Maladie d’Alzheimer : où en est-on en 2023 ?

  • Agnès Lara
  • Actualités Médicales
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En collaboration avec des experts français et internationaux, la Fondation Vaincre Alzheimer a rédigé un rapport qui présente les principales voies de recherche dans ce domaine. Marion Levy, Responsable Études et Recherche de la Fondation, a accepté d’en relever les grands traits pour Univadis.fr.

Univadis : Quel est le fardeau de la maladie d’Alzheimer aujourd’hui en France et en Europe ?

Marion Levy : On estime qu’environ un million de personnes vivent actuellement avec la maladie dans notre pays et elles seront probablement près du double (1,8 million) en 2050. Chaque année, 225.000 nouveaux cas sont diagnostiqués dans notre pays. En Europe, c’est 9,8 millions de personnes qui étaient atteintes de la maladie en 2019 et ce chiffre devrait doubler pour atteindre 18,8 millions en 2050.

Univadis : Où en est la recherche sur les traitements en 2023 ?

M. Levy : Actuellement, pas moins de 140 candidats médicaments sont en cours de développement clinique. On distingue les traitements symptomatiques visant à réduire les symptômes cognitifs et psycho-comportementaux, et les traitements « disease-modifier » capables de changer le cours d’évolution de la maladie. C’est cette seconde catégorie de molécule qui a suscité le plus grand engouement de la recherche ces dernières années. Après plusieurs échecs (bapineuzumab, crénézumab, ganténézumab, ponézumab, solanézumab), les travaux d’immunisation contre les peptides ß-amyloïdes ont abouti récemment à l’agrément d’anticorps monoclonaux. L’aducamumab a été le premier à obtenir une autorisation de mise sur le marché en 2021 aux États-Unis. Cependant, même s’il a montré son efficacité à réduire la charge amyloïde dans le cerveau des patients, cet anticorps monoclonal a déçu quant à sa capacité à influencer le cours de la maladie et il n’a pas été autorisé en Europe. Tout récemment (janvier 2023), le lécanémab (voir notre article sur le sujet) a obtenu une AMM aux États-Unis dans la maladie d’Alzheimer précoce dont la pathologie amyloïde était confirmée (en injection IV toutes les 2 semaines). Une forte diminution de la charge amyloïde a été observée, avec un ralentissement du déclin cognitif modeste au plan clinique mais statistiquement significatif sur une période de 18 mois, ainsi qu’une réduction de 27% des scores sur l’échelle CDR-SB (Clinical Dementia Rating scale–Sum of Boxes) par rapport au placebo. Une demande d’agrément a été déposée auprès de l’Agence européenne du médicament (EMA). Le donanémab est un autre anticorps monoclonal anti-amyloïde en cours d’agrément auprès de la FDA (Food and Drug Administration). Il a montré une efficacité légèrement supérieure au lécanémab, avec un ralentissement de 35% de la progression de la maladie. Cependant, l’intérêt de cibler les plaques amyloïdes est remise en question au plan clinique par certains spécialistes. La maladie étant multifactorielle, elle ne se limite pas à ces protéinopathies et de nombreuses autres pistes de recherche sont explorées.

Univadis : Qu’en est-il de la sécurité de ces anticorps anti-amyloïdes ?

M. Levy : Les ARIA (amyloid-related imaging abnormalities, anomalies liées aux plaques amyloïdes en imagerie), à type d’œdème ou d’hémorragie, représentent les effets indésirables graves les plus fréquents sous lécanémab (21% vs 9% sous placebo). Même si la plupart sont silencieuses, elles restent préoccupantes. Ce risque, lié à la disparition des plaques amyloïdes, est important à connaître pour les médecins et nécessite un suivi rapproché en IRM et en clinique au cours des premiers mois du traitement. Il concerne plus fréquemment les patients porteurs de l’allèle ε4 de l’apolipoprotéine E, et ceux sous traitement antithrombotique.

Univadis : Les biomarqueurs représentent un enjeu en termes de diagnostic précoce, où en est-on de ce côté-là ?

M. Levy : Effectivement, le développement de biomarqueurs biologiques et de l’imagerie cérébrale permettant de visualiser et de mesurer précocement la charge de ces protéines pathologiques, peut-être même avant la survenue des premiers troubles cognitifs, reste un enjeu essentiel sur le plan diagnostique. In fine, c’est probablement de l’association des différents types de biomarqueurs (d’imagerie, du LCR, et sanguins) et peut-être d’autres que viendra la solution. Une équipe de Toulouse étudie par exemple l’intérêt d’associer des données d’imagerie (charge amyloïde et tau) avec celles de l’oculométrie pour diagnostiquer la maladie dans sa phase silencieuse.

D’autres biomarqueurs sont à l’étude comme la diversité du microbiote intestinal, moins élevée chez les patients Alzheimer que chez les patients sains, la modification des ondes cérébrales au cours du sommeil… Tout l’enjeu étant d’affiner la précision et la spécificité du diagnostic au plus tôt dans le décours de la maladie, si possible par des moyens rapides, non invasifs et peu coûteux. 

Univadis : Quelles sont les autres voies explorées en recherche clinique ?

M. Levy : Plusieurs voies sont explorées et devraient amener des avancées dans les prochaines années. De nouvelles immunothérapies visent maintenant les dégénérescences neurofibrillaires, notamment la protéine Tau. La neuro-inflammation suscite un véritable engouement dans le milieu de la recherche depuis une vingtaine d’années, car elle joue probablement un rôle important dans l’évolution de la maladie, via les cellules gliales, microglie et astrocytes notamment. La neuroprotection est une autre voie à l’étude. Les neurotrophines sont des facteurs de croissance qui contrôlent la prolifération et la survie des cellules neuronales et astrocytaires dans le cerveau. Elles apparaissent en quantité réduite dans la maladie d’Alzheimer et le fait de ramener ces facteurs neuroprotecteurs à un niveau normal pourrait permettre de restaurer un environnement plus favorable à la survie des neurones.

De nombreuses autres voies sont explorées en recherche comme l’hypothèse métabolique (dysfonctionnement mitochondrial et stress oxydatif), vasculaire (réduction du flux sanguin et perturbations de la barrière hémato-encéphalique), les facteurs de risque génétiques qui induiraient des modifications moléculaires impliquées dans la neuro-inflammation, la neurotransmission ou la neuroprotection, ou encore les facteurs propres à l’environnement du neurone. 

Univadis : De façon générale, comment notre compréhension de la maladie a-t-elle évolué ?

M. Levy : Des facteurs associés à la maladie ont été identifiés en dehors du système nerveux central. C’est pourquoi nous avons aujourd’hui une vision plus globale de la maladie d’Alzheimer, pas uniquement centrée sur les lésions cérébrales, mais ouverte aussi à un ensemble de dysfonctionnements du corps humain : microbiote intestinal, infections microbiennes (toxoplasmose, herpès), inflammation parodontale… La maladie étant multifactorielle, les traitements de demain seront nécessairement multiples. Ils seront aussi plus personnalisés, en fonction des phénotypes/génotypes particuliers de la maladie.