La réglementation française entrave la réponse au risque épidémique

  • Caroline Guignot
  • Résumé d’article
L'accès à l'intégralité du contenu de ce site est reservé uniquement aux professionnels de santé disposant d'un compte. L'accès à l'intégralité du contenu de ce site est reservé uniquement aux professionnels de santé disposant d'un compte.

En France, la réglementation actuelle en matière de gestion d’une liste d’agents infectieux, baptisée MOT (micro-organismes et toxines), a été adoptée à la suite des attentats du 11 septembre 2001 pour lutter contre le bioterrorisme. La traçabilité imposée par cette réglementation a conduit les laboratoires à gérer de manière plus rationnelle le matériel à risque et permet de mieux maîtriser le contrôle et la connaissance de la circulation des virus, bactéries et toxines sur le territoire, ce qui a indubitablement réduit le risque de dissémination accidentelle depuis les laboratoires manipulant ces MOT. Mais en cherchant à limiter les risques, cette réglementation compromet gravement les capacités du pays à lutter contre les épidémies.La Société française de virologie (SFV) et la Société française de microbiologie (SFM) insistent pour que les pouvoirs publics suivent les recommandations évoquées par deux rapports successifs, et modifient profondément certains éléments clés de cette réglementation.

Contraintes

La réglementation MOT est très contraignante vis-à-vis des laboratoires qui manipulent un ou plusieurs des 45 agents infectieux listés : l’autorisation nominative est délivrée pour cinq ans maximum par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) à un « titulaire » (sur qui repose la responsabilité pénale) après dépôt d’une demande d’autorisation présentant les manipulations prévues, les matériels et locaux utilisés, les mesures de sûreté et de sécurité (traçabilité, inventaire exhaustif…). De plus, l’accès au matériel MOT à d’autres personnes nécessite une autorisation de l’ANSM délivrée après enquête administrative qui est compliquée lorsque le demandeur n’est pas de nationalité française de naissance. Enfin, chaque autorisation est spécifique à un MOT et aux locaux figurant dans la demande. Il faut enfin noter que ces mesures s’appliquent non seulement au matériel infectieux, mais également aux fragments issus de ces agents (matériel génétique >500 nucléotides, lysats, plasmides, …) et matériel biologique inactivé en provenant.

Absence de réactivité en cas d’épidémie

La détection précoce d'un agent pathogène est essentielle pour circonscrire une épidémie et prendre en charge les personnes infectées. Pourtant, en pratique, si un laboratoire clinique détecte un micro-organisme inscrit sur la liste MOT, il n'a pas les autorisations nécessaires pour le détenir et le manipuler. Il dispose d’une exemption temporaire de 30 jours pour obtenir les autorisations ou doit les transférer à un laboratoire autorisé. Ces dispositions ont entravé le processus de diagnostic et de suivi de l'épidémie de Monkeypox en 2022.

La situation est plus inquiétante encore pour les échantillons environnementaux. En l’absence d’exemption, un laboratoire qui détecterait un MOT serait directement en infraction. Les laboratoires se retrouvent donc confrontés à un dilemme : obtenir une autorisation pour tous les MOT (administrativement lourd), ou ne pas mettre en œuvre d'analyse susceptible de détecter fortuitement l’un de ces agents infectieux.

Et si une épidémie survient, il est impossible pour les laboratoires autorisés de faire appel à des laboratoires ou plateformes qui ne le seraient pas, ni même de mobiliser en interne du matériel et du personnel supplémentaires qui n’auraient pas été intégrés dans l'autorisation initiale. Ces mesures limitent la possibilité d’augmenter les capacités de diagnostic ou de séquençage pour traiter un plus grand nombre d'échantillons, ce qui nuit à l'adaptabilité et la réactivité indispensable à avoir face à une épidémie.

Recherche clinique et collaborations entre laboratoires complexes

Les laboratoires de recherche ont des difficultés à échanger du matériel, infectieux ou non, issus de ces MOT, même entre titulaires autorisés, car chaque cession ou acquisition de matériel doit faire l'objet d'une demande auprès de l'ANSM, nécessitant notamment des échanges postaux dont les délais ne sont pas adaptés à l’urgence. Quant à l'importation ou l'exportation, les démarches administratives et douanières sont lourdes.

La recherche en elle-même est limitée, car les règles imposées pour assurer la traçabilité et la sécurité de chaque prélèvement ou échantillon sont très lourdes, y compris pour le matériel non infectieux issus de ces MOT. Elles rendent ainsi les travaux de recherche très complexes à conduire, avec un surcoût supplémentaire. Les collaborations internationales sont d’autant plus difficiles à envisager ou conduire. La recherche fondamentale, pourtant indispensable face à ces menaces avérées, s’en trouve entravée.

Une inertie inexpliquée

« Alors que les modifications à apporter sont proposées de façon unanime, depuis des années, par tous les experts consultés (...) et après que l’épidémie de Monkeypox a démontré les blocages qu’induit la réglementation actuelle, la SFV et la SFM s’étonnent de l’inertie des pouvoirs publics sur le sujet » conclut le texte, rappelant les principales évolutions réglementaires proposées par deux rapports récents : celui émis par le Haut Conseil des biotechnologies (HCB) en 2019, suite à la saisine de l’ANSM et celui de 2022 émis par un groupe de travail formé sur saisine de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses).

Parmi ces propositions, apparaît notamment la modification de la définition des "parties de MOT" qui ne devrait pas être rigide mais résulter d'une évaluation des risques au cas par cas, l’exclusion de cette liste des virus dépourvus de séquences génétiques leur conférant leur virulence ou les bibliothèques de séquençage à haut débit non clonées. Une autre proposition consisterait à sortir temporairement un virus de la liste des MOT en cas d'épidémie.