Résistances à la vaccination contre le SARS-CoV-2 : normal, docteur ?

  • Serge Cannasse
  • Editorial
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Plus d’un an après leur mise à disposition, les vaccins contre le SARS-CoV-2 suscitent encore le refus ou la méfiance d’une part importante de la population. L’explication la plus précoce et la plus commune qui en a été avancée est le manque de formation scientifique de beaucoup de gens, ce qui les rendrait vulnérables aux croyances les plus diverses. Ce scepticisme serait renforcé par les opinions de certains médecins ou chercheurs plus ou moins sincères, disposant pourtant a priori d’un solide bagage de connaissances.

Plusieurs travaux ont montré que cette méfiance est fortement corrélée à celle existant vis-à-vis des autorités politiques, voire scientifiques, assimilées à des élites suspectées de n’agir que dans leur propre intérêt ou déconnectées de la réalité des gens du commun. Plus les niveaux socio-économiques ou socio-culturels seraient faibles, plus cette défiance serait prononcée. Ce qui poserait problème serait la situation de surplomb des « sachants », assénant un discours que le bon peuple serait prié d’assimiler. Celui-ci l’accepterait d’autant moins que le COVID-19 ne tue pas massivement, même s’il tue beaucoup : de nombreuses personnes n’ont pas eu une expérience intime des décès qu’il provoque. Les chiffres restent alors des données abstraites, non ou mal vérifiées dans la vie quotidienne.

Adhérer sans y croire

À ces explications sociologiques, deux philosophes ont ajouté deux pistes ayant trait au fonctionnement même de l’esprit humain. Canadienne, Juliette Roussin part du constat que bon nombre d’adeptes des théories complotistes ne croient en fait pas du tout à ces théories ! Ils ressemblent à ce que nous faisons tous en lisant un roman ou en regardant un film : ils adhèrent au récit sans le tenir pour vrai. Cet état d’esprit est très proche du mensonge à soi-même, que nous connaissons tous plus ou moins à certains moments de notre vie. Sous l’influence de théories ou de cadres de pensée plus larges, comme le font à l’extrême les idéologies, la frontière entre fiction et « réalité » serait de plus en plus floue.

Pour Jacques Rancière, c’est le fonctionnement même de notre raison qui est en cause. En effet, pour un Occidental, l’intelligence consiste à se méfier des faits : la vérité est cachée derrière des apparences « fallacieuses » (le soleil ne tourne pas autour de la terre). Tout fait doit être rapporté à un ordre global dont il s’agit de retracer l’enchaînement qui amène ce fait à exister et à se révéler différent de son aspect premier. Dès lors, il s’agit d’être plus intelligent que ceux qui imposent de soi-disant vérités et de rejoindre ce que Rancière appelle une « communauté sensible », dans laquelle sont partagés des affects au sein d’un large consensus.

À ceux qui rétorqueraient que les arguments développés par les contempteurs des vaccins et adeptes des fake news sont souvent sommaires, il est conseillé de lire The Game, le petit livre d’Alessandro Barrico. Pour lui, le monde numérique a été développé sur le modèle des jeux vidéos : l’essentiel est de disposer d’une solution simple, rapide, facile à comprendre et ludique. Nous sommes à la fois dans ce monde et dans celui “d’avant”.