Les Hospices civils de Lyon refabriquent un traitement disparu et sauvent plusieurs vies

  • Anne-Gaëlle Moulun

  • Actualités Médicales par Medscape
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Une équipe hospitalo-universitaire fabrique de la fumagiline, un traitement ancien qui retrouve un intérêt aujourd'hui.

Face au cas d’un jeune patient greffé que seule la fumagilline – un antiparasitaire qui n’est plus produit – pouvait sauver, plusieurs équipes des HCL se sont démenées pour refabriquer le traitement[1].

« La fumagilline est un traitement du passé qui assure un avenir à nos patients », explique le Pr Fabrice Pirot, pharmacien et responsable de Fripharm, la plateforme hospitalo-universitaire de fabrication, de recherche et d'innovation pharmaceutique de la pharmacie de l’hôpital Édouard-Herriot à Lyon. Grâce à un élan de solidarité exceptionnel, Fripharm a pu recréer le médicament et sauver 28 patients à travers toute la France.

L’histoire est belle : en 2020, la Dr Noémie Laverdure, du service d’hépatologie, gastroentérologie et nutrition pédiatriques de l’hôpital Femme-Mère-Enfant de Lyon, est confrontée aux troubles du transit à répétition d’un jeune patient greffé de foie, Raphaël, 15 ans. Après analyses par la Dr Meja Rabodonirina, biologiste spécialisée en parasitologie, il s’avère qu’il est contaminé par un champignon de la famille des microsporidies, Enterocytozoon bieneusi. Ce champignon provoque des diarrhées sévères qui peuvent engager le pronostic vital chez des patients immunodéprimés comme Raphaël. Seul traitement possible pour le guérir : la fumagilline, un antiparasitaire utilisé depuis les années 50.

Derniers stocks écoulés en mars 2020

Problème : la production de ce médicament a cessé en 2019 et les derniers stocks de fumagilline des Hospices civils de Lyon ont été utilisés en mars 2020. Une chaîne de solidarité se met alors en place entre plusieurs services des Hospices civils de Lyon, le centre national de référence des microsporidioses du CHU de Clermont-Ferrand et les pharmaciens de Fripharm. Ils sont sollicités pour trouver de la matière première afin de refabriquer ce traitement. « Nous avons contacté des fournisseurs indiens, chinois, européens. Nous avons fait le tour du monde pour essayer de trouver un stock de matière active ! », témoigne pour Medscape le Dr Camille Merienne, pharmacien responsable du laboratoire de contrôle de Fripharm. L’équipe finit par appendre qu’un stock de 300 g de matière première destiné à la destruction est disponible en Hongrie. « Nous avons pu identifier un site de production qui détenait ce reliquat. Ils ont accepté de nous livrer la matière première. Sans leur aide, nous n’aurions rien pu faire », souligne-t-il.

Médicament personnalisé

La molécule du principe actif étant très sensible à la lumière et à la chaleur, elle est conservée à -80°C pour le transport. Avec cette matière première, les pharmaciens de Fripharm fabriquent un médicament personnalisé sous forme de suspension buvable. « Nous avions trois patients à Lyon qui étaient dans un état critique. L’un des trois est décédé le temps que nous trouvions la matière première. Pour les deux autres, après 15 jours de traitements, le parasite a disparu de leurs selles. Au bout d’un mois leurs muqueuses intestinales se sont reconstituées et au bout de trois mois, ils ont repris un transit normal », détaille le Pr Pirot.

La nouvelle s’est ensuite répandue et d’autres patients de Lyon, Grenoble, Clermont-Ferrand, Paris, Bordeaux, Rennes, Nantes, ont pu être soignés grâce à la fumagilline fabriquée par Fripharm. « Sur 18 mois, nous avons pu traiter 28 patients », indique le Pr Pirot.

Pérenniser la production

Mais les 300 g de principe actif récupérés en Hongrie ne seront pas éternels et les pharmaciens de la plateforme s’inquiètent de la pérennisation de cette fabrication. « Les étapes à venir sont de trouver un partenariat avec un producteur de principe actif. Une fois que nous l’aurons, nous savons faire la préparation », assure le Pr Pirot. Deux laboratoires de chimie se sont d’ores et déjà montrés intéressés. « Nous sommes actuellement en train d’effectuer des analyses de faisabilité. Ensuite, il faudra faire un chiffrage, puis trouver des financements », prévoit-t-il. « Quand nous aurons la matière première, nous pourrons refaire du médicament sur notre territoire, voire en proposer aux autres pharmacies européennes », envisage le Pr Pirot.

« La fumagilline que nous avons réussi à recréer au sein des HCL revêt une importance cruciale. Sans ce remède, les patients immunodéprimés, dont l’ensemble des patients greffés, victimes de microsporidies n’ont presque aucune chance de s’en sortir. Il faut trouver des solutions par tous les moyens, que ce soit auprès des autorités publiques ou du secteur privé. Il est impensable de ne pas sauver de patients alors que nous savons comment faire », conclut le Dr Rabodonirina, dans un communiqué[1].

Cet article a été écrit par Anne-Gaëlle Moulun et initialement publié sur Medscape.