La charrue avant les bœufs

  • Serge Cannasse
  • Editorial
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Sacha a été recalée en première année de médecine après avoir loupé l’épreuve orale de culture générale, en étant 260ème aux épreuves écrites, avec un 20 en anatomie et un 19 en embryologie. D’après elle, c’est parce qu’elle ne connaissait pas la date de la mission Spoutnik. Son fil de tweets protestant contre cette décision a recueilli 86.000 « j’aime ». Plusieurs médecins ont soutenu Sacha. L’année dernière, treize étudiants parisiens avaient saisi pour la même épreuve le juge des référés, qui leur avait donné tort, considérant que la solution à leur problème n’était pas urgente, puis le Conseil d’État, qui avait désavoué le juge sur ce caractère d’urgence.

En principe, l’épreuve de culture générale est une épreuve de rattrapage, pour les étudiants non sélectionnés à l’issue des épreuves écrites. Un des motifs de protestation de ses détracteurs est qu’elle varie selon les facultés de médecine. Son coefficient sur la note totale oscille entre 30 et 70%. Le contenu de la « culture générale » est loin d’être stable : pouvant porter sur les questions relatives à la santé ou à des domaines bien plus variés, avec des approches du type quizz, voire jeu télévisé (le Spoutnik !), ou demandant quelque développement. Certains dénoncent une épreuve taillée pour les couches de la population familières de ce qui est entendu par « culture générale » par leurs pairs.

Pour ses défenseurs, ça n’est pas tant le contenu qui compte que la façon dont l’étudiant réagit aux questions. Il s’agirait d’évaluer sa capacité de réflexion, ses réponses au stress, son adaptabilité et ainsi de suite, toutes facultés réputées indispensables à l’exercice de la médecine. C’est d’ailleurs pour cela que certaines facultés imposent l’épreuve à tous les étudiants, y compris ceux étant arrivés en tête aux écrits. 

Mais il est légitime de se demander d’une part, si quelques minutes suffisent à statuer définitivement sur les capacités comportementales de quelqu’un, d’autre part, si les professeurs de médecine sont les mieux armés pour faire passer ce type d’épreuve, plus commun dans les écoles de commerce ou d’administration.

En définitive, la question de fond est de savoir si la « culture générale » est indispensable à l’exercice de la médecine, en supposant d’ailleurs que celui-ci soit uniforme. L’enseignement actuel privilégie les données scientifiques en biologie humaine (incluant la physiologie, la clinique, la thérapeutique, etc). Mais chacun sait qu’elles sont loin de suffire devant un patient. Même bien conduite, l’épreuve de culture générale a comme présupposé que le relationnel dépend de facultés innées. Sans doute demande-t-il quelques dispositions. Mais il réclame aussi des connaissances larges sur la société d’aujourd’hui et un entraînement régulier sous la conduite de tuteurs. Instituer une épreuve de culture générale en début de cursus, c’est mettre la charrue avant les bœufs.