Vers des comportements individuels vertueux pour la santé : pas de recette miracle

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Face aux défis actuels de la santé publique, l’accent est mis sur la modification des comportements individuels. Comme l’écrit dans le journal La Croix Christian Ben Lakhdar, économiste et spécialiste reconnu des addictions, il s’agit de les faire passer de « dangereux et risqués (pour eux ou pour des tiers) à vertueux ». C’est ce que cherchent à faire les politiques de santé publique en mobilisant quatre grands registres d’actions : répression, prévention, prise en charge sanitaire et réduction des risques. Mais pour cet auteur, « apparemment, il n’y a pas de règle d’or ». Afin d’illustrer ce constat, il prend trois exemples : la sécurité routière, le tabac et l’alcool.

Pas de règle d’or pour les politiques publiques

La lutte contre l’insécurité routière a été un succès, avec une baisse du nombre de morts sur les routes divisé par plus de 3 en 30 ans, en grande partie grâce aux radars, c’est-à-dire à « la peur du gendarme ».

Celle contre le tabagisme a été un « demi-succès » : le nombre de fumeurs a baissé, mais moins que dans d’autres pays ayant pourtant engagé des politiques similaires. Par exemple, « l’Australie a divisé par deux ses prévalences d’usage du tabac entre 1995 et 2021 (de 26,6% à 12,9%) tandis que la France les a vu passer de 32,9% en 1995 à 24% en 2019 et même 25,5 en 2020, soit une diminution de moins de 23%. »

La morbimortalité liée à l’alcool a diminué, parce que les Français(es) boivent environ 4 fois moins de vin qu’il y a soixante ans, alors que leur consommation de bière et de spiritueux n’a pas changé. Pour Christian Lakhdar, ces évolutions se sont faites « en l’absence de mobilisation d’outils forts de modification comportementale (par exemple, la taxation) ». En somme, elles sont bienvenues, mais difficiles à expliquer.

Pour lui, les politiques publiques se heurtent à quatre difficultés principales : « le temps long (de 30 à 60 ans) pour que des effets importants se fassent sentir », l’existence de possibilités de report ou de contournement (par exemple, acheter ses cigarettes à l’étranger ou au marché noir), la plus ou moins bonne acceptabilité des mesures (très faible par exemple, pour les limitations de vitesse) et le « paternalisme des politiques publiques », qui ne sont plus « au goût du jour » et dont le remplacement par le « marketing social » (qui utilise les techniques publicitaires) ne semble pas aussi efficace qu’espéré.

Un ensemble de mesures relativement efficace, bien qu’insuffisant

François Bourdillon, ancien directeur général de Santé publique France, et Bernard Basset, médecin de santé publique et président de l’association Addictions France, contestent ce qu’ils qualifient de « constat d’une forme d’impuissance des politiques publiques à modifier les comportements. »

Ils remarquent d’abord que si l’on tient compte de l’augmentation considérable du nombre de kilomètres automobiles parcourus depuis les années 60, le nombre de tués par milliard de kilomètres a été divisé par 17,6 entre 1960 et 2012. Cela ne tient pas à quelque mesure miracle, mais à « une conjonction de facteurs » : peur du gendarme, certes, mais aussi ceinture de sécurité, contrôle technique des véhicules, ralentisseurs et ronds points sur les voies routières, etc.

À la suite du rapport de la Cour des comptes de 2012 et de la mission d’expertise en Angleterre menée par l’INPES (Institut national de prévention et d'éducation pour la santé, aujourd’hui intégré à Santé publique France) en 2015, plusieurs mesures ont été mises en œuvre pour diminuer la consommation de tabac, dont l’augmentation de son prix, la création du paquet neutre, le mois sans tabac, l’admission au remboursement de droit commun de traitements de substitution nicotinique, la création d’un fonds tabac pour la recherche. Avec comme résultat une baisse de 4 points de prévalence entre 2016 et 2018, malheureusement stoppée par l’épidémie de Covid et les confinements.

Quant à l’alcool, si la baisse de consommation a surtout porté sur le vin, il n’y a là rien que de très logique, car c’était la boisson la plus consommée et celle responsable de la plus grande part de morbimortalité due à l’alcool. Les mesures ont été nombreuses depuis 1954, quand Pierre Mendès-France apparaissait avec un verre de lait dans les cérémonies officielles ! Les repères de consommation et la loi Evin ont joué un rôle essentiel. Il n’en reste pas moins que « la France reste l’un des pays européens où l’on boit le plus : 11,4 litres d’alcool pur par an et par personne de plus de 15 ans en 2019 », la plupart des recommandations, notamment celles de la Cour des comptes (2016) n’étant pas suivies d’effet.

En résumé, les auteurs regrettent « le manque d’enthousiasme des pouvoirs publics », mais il n’en demeure pas moins « un bruit de fond » loin d’être inefficace. Ils notent l’importance de l’engagement personnel de certains dirigeants politiques, malgré la « frilosité » de nombre d’entre eux, compensée par l’engagement constant des acteurs de santé publique. Pour les auteurs, « la palette des outils de santé publique mobilisables est importante », mais leur recours est forcément variable. En tout cas, il faut se garder « des comparaisons réductrices. »