Retour au dix-neuvième siècle
- Serge Cannasse
- Editorial
Le 10 mars 1803 est votée une loi créant deux niveaux dans l’exercice de la profession médicale : les médecins titulaires d’un doctorat de la Faculté, pouvant s’établir sur l’ensemble du territoire national, et les officiers de santé, ne pouvant s’installer que dans le département où un jury a vérifié leur capacité à soigner. Ces praticiens, dits « de second ordre », et d’origines modestes, avaient d’abord pour vocation de lutter contre ce qu’on n’appelait pas encore les déserts médicaux, situés essentiellement dans les campagnes, où globalement ils étaient plutôt appréciés par la population. Les « vrais » médecins exerçaient majoritairement en ville et étaient issus de milieux suffisamment aisés pour leur permettre de suivre des études (baccalauréat, puis université). Encore aujourd’hui, de nombreux docteurs en médecine affichent leur mépris à l’égard des officiers de santé, qui servent de repoussoirs à ce qu’ils perçoivent comme toute tentative de dévaloriser leur profession et qui pourtant, comme l’ont montré quelques travaux d’historiens1, n’avaient pas franchement démérité. Flaubert, qui connaissait très bien le milieu médical, n’est pas plus sévère à l’égard de Charles Bovary qu’à celui du premier « vrai médecin » appelé en renfort par celui-ci et aux compétences pour le moins discutables.
Le milieu médical du 19e siècle n’était pas pour autant homogène. Grosso modo, il était partagé entre les praticiens « libéraux » et les « sociaux », ou plutôt hygiénistes. Les premiers mettaient l’accent sur la consultation en face-à-face avec leur patient, les seconds sur les conditions de vie de la population. Alors que ces derniers ont « créé le mouvement d’hygiène publique moderne et établi la santé publique comme discipline scientifique » (Matthew Ramsey, cité par Gérard Jorland2), ils n’ont pu appliquer leurs mesures que très lentement, par défaut d’implication de l’État. En établissant la médecine comme fondée essentiellement sur le colloque singulier, la liberté tarifaire et le paiement à l’acte, les premiers ont fondé la médecine libérale au début du 20e siècle. Leurs relations avec l’État ont été largement conflictuelles3.
Ces deux rappels historiques font bien évidemment écho avec l’actualité de la profession. Les libéraux s’élèvent contre la possibilité pour les infirmières de pratique avancée d’être consultées directement par les patients, avec deux arguments majeurs : la moindre compétence et la rupture du parcours de soins orchestrées par le médecin traitant. Les autorités de santé y voient un des moyens pour lutter contre les difficultés d’accès aux soins de la population. Par ailleurs, les libéraux sont partagés entre deux tendances : ceux qui privilégient le colloque singulier, dans une démarche individualiste, et ceux qui s’orientent vers un exercice pluriprofessionnel et territorial, dans une démarche collective. L’État y voit essentiellement une façon de réduire les coûts, sinon de lutter contre les « déserts ». Si l’histoire nous apprend quelque chose, c’est que ce serait une erreur d’opposer les uns aux autres. Il faut laisser la place à la diversité des pratiques, au dialogue et à la recherche de compromis.
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