Retrait des nitrites dans la charcuterie : pas si simple…
- Fanny Le Brun
- Actualités Médicales
Les nitrites et nitrates sont utilisés comme additifs alimentaires : nitrite de potassium (e249), nitrite de sodium (e250), nitrate de sodium (e251) et nitrate de potassium (e252). Les nitrates peuvent être convertis en nitrites dans les aliments ou dans l’organisme. Dans les charcuteries, la forme active est le nitrite.
Suite à une évaluation scientifique réalisée par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) sur les risques de ces additifs pour la santé des consommateurs, le gouvernement français vient de présenter un plan d’action destiné à réduire leur utilisation dans la charcuterie. Ce plan ambitieux positionne la France en tête des pays les plus exigeants de l’Union européenne, sur un sujet qui fait l’objet d’un débat public intense et de controverses.
Pourquoi ajouter des nitrites/nitrates dans la charcuterie ?
Des additifs nitrés sont ajoutés dans la charcuterie pour :
- Garantir un haut niveau de sécurité microbiologique en empêchant le développement de bactéries pathogènes telles que les salmonelles ou la listeria et en évitant la production de toxine botulique par Clostridium botulinum.
- Augmenter la date limite de consommation (DLC) en protégeant du rancissement.
De plus, sur le plan visuel et olfactif, les nitrites sont à l’origine de la couleur rose des charcuteries cuites.
Quels sont les risques pour la santé ?
Cancers
Des travaux de recherche ont montré dès 2010 que ces additifs pouvaient avoir un impact négatif sur la santé, notamment concernant le risque de cancer.
Il a ainsi été démontré que la présence des nitrites explique tout ou partie de l’effet de la consommation de charcuteries sur le risque de carcinogenèse colorectale. Cela est lié au fait que les nitrites réagissent chimiquement avec le fer héminique de la viande ou dans notre organisme pendant la digestion. Ils se transforment alors en composés nitrosés, comme les nitrosamines volatiles qui sont classées cancérogènes probables (groupe 2A) et le fer nitrosylé qui s’avère être un facteur central : une association entre fer nitrosylé et risque d’adénome colique a été mise en évidence.
L’exposition aux additifs alimentaires nitrités et nitratés a également été associée à des risques plus élevés de cancer de la prostate et du sein.
Diabète et hypertension
Des publications récentes datant de janvier 2023 suggèrent également une association entre la consommation de nitrites et un risque accru de diabète de type 2 et d’hypertension, mais ces résultats doivent encore être confirmés par d’autres travaux.
Peut-on supprimer facilement les nitrites de la charcuterie ?
Même si l’on connaît les risques des nitrites sur la santé, les supprimer complètement n’est pas sans conséquences néfastes.
Outre le risque microbiologique qui augmente si l’on supprime les nitrites de la charcuterie, il a également été observé que leur retrait entraîne une peroxydation lipidique qui correspond à une réaction chimique entre le fer héminique et les lipides de la viande. Un lien entre cette peroxydation et le risque de cancer colorectal a été démontré dans des modèles cellulaires.
Ainsi, le retrait total des nitrites dans la charcuterie sans opérations correctives visant à limiter la hausse de la peroxydation ne protège pas le consommateur de façon optimale contre la carcinogenèse colorectale.
Ceci explique pourquoi le retrait total des nitrites ne protège pas plus qu’une simple réduction de leur quantité, celle-ci limitant la peroxydation lipidique dans le produit et au niveau du côlon.
Selon de précédents travaux, la peroxydation lipidique qui s’observe pendant la digestion pourrait être limitée en enrichissant la charcuterie cuite en antioxydants (vitamine E, extrait de grenade, de raisin…), ce qui permettrait une très forte baisse, voire un retrait, des nitrites tout en protégeant le consommateur des effets néfastes de la peroxydation. De nouvelles études ont été lancées pour identifier des antioxydants efficaces pour cet usage. Les résultats sont attendus fin 2023.
Quelles sont les normes actuelles ?
La réglementation européenne a fixé une dose d’incorporation maximum de 150 mg de nitrites par kilo de charcuterie, ce qui correspond à une dose de 150 ppm (partie par million : 1 ppm = 1 mg/kg).
En France, les professionnels de la charcuterie se sont engagés de manière volontaire à limiter l’utilisation des nitrites à 120 ppm.
Quels sont les objectifs du plan d’action français ?
Ce plan d’action concernant les charcuteries produites en France prévoit 3 phases :
- Des baisses immédiates d’additifs nitrés dès fin avril 2023 : une baisse d’environ 20% dans les jambons cuits et lardons, les saucissons secs, pâtés et rillettes et supérieure à 30% pour les saucisses fraîches.
- Des baisses à court terme (6-12 mois) : environ 25% pour les saucisses, saucissons cuits, pâtés, rillettes, andouilles et andouillettes et plus de 30% pour les jambons. La suppression totale de tout additif nitré est prévue dans les saucisses à cuire.
- Dans un horizon de 5 ans : des solutions doivent être recherchées pour tendre vers la suppression de l’utilisation des nitrites dans la plupart des produits de la charcuterie.
On estime que la diminution des nitrites à 90 ppm (diminution de 25% par rapport à la dose actuelle de 120 ppm) permet de maîtriser la croissance de listeria sans provoquer l’augmentation de la peroxydation lipidique dans le produit et pendant la digestion. Par rapport à la dose de 120 ppm, la dose de 90 ppm diminue très fortement la formation de fer nitrosylé et de nitrosamines dans le corps et diminue le risque de carcinogenèse colorectale tout aussi efficacement que le retrait.
Pour le moment, la simple diminution de la dose de nitrites dans les produits cuits semble être une solution qui permet à très court terme de réduire l’exposition de la population à ces additifs et donc de réduire la formation de composés nitrosés (nitrosamines et fer nitrosylé), tout en maîtrisant le risque de listeria, la peroxydation lipidique et le risque de carcinogenèse colorectale.
Quelles sont les alternatives aux nitrites ?
Certaines alternatives aux nitrites sont déjà sur le marché mais on manque de données concernant leur efficacité antimicrobienne et toxicologique. Par exemple, la formulation à base de bouillon de légumes est présentée comme une alternative mais en réalité ce n’en est pas une. En effet, le bouillon est naturellement riche en nitrates, transformés en nitrites dans le produit. On obtient alors des résultats identiques à la dose de référence de nitrites (120 ppm), sans effet protecteur sur la promotion de la carcinogenèse colorectale. Une autre alternative basée sur les ferments lactiques et extrait de levure est en cours de développement mais ne semble pas limiter la croissance de listeria et conduit à une très forte augmentation de la peroxydation lipidique. Une autre solution riche en polyphénols et vitamine C a induit une tendance, non statistiquement significative, à diminuer la carcinogenèse colorectale dans le modèle animal, par rapport à la teneur de référence à 120 ppm. L’absence de significativité pourrait s’expliquer par une forte présence de fer nitrosylé au niveau du côlon, traduisant la présence dans cette alternative de composants favorisant la formation de composés nitrosés.
Il paraît donc indispensable que les solutions alternatives proposées soient évaluées « par des équipes académiques capables de mesurer les effets sur la santé (risque de cancer) et de suivre les néoformations de composés toxiques pendant la digestion avant toute mise sur le marché ».
En conclusion, en attendant des alternatives satisfaisantes, il est conseillé de respecter les recommandations nutritionnelles en vigueur : la consommation de charcuterie doit être limitée à 150 g par personne par semaine et à 500 g pour la viande rouge. Ces recommandations participeraient à la diminution du risque de cancer colorectal.
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