La Réunion : comment la dengue passe d’une épidémie à une endémie

  • Caroline Guignot
  • Résumé d’article
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À retenir

  • Selon les chiffres issus de la surveillance conduite sur l’île de La Réunion, une augmentation de l’incidence des cas de dengue a été observée entre 2018 et 2021, avec toutefois des évolutions différentes selon la zone considérée. Les épidémies ont eu un impact limité jusqu’en 2020, mais le nombre de cas et de cas graves a augmenté, y compris chez les enfants.
  • Au vu des chiffres relevés, « malgré des données limitées, il semble que, des Seychelles à Madagascar ou aux Comores, des épidémies de dengue se produisent régulièrement et que la maladie devienne endémique », rapportent les auteurs, alertant du fait que « de nouveaux virus de la dengue pourraient émerger sur l'île de la Réunion ». Ils suggèrent qu’une étude de séroprévalence soit conduite pour obtenir des informations sur la performance de la surveillance épidémiologique actuellement en place. « Les épidémies de dengue à La Réunion sont également préoccupantes pour la France métropolitaine, où le vecteur Ae. albopictus est bien implanté et où une transmission locale a lieu chaque année. » Les voyageurs doivent donc être sensibilisés et les cliniciens envisager un diagnostic de dengue face à une fièvre inexpliquée au retour d’un voyage.

Pourquoi est-ce important ?

Aedes albopictus est le principal vecteur du virus de la dengue sur l’île de La Réunion. Il existe quatre sérotypes de la dengue (DENV1, 2, 3 et 4) chez l'homme. Après infection, l'immunité contre le sérotype incriminé persiste toute la vie, mais est transitoire pour les autres. Le risque de forme grave est plus fort en cas d'infections secondaires, et lorsque l'intervalle entre les infections est plus long. Il n'existe pas de traitement antiviral spécifique, mais la prise en charge adaptée des cas les plus graves est associée à un bon pronostic. Par ailleurs, un vaccin est disponible depuis 2018, mais il nécessite une infection préalable et devrait être complété par un vaccin vivant atténué, récemment autorisé par l'EMA et ne nécessitant pas d’infection préalable.

Sur l’île de La Réunion, localement, les quarante dernières années ont été caractérisées par des cas essentiellement sporadiques, mais la transmission du virus de la dengue a repris à partir de l'hiver 2017. Depuis, des épidémies saisonnières surviennent régulièrement. Afin d’évaluer l’évolution épidémique au cours des années, des chercheurs ont exploité les données du système de surveillance des arbovirus qui est en place localement.

Méthodologie

La dengue est une maladie à déclaration obligatoire et les données sont compilées par le système de surveillance. Le suivi épidémiologique permet de localiser précisément et rapidement les foyers de circulation virale et de mettre en place des mesures ciblées de lutte antivectorielle. Par ailleurs, le laboratoire national de référence des arbovirus de l'île de La Réunion assure la surveillance des sérotypes au cours des phases interépidémiques, épidémiques (à partir d’échantillons représentatifs) et, dans la mesure du possible, les cas importés, sévères, mortels, et/ou atypiques. Enfin, le réseau Sentinelles de médecins généralistes permet d'estimer le nombre de cas d’un syndrome évocateur de type dengue pendant les périodes épidémiques, tandis que les données de l'Organisation de la Surveillance Coordonnée des Urgences (OSCOUR) et des principaux hôpitaux permettent d’estimer l'activité liée à la dengue dans les services d'urgence et hospitaliers respectivement.

Principaux résultats

Entre 2018 et 2021, quatre foyers saisonniers de dengue d'intensité croissante ont été détectés à La Réunion, tous commençant rapidement en semaines 8 et 9, atteignant un pic entre les semaines 16 et 19 et diminuant rapidement en semaines 24 et 25 (début de l'hiver).

Le taux de notification des cas de dengue est passé de 784 à 3.417 pour 100.000 entre 2018 et 2021(diminution en 2020 liée au confinement dû au Covid-19). En 2021, 60.000 cas ont été notifiés. Le nombre de cas pédiatriques a augmenté de 8% à 15% entre 2018 et 2021. Plus de 10% de la population de deux villes de l’ouest, la zone la plus touchée, ont été infectés en 2021. Si le nord et l’est le sont moins, le nombre de notifications a toutefois été multiplié par trois ou cinq dans deux villes. Par ailleurs, 150.000 cas évocateurs ont été notifiés au cours de la période analysée. Le nombre de tests PCR positifs a aussi augmenté de 28 à 38% sur la période.

Alors que le DENV2 était le seul sérotype détecté parmi les cas autochtones en 2018, les sérotypes DENV1 et DENV3 ont été isolés pour la première fois en 2019, le premier étant devenu dominant à l’ouest de l’île. En 2021, les sérotypes DENV2 et DENV3 n’ont pas été identifiés.

Le nombre de visites aux urgences liées à la dengue a été multiplié par 10 sur la période, représentant 0,3% de l’activité en 2018 et 3,4% en 2021. Le nombre d’hospitalisations liées a augmenté, représentant 2% des cas en 2018, et 4% en 2021. La proportion des cas graves est passée de 0,4% à 0,8% sur la période, mais le nombre d'admissions en soins intensifs a diminué de moitié. La plupart des cas graves présentaient une atteinte des organes cibles. Le taux de mortalité était plus élevé dans les formes secondaires (0,22% contre 0,09%, p=0,004). Le nombre de décès sur toute la période a été de 75 cas.