Les cardiologues américains s’inquiètent après la révocation du droit à l’avortement

  • Steve Stiles

  • Nathalie Barrès
  • Actualités Médicales par Medscape
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Depuis l'annulation du droit fédéral à l'interruption médicale de grossesse, de nombreux médecins américains entrent en territoire inconnu.

 

L'interruption médicale de grossesse faisait partie du panel de soins courants aux États-Unis depuis la jurisprudence « Roe contre Wade » de la Cour suprême en 1973. Certaines spécialités, dont la cardiologie, pourraient être particulièrement concernées par l'annulation du droit fédéral. « Nous savons que l'augmentation du taux de mortalité maternelle est principalement liée aux maladies cardiovasculaires, aux femmes qui ont des enfants plus âgées et qui présentent des facteurs de risque comme l'hypertension, le diabète et l'obésité », explique la Dr Jennifer H. Haythe (programme cardio-obstétrique du New York-Presbyterian/Columbia University Irving Medical Center, New York).

Cette décision « va avoir un effet considérable sur les femmes qui ne sont peut-être pas en mesure de tolérer une grossesse », a-t-elle ajouté. La question de savoir s'il faut interrompre une grossesse « est une discussion relativement fréquente que j'ai avec les femmes souffrant d'une insuffisance cardiaque sévère au sujet du risque de décompensation, de décès ou de la nécessité d'une transplantation cardiaque ou d'une pompe après l'accouchement, ou chez les femmes souffrant d'hypertension pulmonaire et à risque de décéder ».

La décision de la Cour suprême « est une attaque directe contre la pratique de la médecine et contre le caractère sacré de la relation médecine-patient », commente la Dr Rachel M. Bond, , directrice du Women's Heart Health Systems Dignity Health of Arizona.

Les médecins prêtent le serment « de ne pas nuire à leurs patients, et dès que la loi ou la gouvernance interfère, cela nous place dans une situation de grande vulnérabilité », précise-t-elle. « En tant que cardiologue qui s’occupe beaucoup de grossesses à haut risque, je suis inquiète ».
Certains de ses collègues obstétriciens dans les États où l'avortement est devenu illégal « ne savent pas quoi faire », témoigne la Dr Bond. Nombre d'entre eux ont demandé conseil à des juristes « et ils essaient maintenant de déterminer quelle est la meilleure voie à suivre ».

La grossesse est « un test de stress cardiovasculaire très important, et les femmes qui peuvent tolérer certaines maladies raisonnablement bien en dehors de la grossesse peuvent présenter de graves complications une fois enceintes, non seulement pour la mère, mais aussi pour le bébé », indique la Dr Ki Park (Université de la santé de Floride, Gainesville).

« En tant que médecin, aucun d'entre nous n'aime recommander un avortement pour des raisons médicales. Mais, il s'agit de santé, là où le risque pour la mère est excessivement élevé et où le risque de mortalité est élevé », précise la Dr Park, qui est aussi coprésidente du groupe de travail sur la cardio-obstétrique de l'American College of Cardiology.

Certaines pathologies, telles que l'hypertension pulmonaire et la sténose sévère de la valve aortique, sont reconnues comme étant à très haut risque pendant la grossesse, et il existe divers outils pour aider les médecins à stratifier le risque. « Mais, il y a aussi beaucoup de zones grises où les patientes n’entrent pas dans les catégories de ces scores de risque ».

Les discussions médecin-patiente lors des grossesses à haut risque « sont déjà compliquées […] Les patientes veulent avoir des options, et elles se tournent vers nous, médecins, pour que nous les guidions par rapport à leurs risques. Si l'avortement n'est pas disponible, alors nous perdons une partie de nos options pour prendre en charge la mère. »

Dans ce nouveau climat juridique, les médecins des États où l'avortement est illégal voudraient mettre davantage l'accent sur le conseil préconceptionnel, afin que davantage de leurs patientes à haut risque soient conscientes des nouveaux obstacles à l'interruption de grossesse.

« Malheureusement », souligne la Dr Haythe, « de nombreux États qui vont rendre ou ont rendu l'avortement illégal ne transmettent pas ce type de conseils préconceptionnels ou de prises en charges prénatales aux femmes ».

Les cardiologues l'évoquer auprès de leurs patientes en âge de procréer qui présentent des troubles cardiaques à haut risque, « mais toutes les femmes ne savent pas qu'elles ont un problème cardiaque lorsqu'elles débutent une grossesse, et elles ne se font pas dépister pour des problèmes cardiaques lorsqu'elles sont en âge de procréer », insiste la Dr Haythe.

« Parfois, on ne sait pas si les problèmes auraient pu être détectés avant que la femme soit enceinte et qu'elle ait commencé à avoir des symptômes. » Par exemple, « beaucoup de femmes ayant un faible accès aux soins ont une cardiopathie rhumatismale. Elles peuvent n'avoir aucune idée qu'elles ont une sténose aortique sévère, et ce n'est qu'au deuxième trimestre qu'elles commencent à se sentir vraiment essoufflées. Souvent, cela peut être traité dans le laboratoire de cathétérisme, mais encore une fois, cela met la femme et le bébé en danger ».

Les cardiologues des États où l'avortement est illégal continueront à proposer cette option à leurs patientes ayant une grossesse à haut risque mais il faudra que les femmes trouvent un État où l’avortement est légal.

Selon la Dr Park, cette situation, où l'avortement est recommandé mais non disponible localement, peut être assimilée à n'importe quel autre contexte où un patient souhaite un deuxième avis. Si un centre « n'a pas la capacité ou la technologie pour offrir un certain traitement, le patient peut choisir de demander un autre avis dans un autre centre », indique-t-elle. « Les patients se déplacent souvent hors d’un État pour obtenir les soins dont ils ont besoin ».

Toutefois, l'obligation de se déplacer hors de l'État pour obtenir un avortement risque d'aggraver les disparités socio-économiques en matière de soins de santé, observe la Dr Bond, « car nous savons que les personnes à faible revenu ne pourront pas se permettre ce déplacement […] Cette décision isolera spécifiquement les populations pauvres, socioéconomiquement défavorisées et minoritaires, creusant les écarts déjà importants en matière de soins de santé pour nos communautés les plus vulnérables », peut-on lire dans une déclaration de l’Association of Black Cardiologists (ABC), signée par la Dr Bond.

« La perte de protections soutenant […] l'avortement est susceptible d'avoir un impact réel sur le taux de mortalité maternelle, en particulier chez les femmes souffrant d'affections cardiovasculaires congénitales et/ou acquises, pour lesquelles les recommandations fondées sur les preuves préconisent parfois l'interruption de ces grossesses à haut risque », indique l’ABC qui « estime que chaque femme, et chaque personne, devrait avoir le droit de bénéficier de soins sûrs, accessibles, légaux, opportuns, centrés sur le patient, équitables et abordables. »

De son côté, l'American College of Cardiology (ACC) publié une déclaration le 24 juin, signée par son président, le Dr Edward T.A. Fry ainsi que par cinq présidents honoraires de l'ACC. « Bien que l'ACC n'ait pas de politique officielle sur l'avortement, les recommandations de pratique clinique et d'autres outils cliniques font mention des dangers liés à la grossesse dans certaines populations de patientes présentant un risque plus élevé de décès ou d'événements cardiaques graves », note l’ACC qui ajoute être « profondément préoccupé par les implications potentielles de la décision de la Cour suprême sur la capacité des patientes et des médecins à s'engager dans d'importantes discussions partagées sur la santé maternelle, ou à supprimer des options de soins auparavant disponibles. »

Cet article a été écrit par , initialement publié sur Medscape.com et repris/traduit par Aude Lecrubier pour Medscape France.