SFR 2022 – Une place limitée et bien encadrée pour les antalgiques opioïdes en rhumatologie

  • Caroline Guignot
  • Actualités Congrès
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La place des antalgiques opioïdes reste une question d’actualité, étant donné le mésusage croissant qui accompagne cette classe thérapeutique. Anne-Priscille Trouvin (médecin de la douleur, Paris), qui a participé à la rédaction des recommandations sur le bon usage des médicaments opioïdes à visée antalgique de la HAS, parues en mars 2022*, en a rappelé les grands principes.

Comment favoriser le bon usage ?

La spécialiste a insisté sur l’idée d’abolir la notion de paliers antalgiques (2 ou 3, opioïdes faibles ou forts) : instaurée historiquement par l’OMS pour la prise en charge des douleurs liées au cancer, elle a conduit à des digressions et l’idée trop fréquente que « le tramadol ou la codéine sont à moindre risque alors qu’ils ont les mêmes capacités à induire des effets indésirables ».

Aussi, les objectifs de prise en charge doivent être définis avec le patient, dans le cadre d’une décision médicale partagée : il faut déterminer avec lui la quantité minimale nécessaire pour atteindre des niveaux de douleur tolérables et des niveaux significatifs d’amélioration fonctionnelle. L’information du patient est importante, que ce soit sur la notion d’horaire et de durée de prise ou sur les signes d’effets indésirables auxquels il doit être sensibilisé. Il doit comprendre l’importance de la réduction de la dose et/ou de la fréquence des prises à mesure de l’amélioration clinique, comprendre que ces médicaments ne doivent pas faire l’objet d’une automédication antalgique...

Les échanges entre acteurs de soins sont également indispensables pour que chacun connaisse les motifs et objectifs associés à la prescription d’antalgiques par un autre praticien et sache en conséquence quelle conduite adopter par rapport à elle.

Une prescription d’antalgique opioïde dot être précédée d’une évaluation des facteurs de risque de troubles de l’usage (prescrire un kit de naloxone si justifié) et après avoir identifié d’autres coprescriptions dont l’association est à risque (benzodiazépines, gabapentinoïdes, paracétamol).

Recommandations dans les douleurs aiguës rhumatologiques

La littérature consacrée aux douleurs aiguës en rhumatologie reste relativement peu fournie, et les principales études se sont penchées sur la lombalgie. Elle suggère notamment que les AINS ou le paracétamol ont un meilleur rapport bénéfice-risque que les opioïdes sur les douleurs aiguës traumatiques. Aussi, les recommandations préconisent un usage des antalgiques opioïdes réservé aux douleurs aiguës et sévères (cotées ≥6/10) dans le cadre d’une prise en charge multimodale (à savoir médicamenteuse ou non médicamenteuse). Cependant, même les douleurs sévères associées à la lombalgie aiguë et aux traumatismes simples du rachis et distaux des membres ne doivent pas relever d’un traitement antalgique opioïdes en première intention en raison de leur balance bénéfices/risques défavorable.

En ambulatoire, il est recommandé de prescrire une forme à libération immédiate à la dose minimale efficace pour une durée la plus courte possible (14 jours max), en prévoyant une réévaluation rapide pour s’assurer du soulagement de la douleur et de la bonne tolérance de la molécule. Si l’opioïde est toujours nécessaire, il est recommandé de passer à une forme à libération prolongée. Il faut noter que le fentanyl transmuqueux n’est ni indiqué ni recommandé dans cette indication en raison du risque important de détresse respiratoire et de troubles de l’usage.

Recommandations dans les douleurs chroniques rhumatologiques

Les données sur l’efficacité des antalgiques opioïdes dans les douleurs chroniques non cancéreuses en rhumatologie sont éparses et peu convaincantes qu’elles aient été évaluées en termes de réduction de la douleur ou de la fonction.

Aussi, ces médicaments ne doivent être envisagés dans la prise en charge des douleurs chroniques non cancéreuses que lorsque l’ensemble des autres propositions thérapeutiques -médicamenteuses ou non- ont été essayées et n’ont pas apporté de bénéfice suffisant. En rhumatologie, ils peuvent avoir leur place dans la prise en charge des douleurs associées à la lombalgie et la lomboradiculagie chronique, l’arthrose, les douleurs neuropathiques et certaines maladies évolutives.

Cette prescription ne peut se faire que dans le cadre d’une évaluation globale biopsychosociale et exhaustive du patient. L’instauration du traitement doit être faite par titration lente et progressive, sous suivi régulier de la tolérance, de l’efficacité et du risque de mésusage. La forme LI ou LP doit être adaptée à la typologie des douleurs. Étant donné la difficulté à supprimer la douleur une fois celle-ci chronicisée, il est important d’en informer le patient et de travailler avec lui sur les objectifs de qualité de vie, de fonction et de niveau de douleur tolérable. La durée de traitement n’est pas clairement établie dans les études disponibles, aussi une réévaluation doit conduire à arrêter l’opioïde s’il n’apporte aucun bénéfice à 3 mois.

La kinésithérapie, le réentrainement à l’effort, d’autres médicaments… aident à arrêter le traitement ou réduire la posologie. En cas d’un traitement continu depuis plusieurs semaines, il est recommandé de l’arrêter progressivement avec une décroissance régulière des doses afin de prévenir le syndrome de sevrage.

 

* les recommandations sont assorties d’arbres décisionnels pour la prescription ambulatoire et hospitalière, pour les douleurs aiguës et chroniques, ainsi que de recommandations spécifiques pour les populations particulières (femmes enceintes et allaitantes, personnes sous traitements substitutif aux opioïdes …). Elles comportent également des outils de pratique clinique pour l’évaluation de certains paramètres comme le risque de mésusage (Opioid Risk Tool – ORT).