RSA, chômage, aide alimentaire…La pandémie a exacerbé les inégalités entre les Français
- Julien Moschetti
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- Nathalie Barrès
- Actualités Médicales par Medscape
Quelles sont les conséquences socio-économiques de la crise sanitaire sur les Français ? Les effets se font déjà sentir sur le chômage et le nombre d’allocataires aux dispositifs de solidarité comme le revenu de solidarité active (RSA) ou l’allocation de solidarité spécifique (ASS). La pandémie a clairement exacerbé les inégalités entre les Français, touchant davantage les populations modestes et pauvres, les jeunes ou les femmes.
La crise sanitaire, accélérateur de pauvreté
« La crise agit comme un révélateur et un accélérateur de la pauvreté : elle entrave les sorties de la pauvreté, précipite dans la pauvreté des personnes qui en étaient proches, et entraîne des arrivées inattendues dans la pauvreté », déclarait le 12 mai dernier Fiona Lazaar, la présidente du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion (CNLE). Le jour même, l’organisme remettait au Premier ministre le rapport « La pauvreté démultipliée - Dimensions, processus et réponses - Printemps 2020|Printemps 2021, Mai 2021 » qui décrivait une crise d’une rare violence, une récession d’une ampleur historique en 2020. Malgré des soutiens publics exceptionnels, comme les dispositifs renforcés d’activité partielle, les effets de la crise sanitaire se font sentir sur le chômage et les dispositifs de solidarité comme le RSA ou l’ASS *, poursuivaient les auteurs du rapport qui craignaient que la pandémie contribue à « aggraver l’exclusion sociale et fragmenter plus encore notre cohésion sociale ».
*qui remplace l’allocation de retour à l’emploi (ARE) lorsque les droits du bénéficiaire sont épuisés.
Forte hausse du taux de chômage
Plusieurs études font en effet le constat suivant : la crise sanitaire a exacerbé les inégalités sociales**. Les mesures de confinement ont eu des conséquences négatives sur les chiffres du chômage (284.000 emplois salariés détruits entre décembre 2019 et décembre 2020), même si les effets de la pandémie sur le marché du travail ont été atténués par les mesures de soutien massives : dispositif de chômage partiel, prolongation des droits à l’assurance chômage… « Le chômage partiel a joué son rôle de filet de sécurité. Il est donc difficile d’évaluer les répercussions en termes d’emplois perdus depuis le début de la pandémie, parce que l’on ne connait pas encore les effets réels en termes de chômage », confirmait le 26 mai dernier l’économiste Rachel Silvera, lors d’une conférence intitulée « Crise sanitaire et inégalités de genre », organisée par six fondations. Il n’empêche que la tendance est quand même à une forte hausse du taux de chômage qui atteignait 9,1% de la population active au 3e trimestre 2020 (+ 2 points depuis le 2e semestre 2020), soit le niveau observé 10 ans plus tôt, précise le CNLE dans son rapport.
**Enquête Coconel (Coronavirus et confinement), l’étude « Logement et Conditions de vie » de l’Ined ou l’enquête EpiCov (Épidémiologie et conditions de vie) de l’Inserm.
Davantage d’allocataires du RSA et du SSA
La pandémie a aussi eu un impact non négligeable sur les effectifs de prestations de solidarité (RSA, ASS…). À titre d’exemple, le nombre d’allocataires du RSA a fortement augmenté depuis le début de la crise sanitaire, pour atteindre 2,1 millions en octobre 2020 (+ 8,5% par rapport à octobre 2019), selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES). Avant de diminuer légèrement (2 millions de foyers percevaient le RSA fin mars 2021). Un nombre supérieur à ce qu’il était avant la crise sanitaire : environ 1,9 million de janvier 2017 à février 2020.
Après une baisse continue depuis 2015, les effectifs de l’ASS ont également fortement augmenté entre mai et septembre 2020 (+11,2%), avant de baisser (-11,1% entre septembre et février 2021). En partie en raison de mesures de prolongation des droits à l’allocation chômage prises par le gouvernement pendant le deuxième confinement, qui ont limité le nombre d’entrées dans l’ASS, selon la DRESS.
Recours à l’aide alimentaire
Selon le rapport du CNLE, qui a fait 12 propositions pour accompagner les plus fragiles face à la crise, la pandémie a entraîné l'exposition d'un nouveau public à la pauvreté. Pour de nombreuses personnes, « le recours à l’aide alimentaire est devenu une condition de survie ». Ont été particulièrement impactés par la crise, « les travailleurs les plus précaires et modestes qui servent de variable d’ajustement au marché de l’emploi » : indépendants, salariés en CDD, intérimaires, travailleurs de l’économie informelle… Mais aussi les jeunes en insertion et les étudiants qui avaient besoin de travailler pour financer leurs études. « Les jeunes, notamment les étudiants, ont subi de plein fouet la crise, confirme l’économiste Rachel Silvera qui rappelle qu’ils ont eu « moins accès aux petits boulots » depuis le début de la pandémie. Et d’évoquer également les emplois informels (garde d’enfants, services à la personne non déclarés....) qui ont souvent disparu durant les périodes du confinement. Or, « à l’issue du confinement, il arrive régulièrement que l’on ne reprenne pas la personne non déclarée au domicile, parce qu’on a pris le pli de s’occuper des enfants ou de faire le ménage ».
Les femmes : grandes victimes de la crise
Autres grandes victimes : les femmes. Car la crise sanitaire a en premier lieu « engendré des pertes d’emploi massives dans des secteurs très féminisées comme le tourisme, le commerce, l’hôtellerie-restauration ou les services à la personne », souligne Rachel Silvera (maître de conférences à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense). Et d’ajouter que le chômage partiel a moins touché les hommes que les femmes qui ont également dû subir la double peine d’être « majoritaires dans le secteur informel qui a été durement frappé par la crise ».
Cerise sur le gâteau pour les femmes : les métiers qualifiés d’essentiels durant la crise sont « ultra-féminisés » et ont été « structurellement dévalorisés dans notre société », selon Rachel Silvera qui fait référence aux métiers du soin et de la santé (infirmiers, aides-soignants, aides à domicile, travailleurs sociaux). Mais aussi à tous les métiers qui assurent le lien auprès du public en perte d’autonomie, des enfants ou des personnes handicapées : enseignants, agents d’entretien, caissiers, assistantes maternelles… Des professions saluées durant la crise qui, dans le même temps, furent contraintes « d’aller travailler la boule au ventre car ils étaient au contact direct du virus ». Rachel Silvera plaide donc pour une revalorisation de ces métiers.
Combler les écarts
Une analyse que l’on retrouve dans l’excellent ouvrage « L’explosion des inégalités », dirigé par les sociologues de l’Ined Anne Lambert et Joanie Cayouette-Remblière. Selon les auteurs, l’exposition au virus est apparue « inversement proportionnelle au niveau de diplôme et de qualification, à l’échelle du prestige des professions et à leur niveau de rémunération, mais aussi à la stabilité des contrats de travail et au degré d’accès à la protection sociale. » Études à l’appui, le livre confirme que la crise sanitaire a exacerbé les inégalités entre classes sociales, entre sexes et entre générations. Que le confinement et ses conséquences négatives ont touché en premier lieu, et de manière plus intense, les populations modestes et pauvres.
Les conséquences économiques et sociales de cette pandémie s’inscriront donc « dans le temps long des inégalités » expliquent les auteurs qui appellent à la mise en place de « politiques redistributives massives et multidimensionnelles, seules à même de panser les dégâts de la crise sanitaire et de réduire durablement les écarts de conditions de vie en France, déjà creusées par différentes évolutions structurelles sur le marche du travail, du logement ou encore de l’éducation au cours des dernières décennies ».
Les 12 propositions du CNLE
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Revaloriser les minima sociaux
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Renforcer les mécanismes d’aide au logement à destination des personnes modestes pour lutter contre le mal-logement et le non-logement
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Résorber la fracture numérique avec la création d’un forfait d’urgence illimité et d’une tarification sociale du numérique
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Renforcer le soutien public aux associations, notamment de grande proximité
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Créer un véritable droit à l’accompagnement ouvert à tous les jeunes, sans limite de temps, assorti d’une allocation de ressources accessible dès 18 ans au regard de la situation du jeune
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Renforcer l’accessibilité des services publics à travers notamment le développement des actions d’« aller-vers » à destination des publics dits « invisibles »
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Mettre en place un plan de raccrochage scolaire pour lutter contre les effets du confinement sur la continuité éducative
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Sécuriser la situation administrative des personnes migrantes en facilitant l’obtention d’un titre de séjour ou la naturalisation de celles qui ont été à l’œuvre durant la crise
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Pérenniser les équipes mobiles sanitaires et réactiver les centres de santé dédiés au « Covid-19 » en cas de reprise de l’épidémie
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Supprimer les délais de carence pour l’accès à l’aide médicale d’État et à l’Assurance maladie, en particulier pour tous les tests et soins relatifs à l’épidémie de Covid-19
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Lutter contre le non-recours en santé en attribuant automatiquement la complémentaire santé aux bénéficiaires du RSA
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Pérenniser les actions de distribution de masques gratuits et de gel hydro-alcoolique aux publics les plus précaires
Cet article a initialement été publié sur le site Medscape.
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