Spécialisation des médecins et polypathologies des patients
- Serge Cannasse
- Actualités Médicales
D’après une étude écossaise, la proportion de patients ayant au moins deux pathologies associées s’élève à environ 50% à l’âge de 60 ans et à 80% à l’âge de 80 ans. À cet âge, seuls 10% des patients n’ont aucune maladie, alors que 40% d’entre eux en ont au moins quatre et 15% au moins six. Aux États-Unis, du seul point de vue économique, les patients ayant au moins deux affections représentent les trois quarts des coûts du système de soins américain et 93 % des dépenses de Medicare, le régime santé des personnes âgées. Les données manquent pour la France, mais elles sont vraisemblablement comparables.
Pourtant, remarque le Dr Richard Smith, ancien rédacteur en chef du British Medical Journal, tout le système de soins repose sur un modèle donnant la primauté à la prise en charge d’une maladie et d’une seule, depuis la formation des futurs médecins jusqu’à l’organisation des soins, en passant par la structure des essais cliniques. Les médecins eux-mêmes abondent dans ce sens : la médecine générale est de moins en moins choisie par les étudiants et les autres poussent la spécialisation jusqu’à l’expertise dans un sous-domaine du domaine. Richard Smith donne deux exemples personnels. Un moment rédacteur en chef du British Journal of Ophtalmology, sa surprise fut grande de constater que le journal avait un rédacteur spécialisé dans chaque tunique de l’œil ! Et quand il a demandé à un orthopédiste pourquoi il ne lisait jamais le BMJ, la réponse a été on ne peut plus claire : « Aucun intérêt, je suis spécialisé dans l’épaule, le reste ne m’intéresse pas. »
La raison la plus communément avancée pour justifier cette hyperspécialisation est qu’elle deviendrait obligatoire du fait de l’étendue des connaissances, sans cesse croissante. À cela, Richard Smith oppose un argument simple : si c’est le problème, alors laissons faire les machines ! Elles sont bien meilleures que nous pour retenir et gérer les informations. Un autre argument souligne la difficulté qu’ont les spécialistes à être pointus partout, d’où leur tendance à envoyer leurs patients voir un collègue dont le domaine de compétence couvre le problème associé du patient. C’est une solution, mais elle multiplie les consultations, avec un désagrément certain pour le patient, un coût énorme pour le système de soins et une prise en charge morcelée.
Richard Smith le constate, beaucoup de médecins sont conscients du problème, depuis longtemps. Mais les choses ne bougent pas et les sociétés savantes ne s’attaquent quasiment pas à ce sujet. En attendant un sursaut, l'éditorialiste ne peut que regretter que ce constat se traduise probablement par l'accroissement de plus en plus fréquent du burn-out chez les généralistes...
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