Troubles psychiques sévères et cancer du sein : attention aux généralisations hâtives !

  • Serge Cannasse
  • Actualités Médicales
L'accès à l'intégralité du contenu de ce site est reservé uniquement aux professionnels de santé disposant d'un compte. L'accès à l'intégralité du contenu de ce site est reservé uniquement aux professionnels de santé disposant d'un compte.

Les parcours de soins complexes sont fréquemment associés à une perte de chance pour les patients. Cela est particulièrement vrai pour ceux vivant avec un trouble psychique sévère : leur espérance de vie est en moyenne inférieure de 15 ans pour les hommes et 16 ans pour les femmes par rapport à la population générale. Les causes de leur décès sont le plus souvent similaires à celles des autres patients. Plusieurs études ont montré les facteurs associés à cette perte de chance : moindre recours aux soins de prévention et de spécialités, plus grande fréquence des hospitalisations évitables, facteurs économiques et sociaux, parfois comportements stigmatisants des professionnels de santé. Mais aucun n’en rend pleinement compte. 

La recherche Canopée (« Cancers chez les personnes suivies pour un trouble psychique sévère : quelles difficultés dans les parcours de soins ? ») vise à préciser les facteurs de vulnérabilité des patients concernés. Dans ce cadre, un travail a été mené auprès de 1.581 femmes traitées pour un cancer du sein et vivant avec un trouble psychique sévère en 2013 et 2014, appariées chacune à trois témoins. Loin des explications généralisantes, ses résultats sont très nuancés.

Ils retrouvent d’abord des facteurs de vulnérabilité bien connus : précarité, isolement social, diagnostic au stade de cancer métastatique, comorbidités somatiques. Par rapport aux femmes témoins, les femmes concernées reçoivent un moins grand nombre d’examens diagnostiques et moins souvent la combinaison d’examens la plus recommandée pour leur situation. Leurs plaintes somatiques sont moins souvent prises en compte et fréquemment attribuées au trouble psychique ou à son traitement. Elles sont moins susceptibles de recevoir leur premier traitement dans les délais adéquats et d’avoir une biopsie avant le premier traitement. Elles subissent plus fréquemment des mastectomies totales et moins souvent des chirurgies conservatrices. Leur prise en charge est fréquemment uniquement chirurgicale et le recours à des combinaisons de traitements (chirurgie, radiothérapie, chimiothérapie, hormonothérapie) est moins fréquent.

Des craintes de professionnels plus ou moins fondées

Mais les auteures de ce travail n’en restent pas là. Elles montrent en effet que « la moindre intensité de leurs prises en charge pourrait s’expliquer en partie par des facteurs cliniques non mesurables dans les données mobilisées dans l’étude, tels que le grade du cancer, son sous-type histologique, la présence de certains biomarqueurs, etc. ». Elles relèvent que les indicateurs de qualité des soins sont moins bons qu’en population générale, mais qu’ils ne sont de toute façon pas optimum pour celle-ci, les contrastes les plus marqués avec les témoins portant sur la phase diagnostique et le suivi post-traitement, et moins nettement sur les traitements.

Elles ajoutent que « les professionnels pourraient minorer les conséquences d’une mastectomie totale pour cette population et l’enjeu de préserver un attribut associé à la féminité, au sein d’une balance “bénéfice-risque” où l’enjeu vital est mis au regard des difficultés perçues associées à d’autres modalités de prises en charge. Ainsi, le choix de stratégies thérapeutiques différentes peut être associé à certaines inquiétudes concernant la capacité des personnes vivant avec un trouble psychique à gérer de multiples rendez-vous médicaux ou à supporter des examens ou traitements pénibles ». D’autres recherches ont montré la réticence de médecins à proposer des traitements du fait de la crainte d’une mauvaise gestion des effets secondaires par leurs patientes. De plus, les professionnels sont fréquemment assez mal formés sur les troubles psychiques sévères, qu’ils ont tendance à associer à un surcroît de travail et dont ils généralisent les difficultés de prise en charge, telles que l’absence aux rendez-vous ou la difficulté de réaliser certains examens.

Une population hétérogène

Or, les situations sont contrastées. « Certaines personnes ont un trouble relativement stabilisé, et parfois sont aguerries dans l’organisation de leurs soins (prise de rendez-vous, gestion des traitements médicamenteux et des effets secondaires, relations aux professionnels) via leur expérience du soin en santé mentale. D’autres présentent des vulnérabilités cumulées (trouble psychique plus actif, précarité, isolement...) et rencontrent souvent davantage d’obstacles dans leur parcours de soins, lequel nécessiterait des adaptations. » Si l’évaluation de ces situations par les soignants n’est pas toujours exempte de préjugés, avec des formes de stigmatisation discrètes mais persistantes, les auteures de l’étude notent aussi que des patientes peuvent vivre la prise en charge de leur cancer comme une « déstigmatisation », la maladie devenant objectivée et légitime, avec des soignants qui ne sont pas uniquement préoccupés de leurs troubles psychiques. Enfin, les problèmes de prise en charge sont souvent générés par des manques de communication entre professionnels, oncologues et psychiatres, que la responsabilité en incombe aux uns ou aux autres.

En conclusion, les auteures invitent à ne pas homogénéiser le groupe des patientes atteintes de cancer et de troubles psychiques sévères et à travailler sur l’adaptation de l’organisation des soins et non uniquement sur la prise en charge des facteurs individuels.