L’intelligence artificielle en médecine, continuité ou solution de continuité?

  • Serge Cannasse
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La médecine sera-t-elle révolutionnée par l’intelligence artificielle (IA), comme beaucoup l’annoncent ? Doctorant au Centre de recherche en gestion à l'École polytechnique (Paris), Joël Perez Torrents en doute fortement, avec des arguments solides.

Il constate d’abord que la plupart des progrès technologiques en médecine se sont déroulés progressivement et non par irruption d’un procédé nouveau. Il donne pour exemple la radiologie, un des principaux champs d’application de l’IA. Avec le temps, sa précision et sa facilité d’utilisation se sont améliorées et ses outils se sont transformés, depuis la découverte des rayons X en 1895 jusqu’à la mise au point de la tomodensitométrie.

Pour Joël Perez Torrents, « les hôpitaux sont réfractaires au changement », non pas intrinsèquement, mais d’abord parce qu’ils doivent trouver l’argent pour obtenir les outils d’IA et passer les obstacles administratifs pour débloquer le budget nécessaire. En outre, « plus la nouveauté est grande, plus les barrières s’élèvent dans le milieu médical en raison de sa prudence et de son attention à la sécurité. Le système médical recherche la précision, antagoniste de l’incertitude des innovations ».

Du temps et de l’argent

Un autre obstacle sérieux est qu’il faut non seulement de l’argent mais aussi du temps pour rassembler les données nécessaires pour alimenter un système autonome, d’autant que les cadres juridiques compliquent le processus. Pour ces raisons, les utilisateurs se rabattent souvent sur des données déjà disponibles, mais qui ont l’inconvénient de ne pas avoir été produites pour le système d’IA envisagé. Cela implique de « nettoyer » ces données « tout en faisant face à de nombreux obstacles : RGPD (règlement général sur la protection des données), accès aux autorisations, etc. ». Il faut enfin que des experts étiquettent ces données et aident les développeurs de l’outil à donner du sens à ces résultats. En définitive, « le champ d’application fonctionne mieux lorsque les tâches effectuées sont étroites » et les cas compliqués sont rarement traités (par exemple, la présence d’une prothèse mammaire, qui bloque fréquemment l’analyse par l’IA d’une mammographie).

Expérience clinique versus IA

L’exemple de la radiologie montre que les utilisations de l’IA restent « floues ». Ainsi, on peut envisager que des services d’urgence puissent l’utiliser pour la prise en charge de patients qui arrivent lorsqu’il n’y a pas de radiologue de garde, celui-ci vérifiant les résultats plus tard. Elle peut aussi servir à donner un second avis pour éviter un faux négatif. Toutefois, ce sont les radiologues seniors qui peuvent discerner, actuellement, la pertinence des résultats de l’IA, grâce à leur expérience. Si les juniors se fient uniquement à l’IA, il y a de fortes chances pour qu’ils n’acquièrent qu’imparfaitement cette expérience. Il y a donc un risque de diminution de l’expertise. Sans compter que les problèmes de responsabilité du soignant utilisant l’IA ne sont pas réglés.

En conclusion, pour Joël Perez Torrents, « la façon dont les applications de l’IA se développent a peut-être plus à voir avec les contraintes actuelles des services de santé (manque de personnel, de financement et de ressources) qu’avec les applications optimales pour la médecine en général ». Aussi, plaide-t-il pour des décisions collectives fondées sur le pragmatisme à propos de l’usage de ces outils. L’enjeu est de ne pas faire évoluer la médecine uniquement sur des bases technologiques.