Les infirmiers bientôt habilités à établir des certificats de décès ?

  • Christophe Gattuso

  • Nathalie Barrès
  • Actualités Médicales par Medscape
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Devant les difficultés observées dans certains territoires pour obtenir dans un délai raisonnable les certificats de décès jusqu’ici réservés aux seuls médecins, les infirmiers pourraient bientôt être autorisés à signer cet acte. Les députés ont approuvé en commission un amendement au projet de budget de la Sécurité sociale qui prévoit d’expérimenter cette mesure dans trois régions pendant trois ans. Jugée de bon sens par les infirmiers, cette évolution est en revanche diversement appréciée chez les médecins.

Expérimentation menée dans trois régions

Les familles endeuillées doivent parfois attendre très longtemps le passage d’un médecin pour obtenir le certificat de décès d’un défunt, indispensable pour entamer les démarches auprès des pompes funèbres qui prendront en charge la dépouille. Ces dernières années, la presse régionale regorge d’articles évoquant les délais d’attente, souvent insupportables. À tel point qu’en avril 2020 déjà, pendant la crise du Covid, les pouvoirs publics avaient par décret autorisé les médecins retraités, les praticiens à diplôme hors Union européenne (PADHUE) et les internes à partir de leur 2e année à établir les certificats de décès.

Ce sont désormais les infirmiers qui pourraient bientôt être habilités à réaliser cet acte exclusivement réservé aux médecins jusqu’à aujourd’hui. Les députés ont en effet adopté en commission des affaires sociales un amendement au PLFSS 2023 de Stéphanie Rist (LREM), médecin rhumatologue, qui prévoit d’autoriser, à titre expérimental et pour une durée de trois ans, les infirmiers à signer les certificats de décès. « Les frais relatifs à l’examen nécessaire à l’établissement du certificat de décès, réalisé au domicile du patient, sont pris en charge par le fonds d’intervention régional (FIR) », précise l’amendement. Les modalités de mise en œuvre de l’expérimentation, qui devrait être menée dans trois régions, avant une possible généralisation, feront l’objet d’un décret.

Une demande de longue date des infirmiers

Si elle était portée par l’Ordre infirmier et demandée de longue date par la profession, cette évolution s’était heurtée aux blocages des autorités. En 2019, Agnès Buzyn, alors ministre de la Santé, s’y était personnellement opposée. Les temps ont changé et les pouvoirs publics semblent désormais disposés à faire évoluer les contours du métier d’infirmier. La direction de l’Ordre infirmier salue une « évolution symbolique » et une « décision de bon sens car il n’y a pas de désert infirmier ».

La Fédération Nationale des Infirmiers (FNI) demande quant à elle depuis plusieurs années aux autorités un changement de la règlementation qui octroierait aux IDEL ayant accompagné un patient en fin de vie à domicile la possibilité d’établir son certificat de décès. En septembre dernier, après une énième affaire qui avait vu le certificat de décès d’un patient de Montpellier établi 11 h après sa mort, un administrateur de la FNI avait poussé un coup de de gueule repris dans de nombreux médias. « On peut comprendre dans le contexte que les médecins hiérarchisent leurs interventions en fonction d’urgences vitales mais n’est-il pas de la responsabilité de nos décideurs de changer les règles dans un monde qui bouge ? », s’insurgeait la FNI.

Le « oui mais » de l’Ordre des médecins

Chez les médecins, les réactions sont diverses. « Dans la très grande majorité des cas, les certificats de décès ne demandent pas de facultés particulières », observe le Dr Jean-Marcel Mourgues, vice-président de l’Ordre national des médecins, conscient que le sujet des certificats de décès est une « vraie problématique ». « Tout le monde est d’accord pour dire que les infirmiers sont compétents pour un décès simple. Les décès suspects peuvent en revanche appeler des compétences particulières comme de chercher des raisons directes du décès en cas de mort violente (suicide, homicide…). » Selon le responsable ordinal, une formation serait alors nécessaire. « Il faudrait un module pour sensibiliser les médecins et les infirmiers sur la détection de signes suspects qui les amèneraient à ne pas établir de certificats de décès et à faire appel au procureur.

Du côté du syndicat MG France, majoritaire chez les généralistes, l’évolution réglementaire passe mal. « Cela fait des années qu’on ne paie pas les médecins pour établir le certificat de décès, or cela prend du temps, observe Agnès Giannotti, sa présidente. Aujourd’hui, cet acte n’est réglé 100 euros aux praticiens qu’aux horaires de la PDSA et en zone sous dense. Et on veut le régler aux infirmiers ? » La possibilité offerte aux infirmiers de réaliser ces actes pose question à la cheffe de file de MG France. « En Ehpad, est-ce l’infirmier qui a suivi le patient qui va établir le certificat à sa mort ? Ce ne serait pas logique. »

Un examen clinique pas si simple, selon le CNP de médecine légale

Sollicité par Medscape Édition française, le Conseil national professionnel (CNP) de médecine légale et expertise médicale se dit « surpris de cette décision non concertée ». « La signature d'un certificat de décès repose sur un examen clinique, qui n'est pas toujours aussi simple qu'il y paraît, et les erreurs de diagnostic engendrent des situations délicates, affirme le CNP. Il est important d'encadrer ce texte en limitant strictement cette délégation aux situations des décès "attendus". »

Le Conseil estime par ailleurs essentiel, avant la mise en place de cette expérimentation, que des formations spécifiques soient prévues pour les personnels concernés, qui seraient confiées aux médecins légistes, « après élaboration d'un programme de formation en s'appuyant sur les compétences des enseignants de médecine légale ».

Cet article a été écrit par Christophe Gattuso et initialement publié sur Medscape.