La précarité menstruelle, un enjeu politique et commercial

  • Serge Cannasse
  • Actualités Médicales
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La précarité menstruelle, définie par l’association Règles Élémentaires comme « la situation vécue par toute personne qui éprouve des difficultés financières à disposer de suffisamment de protections périodiques pour se protéger correctement pendant ses règles » toucherait 4 millions de personnes menstruées en France et 31% des femmes menstruées âgées de 18 à 50 ans. Comme l’indique Alice Riou sur le site The Conversation, l’attention publique a de nouveau été attirée sur ce problème par l’annonce d’Élisabeth Borne, première ministre, du remboursement des protections périodiques réutilisables, et sans ordonnance, pour les moins de 25 ans à partir de 2024. Il ne s’agit pas de la première initiative politique sur le sujet.

Des initiatives politiques depuis quelques années

En novembre 2015, le Sénat a voté le passage de la TVA appliquée aux protections périodiques de 20% à 5,5%, les reconnaissant ainsi comme des produits de première nécessité. La baisse de prix attendue n’a cependant pas été effectuée par certains distributeurs, que la loi n’obligeait pas.

En 2019, le gouvernement français s’est rallié à la proposition d’une Journée mondiale de l’hygiène menstruelle, préconisée par l’organisation non gouvernementale WASH (Water, sanitation and hygiene) depuis 2014. Elle est fixée internationalement à chaque 28 mai : 28 symbolise le nombre de jours d’un cycle menstruel et mai, cinquième mois de l’année, celui d’une menstruation.

En 2020, Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations, et Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre de la Santé et des Solidarités, ont annoncé l’expérimentation de la gratuité des protections hygiéniques dans plusieurs lieux collectifs pour un budget d’un million d’euros, porté à cinq millions en 2021. Puis Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, a mis en place la gratuité des protections dans les universités. Cependant, le déploiement reste à ce jour incomplet. À titre de comparaison, en Écosse, toutes les femmes ont accès à des protections périodiques gratuites et géolocalisables par l’application mobile PicqUpMyPeriod.

Les distributeurs ne sont pas menacés par la gratuité

Les stratégies marketing pour promouvoir ces protections répondent encore à plusieurs tabous. Ainsi, leur couleur de prédilection est le bleu, plutôt que le rouge, jugé indécent. Les mots « hygiène » et « protection » sont souvent évités car ils évoquent la saleté ou la menace. En revanche, la tendance des réseaux sociaux est de montrer les règles afin de les accepter. Ce sont les produits réutilisables qui stimulent les ventes, par exemple les coupes menstruelles en silicone ou les culottes de règles. 


La gratuité annoncée va-t-elle compromettre le marché des produits vendus en grande surface ? Alice Riou propose d’examiner ce qui s’est passé avec celui des préservatifs, produits eux aussi intimes, après l’annonce de leur remboursement sur prescription médicale (2018), puis sans prescription pour les moins de 26 ans (1er janvier 2023). Sur 113 millions vendus chaque année en France, 4 millions ont été remboursés les trois premiers mois de l’année 2023, ce qui représente une faible proportion du total des ventes. Ainsi, « les grandes surfaces n’ont pas connu d’écroulement de leurs ventes en raison du remboursement en officine, ni l’émergence d’un marché noir, » grâce à la mise en avant d’un « storytelling attirant pour les jeunes », voire leur association avec des influenceurs. Cela étant, le remboursement annoncé porte sur les protections réutilisables, qui ne sont pas toujours les plus pratiques et sont de loin les moins utilisées. 

Ironiquement, Alice Riou avertit que la plus grande menace pesant sur les distributeurs pourrait bien être la mode du « free bleeding », consistant à ne porter aucune protection pendant les règles !