L’impact du COVID-19 sur les pratiques de publication des chercheurs et des revues
- Ben Gallarda
- Medical News
Hervé Maisonneuve, médecin de santé publique, Rédaction Médicale et Scientifique
Confiné dans les Alpes (moins 10 degrés cette nuit), je pense tout d’abord à tous les professionnels engagés dans le combat contre le SARS-CoV-2. J’ai eu des appels de collègues, dont des réanimateurs, me décrivant des situations jamais vues. Certains sont énervés, à juste titre, par ceux qui prennent le temps d’écrire des manuscrits soumis aux revues : l’urgence n’est pas là.
Le rôle des revues scientifiques est de diffuser des données validées à la communauté scientifique, aux journalistes et aux citoyens avisés. Les revues analysent les articles soumis par les chercheurs avant de prendre la décision de les accepter. Cette évaluation est faite par des pairs appelés relecteurs : c’est le ‘peer-review’ qui en général demande 4 à 6 semaines pour être bien fait.
Une pandémie s’accompagne normalement d’une apparition rapide d’articles. C’était le cas avec VIH, Ebola, SARS. Est-ce que la diffusion des informations sur le virus SARS-CoV-2 est différente de celle des autres pandémies ? Nous le saurons plus tard, car les revues ont beaucoup changé en moins de 10 ans grâce à la technologie et aux nouveaux modèles économiques. La course à la publication continue en période de pandémie.
Les comportements des auteurs
- Depuis janvier 2020, et en moins de trois mois, ce sont plusieurs milliers d’articles qui ont été publiés. Attention, car la littérature en langues chinoises nous échappe.
- De manière simple, peu qualitative, avec des risques d’erreurs (26 mars 2020), le seul mot ‘Coronavirus’ pour l’année 2020 appelle 1 483 occurrences dans PubMed et 7 790 dans Google Scholar… Des recherches avec les mots ‘COVID-19’ ou ‘SARS-CoV-2’ donnent d’autres résultats.
- Les preprints (articles mis en ligne sur une plateforme d’une archive ouverte) sont nombreux, alors qu’en médecine, il existait une résistance à utiliser les preprints. Ce sont des manuscrits qui n’ont pas été relus par des pairs en attente de publication. Le 26 mars 2020, il y en a 765 dont 574 sur medRxiv et sur 191 bioRxiv. Ces manuscrits seront probablement publiés plus tard ; certains sont déjà publiés, d’autres resteront toujours à l’état de preprints.
- Beaucoup d’articles ont uniquement des auteurs chinois. Dans les autres pandémies, les auteurs chinois signaient souvent en collaboration avec d’autres équipes internationales.
- Des articles en langues chinoises circulent, uniquement quand ils ont un résumé anglais, ce qui est une vision trop simple du travail.
Les pratiques des revues scientifiques
- Les revues prestigieuses ont toutes créé un espace dédié aux articles COVID-19, et en général, ces articles sont tous d’accès libre. Des revues ont des podcasts avec des interviews d’experts. Il n’est pas nécessaire d’être abonné ou de payer pour un accès temporaire (paywall).
- Deux revues fondamentales (Nature et Science) et trois revues médicales (JAMA, NEJM, Lancet) semblent mener la course. Quelques revues prestigieuses ont ajouté des résumés en langues chinoises à leurs articles.
- L’urgence semble primer sur la qualité. Les revues en compétition cherchent les ‘hot papers’. Le ‘hot paper’, quel que soit son intérêt, attire les citations. Il fait augmenter le facteur d’impact qui évalue la notoriété de la revue. Les rédactions évaluent le risque de publier un article pas très bon : il va être cité, notamment par ceux qui diront que ces articles sont mauvais.
- Les revues promettent un peer-review rapide, voire parfois en 48 heures (ou moins). Des revues ont lancé des appels pour recruter des relecteurs. Quelle est la qualité de ce peer-review, et comment ensuite des auteurs pressés répondent aux demandent des relecteurs ? Le peer-review très rapide s’appelle le fast-track, et il est pratiqué habituellement pour des articles exceptionnels.
- Le NEJM dit recevoir 40 manuscrits par jour, et en accepter 2 %. Les revues prestigieuses acceptent en général de 8 à 11 % des manuscrits soumis. Les rédacteurs du JAMA ont découvert des mêmes malades dans des manuscrits différents, ce qui est une pratique qui ne répond pas aux standards éthiques de la publication.
- Des groupes comme The Lancet ont un ‘COVID-19 Resource Centre’ avec la compilation des articles COVID-19 des 19 revues du groupe. De même le ‘Cell Press Coronavirus Resource Hub’ a une version chinoise en plus de la version anglais, et compile les articles d’une cinquantaine de revues
- Les revues de spécialité, souvent sous l’égide de sociétés savantes, cherchent aussi à attirer des ‘hot papers’. Elles ont quelques articles. Plus tard, elles recevront des articles de meilleure qualité que les revues prestigieuses ne prendront plus car la mode aura changé.
Une ressource classant des articles selon les domaines de recherche
Un site anglais analyse la littérature et met à jour régulièrement ses observations. Ce site de ‘University College of London’ est génial, sauf que les critères d’inclusions ne sont pas assez explicites. Le 26 mars 2020, il y a 1 761 articles pour lesquels titre, noms et affiliations des auteurs sont cités avec ou sans les résumés. Les liens aux articles sont donnés. Cela permet de constater que 1 149 articles ne contiennent pas de données primaires (987) ou concernent d’autres virus (162) ! Ce sont des opinions, éditoriaux et réflexions diverses… voire déjà des revues de littérature, ou des méta-analyses ! Parmi les 612 articles contenant des données, il n’est pas surprenant de trouver 142 cas cliniques, 130 articles sur la transmission et les risques, 76 articles sur le diagnostic, 70 articles sur la génétique/biologie. J’ai parcouru au hasard quelques articles et constaté que les conclusions étaient souvent du type : « Ces résultats préliminaires nécessitent d’autres recherches », ou « Les complications sont observées surtout chez les vieux », ou « No one is allowed to go out ».
Il faudra du temps pour comprendre les changements ayant eu un impact sur l’activité des auteurs d’articles scientifiques et des rédacteurs des revues. Se tromper est la seule certitude que j’ai en analysant à chaud la diffusion des données scientifiques. Je ne suis pas convaincu que vitesse et précipitation dans le domaine des publications soit un indicateur de qualité.
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