Rémunération à part variable, affectations sur 5 ans… : comment Martin Hirsch veut réformer l’hôpital public

  • Christophe Gattuso

  • Nathalie Barrès
  • Actualités Médicales par Medscape
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Dans une longue tribune dans les Echos, le directeur de l’AP-HP formule plusieurs pistes pour réformer en profondeur l’organisation de l’hôpital public. Martin Hirsch suggère notamment d’associer les paramédicaux à la gouvernance, d’affecter les médecins pour 5 ans (renouvelables) dans des établissements et de mettre fin à leur rémunération uniforme. Il souhaite également encourager la mobilité et faciliter les évolutions de carrières. Les réactions sont mitigées.

Refondation

Soumis à une importante crise d’attractivité et à deux ans d’une éprouvante épidémie de coronavirus, l’hôpital public attend de voir l’ordonnance que lui prescrira Emmanuel Macron pendant son second quinquennat. Le président de la République a en tout cas reçu en début de semaine de premiers conseils de la part de Martin Hirsch. Dans une longue tribune publiée dans les Echos, le directeur général de l’Assistance publique Hôpitaux de Paris (AP-HP) a formulé plusieurs propositions de réforme de l’hôpital, estimant venu « le temps de la refondation ».

Dans ce plaidoyer opportunément présenté à la veille d’un remaniement ministériel, et qui intervient après un rapport d’une commission sénatoriale sur le sujet, le patron du plus grand hôpital de France (depuis 2013) préconise une profonde remise à plat de l’organisation et de la gouvernance des établissements publics mais aussi du statut et de la rémunération de ses soignants.

Une part du salaire à la main de l’établissement

Sur ces deux derniers points, estimant le système hospitalier « trop rigide », il recommande d’imaginer pour les médecins de nouvelles perspectives de carrière plutôt qu’un parcours unique impliquant de finir PU-PH et éventuellement chef de service. Il veut revoir la procédure de nomination et d'affectation des PH. Plutôt qu’un concours national, il suggère d’affecter pour cinq ans renouvelables les médecins hospitaliers dans un établissement, ce qui favoriserait selon lui la mobilité.

Cette évolution s’accompagnerait de la fin de la rémunération uniforme des médecins, à l’origine de « frustrations, injustices et départs ». Il propose une rémunération individualisée qui au-delà d’un « plancher » fixé nationalement et statutairement, prendrait compte d’une part liée au coût de la vie dans chaque région. Une part du salaire, enfin, serait « à la main de l'établissement », selon des critères définis collectivement par spécialités, ou en fonction de l’investissement dans la vie de l'établissement ou de compétences particulières.

Des perspectives pour les paramédicaux ?

La problématique est sensiblement la même pour les paramédicaux pour qui l’échelon de cadre de santé est la seule perspective de progression de carrière.

Actant que « les jeunes quittent l'hôpital parce qu'ils n'y trouvent pas leur compte en termes d'ambiance et de charge de travail », Martin Hirsch suggère d’offrir « des perspectives d'évolution de carrière qui permettent d'échapper au fait d'avoir le même métier et pratiquement le même salaire au bout de vingt ans ». Cette évolution valoriserait des compétences techniques, d’enseignement ou de recherche.

Le DG de l’AP veut par exemple que davantage d’infirmières puissent devenir infirmières en pratique avancée (IPA) et il estime que de nouveaux métiers paramédicaux pourraient être déployés, à l’instar des infirmiers de coordination ou des conseillers en génétique.

Beaucoup d’aides-soignants souhaitant devenir infirmiers sont aujourd’hui freinés dans leur changement de métier, notamment à l’AP-HP, mais Martin Hirsch estime que les promotions professionnelles internes aux établissements publics devraient être encouragées « pour recruter durablement à l'hôpital public ». « Les agents hospitaliers peuvent devenir aides-soignants qui peuvent devenir infirmiers, qui peuvent ensuite progresser », argumente-t-il. « Ces promotions sont rares car cela coûte très cher aux établissements qui doivent payer deux salaires pendant la durée de la formation, justifie le directeur de l’AP-HP. Former en interne une aide-soignante pour qu'elle devienne infirmière coûte près de 200 000 euros ! »

Tacle aux chefs de service 

Martin Hirsch invite aussi à repenser l'organisation hospitalière, à son sens inadaptée. Il recommande une « paramédicalisation » de sa gouvernance. « Les paramédicaux ne peuvent être considérés comme de simples exécutants mais doivent participer à la gestion de l'hôpital, à l'évolution des métiers, aux grands choix », affirme-t-il. Il s’oppose à une plus grande autonomisation des chefs de service réclamée par les intéressés ces derniers mois, estimant par ailleurs que le service a une « taille trop petite pour pouvoir fonctionner dès lors qu'il y a des tensions (absences, départs, surcharge, etc.) ». Il plaide plutôt pour des départements médicaux correspondant à un ensemble de quelques services.

La T2A à ajuster, pas à jeter

Concernant le mode de financement des établissements, le directeur général de l’AP-HP estime que la tarification à l’activité (T2A), aujourd’hui décriée, « nécessite plus des ajustements qu'un bouleversement ». Il suggère de simplifier le système avec un financement intégral par l'assurance maladie, pour éviter aux hôpitaux « d'avoir à jongler avec les assurances complémentaires », ou encore de charger l'assurance maladie de récupérer la participation des assurances complémentaires et celle des patients.

S’il reconnaît des « difficultés spécifiques ou plus exacerbées » à l’AP-HP que dans d'autres CHU avec des « résistances au changement plus fortes » et « des médecins leaders d'opinion très écoutés et très influents », Martin Hirsch appelle cependant le gouvernement à réformer l’AP comme les autres établissements dans le cadre d’une vaste réforme nationale. Il demande que, dans ce but, une commission soit confiée à une ou deux grandes personnalités reconnues du monde de la santé pour mener un travail analogue à celui accompli en 1958 (lors des ordonnances Debré ayant donné naissance aux CHU).

Des réactions très contrastées

Cette tribune a fait réagir le SNPHARE (anesthésistes-réanimateurs). Si le syndicat partage le constat d’une nécessaire réforme de l’hôpital, il s’oppose à « la casse des statuts et à l’application de la logique contractuelle individuelle » mais aussi à « la rémunération à part variable des médecins » qui ne restaurera pas selon lui l’attractivité de l’hôpital. De même, les affectations quinquennales « soumises à l’arbitraire » ne passent pas. « La mobilité doit être choisie plutôt que subie », affirme le syndicat.

Joint par Medscape, le Pr Rémi Salomon, président de la CME de l’AP-HP, est lui aussi divisé sur plusieurs propositions. « L’hôpital public traverse une crise d’une ampleur inédite et tout le monde s’accorde à dire qu’il faut agir, affirme-t-il. L’introduction d’une part variable peut être envisagée mais à l’échelle d’un territoire ou d’une région, pas d’un établissement ou alors chaque hôpital fera son mercato. »

Si la rémunération compte pour une part importante dans la restauration de l’attractivité, « les propositions pour améliorer les conditions de travail manquent », souligne le néphrologue. Nulle mention par exemple de quotas de patients par soignants réclamés par un grand nombre d’acteurs. Un point suscite un rejet en bloc du patron de la CME : l’idée d’affectations quinquennales. « La mobilité géographique ou dans les fonctions peut être intéressante mais le statut doit rester pérenne et nullement être fragilisé », conclut-il.

Cet article a été écrit par Christophe Gattuso et initialement publié sur Medscape.