Qui pour expérimenter de nouvelles organisations des soins ?
- Serge Cannasse
- Actualités Médicales
Dans le but de promouvoir de nouvelles organisations des soins, l’article 51 de la Loi de financement de la Sécurité sociale de 2018 a donné la possibilité de déroger aux règles de droit commun en matière de financement. Dans ce cadre, trois « appels à manifestation d’intérêt » ont été lancés courant 2018. Vincent Schlegel, chercheur à l’IRDES (Institut de recherche et documentation en économie de la santé), a opéré une double sélection1.
D’une part, il s’est intéressé à deux types d’appels. L’IPEP (Incitation à une prise en charge partagée) « vise, via une rémunération incitative non substitutive, à développer la coordination entre les soins hospitaliers et les soins dispensés par les acteurs des soins primaires en s’appuyant sur des indicateurs de qualité.2 » Alors qu’avec l’IPEP l’incitation vient en complément du paiement à l’acte ou salarié, le PEPS (Paiement en équipe de professionnels de santé de ville) « propose à des équipes de médecins généralistes et d’infirmier.ière.s de substituer au paiement à l’acte un paiement au forfait, pour l’ensemble de leur patientèle ou pour des sous-ensembles (patientèle diabétique, patientèle de personnes âgées). »
D’autre part, le chercheur a sélectionné uniquement des médecins libéraux, parmi vingt organisations participant à ces expérimentations IPEP ou PEPS. Qui sont-ils ?
Des médecins hommes et engagés dans associations ou syndicats professionnels
Ce sont d’abord des hommes et plutôt âgés : parmi les enquêtés, seulement trois femmes et plus de la moitié ayant 50 ans ou plus. Beaucoup sont des représentants syndicaux ou professionnels. Sociologiquement, ils sont proches de la figure de « l’entrepreneur », au sens où ils sont portés par une cause plus que par la maximisation d’un profit financier.
Pour eux, la médecine générale est un choix. Ils revendiquent une prise en charge « globale, reposant sur une vision extensive de la santé », conciliant les dimensions technique et relationnelle du métier, sans privilégier l’une par rapport à l’autre, et s’exerçant sur le temps long. Ils apprécient de pouvoir choisir leur patientèle, « voire revendiquer une sorte de spécialisation informelle. » Ainsi, pour eux, la médecine générale « peut non seulement être le premier recours, mais aussi le seul, à condition de bénéficier de conditions d’exercice particulières. » Elle doit se construire comme « pilier du système de santé. » Participer aux réformes et aux expérimentations y contribue.
Cette ambition ne passe plus par l’universitarisation, ou du moins pas seulement. S’ils sont souvent maîtres de stage ou encadrent des thèses, ils jugent la formation universitaire trop théorique et trop éloignée de la pratique, de la relation avec le malade, de la santé publique ou de l’organisation des soins.
L’ambition de faire de la médecine générale le pilier du système de santé
Leur engagement syndical ou professionnel s’est souvent doublé de la participation à d’autres expérimentations ou à des structures « innovantes » (par exemple, maisons de santé pluridisciplinaires). Cela leur donne plusieurs atouts : relations privilégiées avec les pouvoirs publics, acquisition de compétences utiles pour monter des projets, ressources de leurs organisations.
Cela étant, beaucoup sont très attachés à l’exercice libéral, en particulier en raison de l’absence de liens de subordination et la possibilité d’avoir un contrôle sur leurs conditions de travail. Cependant, les médecins expérimentant en IPEP cherchent des compléments au paiement à l’acte, dont il faut rappeler qu’il est historiquement un des fondements de la médecine libérale française. Ceux s’investissant dans les PEPS soutiennent plus volontiers la rémunération au forfait, allant de pair avec leur implication dans de nouvelles organisations entre médecins et autres professionnels de santé (notamment les délégations de tâches). Ainsi, plusieurs maisons de santé (où les médecins sont libéraux) ont abandonné l’expérimentation, mais aucun des centres de santé (où les médecins sont salariés).
Qu’ils soient partie prenante des IPEP ou des PEPS, tous ces médecins ont le goût du changement, souvent renforcé par le constat que la crise du modèle libéral oblige à innover de toute façon et qu’en conséquence, il vaut mieux participer au mouvement plutôt que de se le voir imposer. En particulier, ils ne donnent plus une « place centrale au colloque singulier », mais « envisagent leur activité de façon plus diversifiée. » Ils ont intériorisé les schémas de la pensée budgétaire et acquis une bonne connaissance des administrations et du système de santé en général. Ils sont rompus à la mise en place de projets et à la recherche de financements, d’ailleurs bien souvent effectuée par les coordinatrices (puisqu’il s’agit la plupart du temps de femmes) de leurs structures.
En conclusion, il est permis de se demander, avec l’auteur de ce travail, dans quelle mesure ces expérimentations sont « réplicables et généralisables » : les médecins sélectionnés pour y participer ne sont guère représentatifs de l’ensemble de leurs collègues généralistes.
Malheureusement, l’accès à l’intégralité de cet article est reservé uniquement aux professionnels de santé disposant d’un compte.
Vous avez atteint la limite d'articles par visiteur
Inscription gratuite Disponible uniquement pour les professionnels de santé