La loi Claeys-Leonetti très insuffisamment appliquée

  • Serge Cannasse
  • Actualités Médicales
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La Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale a rendu le rapport résumant les travaux conduits par la mission d’évaluation de la loi dite Claeys-Leonetti du 2 février 20161. Les rapporteurs rappellent que les principales innovations de cette loi étaient « le caractère contraignant des directives anticipées, le renforcement du rôle de la personne de confiance et la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès (SPCJD). » Ils soulignent qu’elle réaffirmait « le refus de l’obstination déraisonnable, le droit à une fin de vie digne ou encore l’accès aux soins palliatifs pour tous. » Et ils constatent que le bilan de sa mise en œuvre est décevant.

Malgré l’effort fait en faveur des soins palliatifs, environ deux tiers des malades pouvant en bénéficier n’y auraient pas accès, l’absence de données robustes empêchant toute évaluation précise. Par ailleurs, la cartographie des dispositifs montre des disparités territoriales importantes. Ainsi, fin 2021, 21 départements n’avaient aucune unité de soins palliatifs. Il manquerait plus de 100 soignants dans les structures existantes. Celles-ci concernent avant tout les établissements hospitaliers, l’accès aux soins palliatifs à domicile, y compris en établissement médico-social, étant « compliqué » et rendant « délicat » le maintien du patient chez lui.

À cela, les rapporteurs invoquent deux principales raisons : un mode de financement inadéquat, notamment du fait de la tarification à l’activité (T2A) à l'hôpital, qui peut même avoir des effets pervers en encourageant l’obstination déraisonnable ; la culture soignante, qui voit la mort comme un échec et sépare soins curatifs et soins palliatifs. En conséquence, ils demandent de « rendre obligatoires les formations initiales et continues en soins palliatifs, en particulier pour les médecins. »

Peu de personnes connaissent les directives anticipées (18% dans une enquête d’octobre 2022) et encore moins en rédigent (8% dans la même enquête). La personne de confiance est souvent confondue avec la personne à contacter.

Le recours à la SPCJD est « très rare », une étude récente évaluant sa prévalence à 0,9%. Il augmente avec le renforcement de la pluridisciplinarité. Mais elle apparaît quasi impossible à mettre en place en dehors de l'hôpital, l’accès aux médicaments étant souvent compliqué en ville, et sa pratique nécessitant une présence humaine constante. De plus, certains soignants y sont très réfractaires, la frontière entre SPCJD et euthanasie étant perçue comme « relativement floue ». Enfin, elle pose des problèmes éthiques très pragmatiques : quel est le bon moment ? Quelle durée ? Quid en cas de « réveils » ?

La “ bonne mort “ est maîtrisée techniquement

Il est intéressant de rapprocher ces constats de ceux faits par la Professeure Marie-Frédérique Bacqué au sujet de la mort dans les pays occidentaux, sur le site The Conversation2

La peur de la mort s’est déplacée vers la peur du vieillissement. Il s’agit d’une question intime, chez un individu réputé autonome et en tout cas seul face à ses choix. « Le mourant est une figure exécrée, ou du moins une figure maintenue cachée et réservée à une catégorie professionnelle, les soignants. » La mort naturelle, précédée par une agonie, est devenue « indigne », la « bonne mort » étant celle qui est « contrôlée, maîtrisée, esthétisée ». « L’humanisation de la mort consisterait donc à l’artificialiser grâce à des drogues, des subterfuges ou des accompagnements qui la dénient. » De ce point de vue, la SPCJD n’offre pas toutes les garanties du bon déroulement du décès, notamment sur l’isolement au moment de sa survenue.

Quant aux directives anticipées, elles supposent une représentation impossible, celle de soi mourant.

La mort ne donne plus lieu à des événements collectifs, en dehors de la Toussaint, aujourd’hui très américanisée (Halloween) et dont il est douteux que les participants, et particulièrement les enfants, connaissent la réelle signification. Pourtant « elle fait partie du vivant » et négliger les rites funéraires, à l’extrême dans le cas des génocides, « est une profonde négation de l’autre en ce qu’il a de plus intime. » Mais une mort aidée peut-elle y donner lieu ? L’épidémie de Covid-19 a montré les ravages que leur absence peut occasionner, tout en favorisant des inventions (ou des reprises) comme les autels domestiques. De nouveaux rites se mettent en place, plus ou moins inspirés des cérémonies religieuses.

En tout cas, pour Marie-Frédérique Bacqué, « ce n’est pas seulement un débat sur la fin de la vie qui doit être lancé mais un débat sur la fin de la mort et sur la mort tout court. » Et celui de la Convention citoyenne pourrait en être un modèle.