Se passer des médecins ?
- Serge Cannasse
- Editorial
Dans Prometheus, un film de science-fiction de Ridley Scott sorti en 2012, l’héroïne est soignée d’une blessure au ventre par un robot (nullement anthropoïde) qui fait le bilan de l’étendue des lésions et pratique les gestes chirurgicaux réparateurs. Le tout sans l’intervention d’aucun·.e humain·e et à une vitesse stupéfiante, la victime étant totalement rétablie en quelques minutes. Ce résumé prête à sourire. Mais le simple fait qu’un tel scénario existe et puisse être considéré comme crédible, sinon vraisemblable, interroge sur le devenir technologique de la médecine et la place qui pourrait être laissée aux praticiens à l’avenir.
L’interrogation a été relancée en novembre 2022 par la mise à disposition gratuite de l’application en ligne ChatGPT, qu’il n’est plus nécessaire de présenter tant elle a fait l’objet de nombreux commentaires et attiré l’attention des médias. La question a notamment été posée de son utilisation dans les publications scientifiques, en particulier médicales1. Pour l’instant, la plupart des grandes maisons d’édition refusent qu’elle soit mentionnée comme auteure et recommandent que son utilisation éventuelle soit précisée. En effet, il est logique de penser qu’elle puisse faciliter le travail de recherche. Cependant, dans son état actuel, elle semble trop généraliste, incapable de répondre à des questions pointues et de se tenir au courant de l’actualité2.
Pour autant, on peut argumenter que « l’intelligence artificielle » n’en est encore qu’à ses débuts. Certains pensent que dans le futur, elle fera au moins aussi bien que les humains, voire mieux, par exemple en médecine3. Cela signifie-t-il qu’un patient n’aura plus besoin de s’adresser à un médecin en chair et en os ? Non, si on pense que certaines propriétés humaines sont à jamais hors de portée des machines (« la créativité, l’empathie, l’humour, le savoir-être, la vision d’ensemble, le décryptage du sens caché des choses et du comportement des individus », comme l’écrit Sandrine Foulon4, ou tout simplement le doute5). Mais sans verser dans le transhumanisme, il est permis de se demander s’il ne s’agit pas là d’un présupposé bien commode (et largement présent dans les récits de fiction) pour se rassurer. Après tout, des robots émotionnels sont déjà en voie de commercialisation6.
Cela étant, on ne compte plus les promesses et les anticipations promises par les développements technologiques et qui ne se sont jamais réalisées, sans compter celles qui n’avaient pas été prévues et ont pourtant eu un impact considérable. Les philosophes expliqueront que l’avenir est aussi ce que nous en faisons. Certes, dans une certaine mesure. Il y a une dizaine d’années, la sociologue Béatrice Hibou décrivait un phénomène qui s’accélère considérablement aujourd’hui : la bureaucratisation du monde7, qui est loin de n’être que celles des administrations publiques, mais recouvre des aspects de plus en plus nombreux de la vie quotidienne. Le vrai danger est sans doute ici : l’envahissement de nos existences par des procédures (des « process ») que les machines ne font que faciliter, mais qui sont le reflet d’états d’esprits qui consciemment ou non visent à nous déposséder de notre faculté d’initiative.
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