Le vaccin peut contrer la vitesse du variant delta (Interview du Pr Michel Goldman, Bruxelles)

  • Maxime Coppin

  • Nathalie Barrès
  • Actualités Médicales de MediQuality
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Interview du Pr Michel Goldman, immunologue (ULB) à Bruxelles et Président-cofondateur de l'Institut pour l'innovation interdisciplinaire en santé de l'ULB.

Le variant delta a envahi la planète en quelques semaines, affolant les prévisions, fissurant les plans de relance, bousculant les marchés boursiers. Les Pays-Bas reviennent en arrière sur la levée des mesures, la France réimpose le port du masque sur ses côtes, la Belgique se tâte malgré un taux de reproduction du virus en hausse.

« Le variant delta est deux à trois fois plus transmissible que le virus originel venu de Chine. Cela signifie que dans les mêmes conditions de précaution, vous avez deux à trois fois plus de risque d'être contaminé par ce variant. Le variant delta surpasse aussi le variant alpha - anciennement appelé variant britannique -, qui avait déjà alerté du fait de sa contagiosité accrue.

En fait, nous avons pratiquement affaire à un nouveau virus, même s'il reste sensible aux vaccins disponibles pour autant que l'immunisation soit complète. Dans une étude récente, des chercheurs rapportent que les personnes infectées par le variant delta avaient des charges virales jusqu'à 1.260 fois supérieures à celles des personnes infectées par la souche d'origine, » explique Michel Goldman.

Pour lui, « la course actuelle à la vaccination doit absolument être gagnée dans les semaines à venir si l'on veut éviter à l'automne une nouvelle vague dévastatrice qui pourrait favoriser l'émergence de nouveaux variants encore plus menaçants. »

 

Des mutations qui touchent la protéine spike

Le variant delta semble aussi davantage mortel. « Les variants émergent suite à des mutations qui correspondent à des erreurs de copie de l'ARN viral, erreurs inévitables lorsque le virus se multiplie. » Lorsque ces mutations augmentent le potentiel infectieux du variant, celui-ci prend le pas sur les autres.  « Dans le cas du virus delta, les mutations touchent notamment la protéine spike, la clé utilisée par le virus pour envahir nos cellules.

La protéine spike mutée va ouvrir plus aisément la serrure que représente le récepteur ACE2 à la surface des cellules de notre arbre respiratoire et aussi faciliter la fusion entre le virus et la membrane de ces cellules. La transmission du virus d'une cellule à l'autre et d'un individu à l'autre s'en trouve grandement facilitée, » explique le Professeur émérite.  

La protéine spike étant la cible principale des anticorps produits en réponse à l'infection ou aux vaccins, les mutations peuvent aussi modifier l'efficacité des réponses immunitaires. « Heureusement, les mutations ont eu jusqu'ici beaucoup moins d'impact sur l'action protectrice des anticorps que sur la transmissibilité du virus. »

 

La Banque centrale européenne rassurée « pour le moment »

De quoi rassurer, mais seulement pour le moment, les autorités financières. Pour la Banque centrale européenne, si la reprise dans la zone euro est en bonne voie, « la pandémie continue de jeter une ombre, le variant delta constituant une source croissante d'incertitude, » reconnaît sa Présidente Christine Lagarde. « Certes, de plus en plus de personnes se font vacciner et les restrictions ont été allégées dans la plupart des États-membres. Mais la remontée des contaminations pourrait freiner le redémarrage dans les services et le tourisme, particulièrement important en France et dans le sud de l'Europe. »

D'autant que des études récentes confirment la résistance relative du variant delta aux anticorps, qu'ils s'agissent de ceux produits naturellement ou après vaccination. C'est pour cette raison qu'il faut deux doses de vaccin pour protéger efficacement contre ce variant, comme vient de le rappeler l'Agence européenne des médicaments (EMA).

« Du fait de leur contact antérieur avec le virus, ceux qui ont fait la Covid-19 seront déjà protégés après la première dose du vaccin. Mais ceux qui n'ont pas encore contracté la maladie ne seront protégés qu'après la deuxième dose, qui est indispensable. Il n'y a donc pas de temps à perdre face à la résurgence des cas d'infection par ce variant hautement infectieux. »

 

« La quatrième vague, elle est déjà là »

« En fait, le variant delta change fondamentalement la donne en termes d'immunité collective. Il nécessitera d'atteindre une couverture vaccinale globale plus importante que celle annoncée initialement, sans doute de l'ordre de 80% au minimum, y compris parmi ceux qui ont fait la Covid-19 puisqu'ils ne seront pas protégés par l'immunité naturelle seule. Si l'objectif est de se débarrasser complètement du virus, il faudra donc obtenir aussi l'adhésion à la vaccination des mineurs. Un fameux défi !

À défaut, il faudra apprendre à vivre avec un virus vis-à-vis duquel il sera indispensable que les plus vulnérables soient protégés si l'on veut éviter une nouvelle surcharge hospitalière. En fait, si l'on veut éviter d'être submergé par la 4e vague qui surgit déjà dans certains pays voisins, il est nécessaire de repenser dès aujourd'hui toute notre stratégie vaccinale pour affronter efficacement le variant delta.

Je plaide pour l'administration dès maintenant d'une dose supplémentaire de vaccin ARN (Pfizer, Moderna) chez toutes les personnes dont le système immunitaire est affaibli, particulièrement si elles ont été immunisées par un vaccin à vecteur adénoviral (AstraZeneca ou Johnson & Johnson), compte tenu de leur efficacité moindre vis-à-vis du variant delta mais aussi du variant beta (variant sud-africain) qui est présent en France. »

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Ugur Sahin et Özlem Türeci, les inventeurs du vaccin Pfizer, affirment pouvoir mettre au point un vaccin adapté au variant delta et aussi aux futurs probables variants en 100 jours seulement. « La technologie qu'ils ont mise au point est aboutie, » souligne Michel Goldman. « Il ‘suffit' de changer quelques nucléotides dans l'ARN du vaccin, cela peut être fait très vite. Car la 4e vague, elle est déjà là !

Au Royaume-Uni, en France, aux Pays-Bas, en Allemagne, tous les indicateurs sont en hausse spectaculaire. Chez nous, le taux de reproduction du virus est aussi en hausse et le nombre d'entrées à l'hôpital ne diminue plus. Pour autant, on peut espérer que cette vague ne va pas nous submerger si l'on optimise encore la stratégie vaccinale dans les semaines à venir. »

Cet article a initialement été publié sur le site internet MediQuality.