La place et le rôle des complémentaires santé en question

  • Serge Cannasse
  • Editorial
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En France, les complémentaires santé (mutuelles, instituts de prévoyance ou sociétés d’assurance) couvrent une large partie des dépenses maladie (13,7%), ce qui est bien plus important que dans les autres pays européens. La réforme du « 100% santé » a mis l’accent sur les soins dentaires, d’optiques et audioprothétiques, mais elles interviennent de fait dans tous les domaines, en particulier les soins de ville et hospitaliers et le remboursement des médicaments. Aujourd’hui, elles couvrent 96% de la population contre le risque maladie. Pour les défenseurs de ce système original, la combinaison des assurances maladie obligatoires et complémentaires explique que le reste à charge soit le plus bas d’Europe (6,9% en moyenne) pour un niveau de protection parmi les meilleurs.

Mais le système n’a pas que des vertus. Il est coûteux : financement de l’aide à l’accès aux complémentaires, frais de gestion administratifs des complémentaires supérieurs et souvent redondants à ceux de l’assurance obligatoire. Il est en partie inégalitaire : meilleure couverture des salariés du privé, cotisations augmentant avec l’âge, poids élevé des cotisations pour les ménages pauvres, proportion encore élevée de la population ne bénéficiant pas d’une complémentaire avec en corollaire un moindre recours aux soins. Il est complexe, pour les administrations concernées comme pour les bénéficiaires, qui ont souvent du mal à s’orienter dans les différentes offres. Il pose des problèmes d’organisation des soins, notamment avec le développement des réseaux de santé par les complémentaires.

Ces constats ont été posés, depuis plusieurs années, par de nombreux experts. Ils sont partagés par la Cour des comptes, qui vient de rendre un rapport sur le sujet à la demande de la Commission sociale du Parlement, et par le Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM), qui a publié un document de travail en janvier 2021 et devrait formuler des propositions prochainement.

Leur apparente simplicité ne doit pas masquer leur très grande complexité technique, qui donne lieu à des débats soutenus dans les milieux informés et les parties prenantes. Quelques minoritaires proposent d’abolir le système au seul profit d’une assurance publique obligatoire ou au contraire de structures privées. La majorité souhaite le conserver, mais en le réformant. En effet, comme l’énonce le HCAAM, sa force est qu’il permet d’associer les vertus de l’assurance publique obligatoire (universalité et solidarité) à celles de l’initiative privée (adaptation aux besoins et stimulation par la concurrence).

À condition d’être bien conçu. Plusieurs options sont alors possibles. Celles de la Cour sont de mettre en place un plafonnement du reste à charge (« bouclier sanitaire ») en fonction des revenus, assorti d’un panier de soins ; ou de transférer intégralement certains domaines d’intervention aux complémentaires, notamment dans le champ de la prévention ; ou enfin de renforcer la régulation pour assurer la transparence de l’offre, avec encadrement des frais de gestion et des primes. Le HCAAM fera bientôt des propositions précises, à partir de deux options : conserver le système tel quel en corrigeant ses défauts au maximum, ou entamer de profondes réformes.

Quoiqu’il en soit, tout le monde insiste pour affirmer que la solution doit émerger d’un débat démocratique qui ne soit pas ouvert aux seuls experts. Ce sont en effet les trois valeurs fondamentales de notre République qui sont en jeu : liberté (ici de choix), égalité (des droits effectifs), fraternité (un système commun à tous les citoyens versus des mesures d’assistance pour certains). Il s’agit non seulement de les articuler, mais de les rendre compatibles avec la soutenabilité économique du système de santé et ses nécessaires adaptations aux évolutions démographiques et technologiques. Est-il possible de proposer des choix « simples et éclairés » à nos concitoyens, étant donné la haute technicité du débat ?