrement des mâchoires et les changements soudains de posture doivent inciter le praticien à se mettre en sécurité, à s'éloigner ou à se rendre dans une zone où il y a d'autres personnes ou des possibilités d'appeler à l'aide.

Le langage corporel est également important pour le médecin : il est important d'être conscient de sa posture et de son expression faciale. "Sans s'en rendre compte, notre visage peut exprimer la peur ou le dégoût, ce qui provoque une réaction agressive. »

Si le patient s'approche trop près de l'espace péripersonnel, le premier geste à faire est d'étendre le bras pour exprimer la distance minimale à respecter, tout en parlant d'un ton sérieux mais conciliant.

Toutefois, si l'agression physique commence, il faut penser à se protéger, comme les médecins urgentistes espagnols l'enseignent à un public de collègues de plus en plus intéressés : les pommettes, les tempes et les carotides sont les points faibles qui, s'ils sont touchés, peuvent entraîner une perte de conscience. Face à un patient qui lève les mains, il faut ramener les deux bras croisés et les poings serrés à hauteur du visage, en protégeant le visage et le cou avec les avant-bras.

"Un dernier conseil important concerne la disposition des meubles dans le cabinet", conclut Elena Klusova Noguinà. « Le bureau du médecin doit être disposé de manière à permettre un accès rapide à la porte de sortie. Trop souvent, pour des raisons esthétiques, le bureau est placé loin de la porte, laissant à tout patient agressif la possibilité de bloquer l’issue de secours ».

Contention pharmacologique

En conclusion, les urgentistes espagnoles ont rappelé l'importance de la contention pharmacologique par l'utilisation d'un atomiseur nasal, outil pas toujours disponible en médecine générale, permettant d'administrer du midazolam (0,1-0,2 mg/Kg), de la kétamine (1 mg/Kg), de l'halopéridol (2,5 mg), du fentanyl 2 mcg/Kg ou du glucagon (2 mg). Il convient de rappeler que la contention pharmacologique ne peut être exercée qu'après avoir immobilisé physiquement le patient agressif, en répartissant la dose entre les deux narines à raison de 1cc de solution par narine.