SFD 2023 - Éthique : où se situent les frontières entre médecine, la télésanté et intelligence artificielle ?

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Le numérique a fait de la médecine conventionnelle une médecine augmentée bien réelle. Il implique cependant un certain nombre de questionnements et responsabilités nouvelles pour le prescripteur, qui ont été évoquées dans le cadre du Congrès de la Société Francophone du diabète (SFD, 21-24 mars 2023, Montpellier).

La littérature met parfaitement en lumière l’essor de l’Intelligence Artificielle (IA) dans le champ de la médecine, et plus particulièrement dans le diabète et l’obésité. La puissance de l’IA permet d’ores et déjà d’aider les médecins dans des démarches diagnostiques – de la rétinopathie diabétique par exemple-, pronostiques -AdDiarem dans la prédiction de l’évolution du diabète après chirurgie bariatrique- ou d’ajustement thérapeutique – dans les pompes à insuline. Mais elle peut aider à aller au-delà : car l’obésité est liée à une multitude de paramètres biologiques, cliniques, environnementaux, psychologiques et sociaux qui induisent des phénotypes, des stades de progression et des trajectoires disparates, et une variabilité de réponses thérapeutiques et de parcours de soins. La médecine conventionnelle prend en charge les patients en accord avec la médecine des preuves, qui repose sur des moyennes, et qui est orientée selon le phénotype. L’IA pourrait aider à proposer une médecine véritablement personnalisée grâce à des algorithmes intégrant la multitude des paramètres d’intérêt, notamment ceux des -omics (génome, transcriptome, microbiome…). « On a besoin de cette collaboration avec l’IA,supervisée par une garantie humaine, loyale et transparente, a reconnu le Pr Karine Clément (Pitié-Salpêtrière, Paris). Mais il faut que l’on puisse lui faire confiance. Il va être nécessaire que développeurs et médecins aient le même langage, les mêmes enjeux. Il faut un partenariat précoce pour construire ces outils ». Et notamment sélectionner l’objectif de l’algorithme : il sera très différent s’il vise à réduire ou identifier une situation de gravité, ou s’il vise la qualité de vie du patient. « Jusqu’à quel point l’IA décidera de notre santé ? Elle peut nous aider dans certaines situations pour stratifier les patients, aider au pronostic, répondre à des problèmes de désertifications. Elle peut surtout être un outil qui nous aide à retrouver du temps avec nos patients » a -t-elle insisté.

Télésanté et IA face au patient

Parce que « la conviction est l’inverse de l’éthique », le professeur Jacques Bringer (Montpellier) a proposé une réflexion sur le sujet dans la relation soignant-soigné à l’heure du numérique. Face à l’essor des outils connectés, le médecin doit plus que jamais interroger sa démarche de soins et la façon dont il les intègre à sa pratique. Le numérique facilite la personnalisation de la prévention et du soin, l’accès aux soins, améliore la sécurité, aide à lutter contre l’isolement des patients et améliore leur autonomie. Mais sont-ils toujours pertinents face à la triple attente - accessibilité, compétence, pertinence- des patients ? « Ils attendent qu’on prenne soin d’eux, pour eux et avec eux, et qu’on leurs facilitent la vie, pour bénéficier d’un parcours plus fluide et une meilleure qualité de vie dans une situation souvent multimorbide. Si l’on n’y répond pas, nous restons des techniciens du soin » a-t-il insisté. Or, si le numérique aide à la pertinence des soins par rapport au phénotype, il n’intègre pas pour l’heure l’exhaustivité des spécificités de la personne (son mode de vie, son environnement et milieu socio-éducatif…) ; le numérique n’est donc que le complément d’une médecine qui reste incarnée. « Le but de l’IA n’est pas de disposer d’un médecin automatique mais d’une intelligence augmentée, qui peut réaliser des opérations que le cerveau humain – fatigable, limité et victime de biais- ne peut faire, mais qui n’a ni émotion, ni empathie, ni éthique ou responsabilité en soi », a résumé Jacques Bringer. « Le numérique ne s’oppose pas à la médecine traditionnelle : c’est de la médecine augmentée, qui impose des réflexions éthiques constantes que doivent conduire les médecins » concernant : 

  • l’autonomie du patient : éviter le flot de parole continu sans s’assurer de la compréhension de chacune d’elles et respecter la liberté de choix du patient d’initier ou non ces outils,

  • sa bientraitance : ne pas se laisser griser par des innovations sans en avoir vérifier les bénéfices par rapport aux risques, avoir une équipe soignante disponible et réactive derrière l’outil, ne remplaçant pas la rencontre régulière avec le patient,

  • l’absence de nuisances et la garantie de l’équité : il faut évaluer les capacités des patients, les systèmes proposés peuvent parfois dépasser leurs compétences, attention au risque de discriminations liées à ces outils numériques.

Risques juridiques liés à la télémédecine

Les principes juridiques appliqués à la responsabilité médicale sont les mêmes que l’acte soit fait face à face ou à distance. La télémédecine génère cependant des obligations juridiques nouvelles, notamment par rapport à la gestion des données qui transitent par les outils connectés. Outre celles qui relèvent uniquement de l’éditeur, celles qui s’appliquent au praticien sont de deux ordres :

- responsabilités partagées avec le médecin :

  • respect des droits découlant de la loi informatique et libertés-RGPD et de la protection des données,

  • obligation de formation à la pratique de la télésanté et à l’utilisation des solutions numériques, et qui incite à former également le patient à connaître ces enjeux (confidentialité et protection des données)

  • garantie du respect du secret professionnel ;

- responsabilités propres au médecin :

  • obligation d’informer le patient et de recueillir son consentement : il doit comprendre les enjeux et les modalités du téléacte, et sa responsabilité dans cette modalité de suivi (observance de l’usage, transmission des éléments utiles…),

  • nécessité de déterminer la pertinence de la télésanté,

  • obligation d’établir un compte rendu de l’acte et de l’inscrire dans le dossier médical.