Quelle est la place du médecin généraliste dans la prise en charge d’un cancer du sein ?

  • Sophie Duméry
  • Actualités Médicales
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Les chimiothérapies orales sont pour la moitié des prescriptions suivies à domicile. Mais le dialogue entre médecin traitant et oncologue traitant connaît des aléas. Voici ce qu’en pense le Dr Alessandro Viansone, oncologue spécialiste de pathologie mammaire, coordinateur de la recherche clinique dans cette spécialité à l’institut Gustave Roussy (IGR, Villejuif).

Quelles sont les chimiothérapies orales qu’un médecin traitant peut rencontrer en consultation ?

Il s’agit d’abord de l’hormonothérapie, dont on gère bien les effets secondaires, puis des thérapies ciblées orales, multiples à ce jour, et enfin les anciennes chimiothérapies orales qu’on utilise toujours. 

Les effets indésirables des thérapies ciblées dépendent beaucoup de chaque molécule. Concernant le sein qui est ma partie, les cancers hormono-dépendants (récepteurs hormonaux positifs, ou RH+) sont traités par les inhibiteurs de kinases cyclines-dépendantes ou CDK (palbociclib, ribociclib, abémaciclib). Les cancers avec récepteurs HER2 positifs bénéficient plutôt des inhibiteurs des tyrosine-kinases comme le tucatinib, le lapatinib. Contre les cancers triple négatifs (RH- HER2-) nous avons un peu moins de choix en thérapies ciblées orales. Pour certains de ces cancers triple négatifs avec mutation génétique particulière nous avons les inhibiteurs des PARP (olaparib, talazoparib). En fait, tout histotype cancéreux peut être combattu à un moment de son évolution par une thérapie ciblée.

Les cancers hormono-dépendants et HER2 positifs (80% des cas) ont des survies sous traitement plus longues que les cancers triple négatifs, c’est un fait établi, mais même contre ces derniers nous disposons toujours des chimiothérapies orales plus conventionnelles (capécitabine, navelbine) pour augmenter la survie globale et améliorer la qualité de vie 1.

Comment s’inscrit le médecin traitant dans la surveillance de ces traitements oraux au long cours ?

Cela dépend de son implication. Dans toutes ces options thérapeutiques nous connaissons bien les molécules (nous prescrivons les inhibiteurs des CDK depuis plus de 5 ans). Il y a toujours un oncologue derrière une thérapie ciblée, dont la responsabilité n’incombe pas au médecin traitant. Nous n’avons jamais demandé que celui-ci suive ces thérapies complexes. 

À l’Institut Gustave Roussy nous avons mis en place une application de suivi avec les patientes, appelée RESILIENCE. Les infirmières sont formées par nos soins à gérer dans cet échange les alertes liées aux traitements. Si un problème leur échappe, elles déclenchent le premier recours en se tournant vers les internes d’oncologie. Un deuxième recours atteint directement l’oncologue prescripteur. En outre, toutes les patientes avec un cancer du sein métastatique partent de notre service avec les coordonnées de notre secrétaire, les numéros de garde et d’astreinte et notre adresse mail. Nous sommes donc toujours joignables pour faire le point.

Quel rôle reste au médecin traitant au retour de la patiente à domicile ?

Certes, il reste médecin pour sa patiente mais ce n’est pas une obligation d’expertise oncologique. Chaque molécule prescrite par l’oncologue étant différente, il peut se tourner vers son RCP (résumé des caractéristiques du produit) où figurent les effets indésirables connus. Il peut nous alerter et se mettre en contact avec nous s’il soupçonne un événement problématique. Je vous cite l’exemple personnel d’une patiente qui réside très loin de l’IGR. Son médecin traitant dispose de mon adresse électronique pour me contacter en cas d’altération de la prise de sang (NFS). Parce que ce qui importe avant tout c’est d’évaluer correctement la situation et de lancer une alerte si besoin. 

Il faut comprendre que parfois même pour nous oncologues il est impossible de connaître tous les effets secondaires de toutes les molécules à notre disposition 2. C’est encore plus compliqué pour un médecin traitant généraliste qui doit gérer tous ceux des médicaments qu’il emploie 3. Nous demandons seulement qu’un dialogue soit toujours possible. Parfois, j’échoue à prendre contact avec le médecin traitant pour coordonner la prise en charge, tels une hospitalisation ou un passage en HAD. C’est pourtant une demande de coordination au bénéfice des patientes…

Son examen clinique garde donc de la valeur ?

Oui bien sûr, quand il nous le fournit. Ce qui nous guide sera toujours un très bon examen clinique. Par exemple, en cas d’ascite j’ai besoin du médecin traitant pour qu’il me signale une aggravation et que je puisse programmer une ponction. Autre situation : sous traitement ciblé, quand la patiente déclare une fièvre supérieure à 38°C elle doit faire une NFS et montrer les résultats à son médecin traitant. Sans altération importante de la numération sanguine, l’examen clinique approfondi de son médecin traitant permet de débuter une antibiothérapie probabiliste. En revanche une franche altération des résultats justifie qu’il nous contacte car c’est probablement le traitement qui est en cause. Encore une situation nécessitant une réaction médicale rapide : une hépatalgie aiguë fait soupçonner une thrombopénie hémorragique. Il faut demander une numération plaquettaire en urgence et localiser la fuite sanguine.

Le médecin traitant peut-il vraiment compter sur la chaîne de soins pour sa patiente en cas d’alerte ?

Nous sommes disponibles pour une prise en charge urgente avec un bémol. Nous disposons à l’IGR d’un service d’urgence en cancérologie qui, depuis six mois, est fermé la nuit. Mais ce n’est pas total car il y a des infirmières, la garde, deux internes et des médecins d’astreinte pour prendre en charge une patiente qui ne peut pas l’être par les urgences de proximité. Il n’y a donc pas d’interruption de la chaîne de soins. 

Pendant l’été la mobilité des patientes fait que nous avons beaucoup d’appel d’hôpitaux de proximité : par exemple lors de la découverte de métastases cérébrales à l’occasion d’une crise d’épilepsie sur le lieu des vacances. Le rapatriement dans nos services est la meilleure réponse évidemment. 

D’une manière générale, une fois le cadrage thérapeutique fait, le suivi par un hôpital de proximité ne pose pas de problème, en gardant le centre de référence pour les situations complexes. Ce suivi hospitalier de proximité est un vrai confort pour la patiente, si le dialogue est continu avec le centre de référence, car la formation et la compétence des médecins oncologues sont bonnes partout.

Quand êtes-vous amenés à surseoir à une thérapie ciblée chez vos patientes atteintes de cancer de sein ?

Le premier obstacle à cette prescription peut surprendre mais c’est le manque de soutien à domicile. Je parle de la personne seule, âgée, sans entourage familial optimal. Dans ce cas, nous avons du mal à lui dire de prendre sa chimiothérapie ciblée orale, par exemple pendant trois semaines puis une semaine de pause, alors qu’elle a déjà du mal à suivre son traitement médical lié à des pathologies autres que son cancer du sein. La présence du médecin traitant et de l’infirmière libérale est nécessaire. La patiente sort donc de notre service avec une ordonnance de passage quotidien à domicile d’une infirmière libérale, juste pour le suivi des médicaments. Une consultation hebdomadaire du médecin traitant pour le suivi de l’état général est un bon rythme de surveillance dans ce cas.

Pour favoriser la bonne observance, nos ordonnances de sortie sont extrêmement détaillées, cela guide la patiente mais aussi des soignants de ville. Nous comptons sur eux pour nous contacter en cas de besoin sans craindre de nous déranger.