JNLF 2023 – Alzheimer : les anticorps anti-amyloïdes ont-ils un futur ?

  • Caroline Guignot
  • Actualités Congrès
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Les anticorps monoclonaux (Acm) anti-amyloïdes bêta continuent à être largement développés malgré l’échec du premier d’entre eux, le bapineuzumab en 2012. Les résultats restent mitigés et ont parfois conduit à des polémiques. L’évolution des modalités d’inclusion, d’évaluation et de combinaison thérapeutique serait sans doute utile. Le Pr Marie Sarazin (hôpital Sainte-Anne, Paris) en a récapitulé les principaux enjeux dans le cadre d’une session des Journées de Neurologie de Langue Française (4-7 avril 2023, Lyon).

L’efficacité des anti-amyloïdes est-elle cliniquement pertinente ?

Au début des années 2010, les études fondamentales cellulaires ont suggéré que la protéine bêta-amyloïde était plus toxique sous sa forme mono- ou oligomérique que sous sa forme protofibrillaire, fibrillaire ou en plaques. Aussi, il a été supposé que le bapineuzumab avait peu d’effet car il agissait sur ces dernières. La génération d’anticorps suivante a donc été développée de façon à cibler les formes les plus toxiques.

Plusieurs Acm ont ensuite été développés : solanezumab, gantenerumab, crenezumab. « Tous ont échoué à démontrer leur intérêt au cours des études de phase 3 qui ont été progressivement menées, jusqu’à l’aducanumab » a résumé la neurologue. Les données publiées décrivent un effet dose dépendant et temps dépendant de cette molécule sur l’imagerie amyloïde. Ensuite, le donanemab et le lecanumab ont conduit à des conclusions similaires. Les résultats de ces études ont cependant été plus contrastés sur le plan des données cliniques : les deux études de phase 3 (EMERGE et ENGAGE) menées avec l’aducanumab ont apporté des conclusions contradictoires, et l’efficacité clinique (selon les scores CDR-SOB ou IADRS) relative aux autres Acm s’est avérée absente ou cliniquement non pertinente.

Ces observations ont notamment conduit le groupe d’experts américains à se prononcer en défaveur de l’autorisation de l’aducanumab, mais la FDA a suivi un avis contraire en retenant son action observable sur l’imagerie amyloïde.

« Traiter l’imagerie amyloïde a-t-il du sens pour le malade ? a tenu à interroger la neurologue rappelant qu’elle n’est pourtant pas corrélée à la présentation clinique ou aux performances cognitives, et elle n’est pas prédictive de la progression clinique ». La question de l’efficacité clinique mesurée se pose tout autant : l’amélioration des scores utilisés reste sans doute trop modeste pour être cliniquement pertinente. « Pour mémoire, le donépézil et la rivastigmine qui ont été déremboursés dans cette indication, offraient une amélioration des scores qui était cliniquement pertinente à 1 an ».

Des critères d’évaluation inadaptés ?

Si ces anticorps ne semblent pas être la panacée, sans doute souffrent-ils malgré tout de difficultés et de limites méthodologiques. La première concerne l’histoire naturelle de la maladie : « les patients qui composent les groupes placebo de ces études ont également peu évolué à 2 ans » a modéré Marie Sarazin, soulignant l’absence d’outils cliniques véritablement adaptés à mesurer l’efficacité de ces traitements. Des batteries composites de tests cliniques sont à l’étude mais ne sont pas pour l’heure beaucoup plus efficaces pour mettre en lumière des effets cliniquement importants. Sachant que la vitesse de progression de la maladie est hétérogène, il pourrait aussi être plus pertinent de ne traiter que ceux qui évoluent rapidement.

Le recul sur les études cliniques met également en lumière l’ampleur des erreurs diagnostiques : l’un des diagnostics différentiels - amnésie hippocampique progressive avec atrophie hippocampique mimant la maladie mais sans pathologie tau et amyloïde - peut représenter une part importante des cohortes traitées. Aussi, « les critères d’inclusion sont maintenant fondés sur la clinique ET le biologique, parfois complétés par l’imagerie. »

À l’inverse de l’imagerie amyloïde, l’imagerie tau est, quant à elle, corrélée aux performances cognitives et à la progression clinique. Or, les études cliniques ont été majoritairement menées chez les patients qui n’avaient pas une imagerie tau importante, et ont donc exclu ceux ayant tendance à évoluer le plus vite. Ce sont potentiellement eux qui auraient pu bénéficier davantage de l’efficacité des Acm.

Quid de leur approbation et remboursement ?

L’EMA étudie actuellement le dossier du lécanumab mais a précédemment écarté l’approbation de l’aducanumab, au motif que le rapport entre la réduction des dépôts amyloïdes et l’amélioration clinique n’était pas établi et que les résultats des deux études de phase 3 étaient contradictoires.

Le dernier argument de l’agence concerne les ARIA (amyloid related imaging abnormalities) : ces œdèmes cérébraux ou microhémorragies cérébrales ont été observés à l’imagerie avec tous les Acm anti-amyloïdes et pourraient être liés à la fragilité des petits vaisseaux, accentuée par la pathologie a fortiori chez les patients ayant un phénotype ApoE4. « Ces ARIA sont fréquentes, le plus souvent asymptomatiques, mais certaines peuvent être sévères, notamment pour les formes oedémateuses ». Pour l’EMA, elles sont potentiellement à risque et il n’y a pas de certitude quant à la capacité à les gérer, en l’absence de procédures permettant de les prévenir ou de les prendre en charge.

De nombreux paramètres doivent encore être définis pour accompagner l’évaluation ou l’utilisation de ces anticorps : quels patients traiter, quels biomarqueurs de suivi, quelle procédure suivre en cas d’ARIA… « Les essais pourraient plutôt être proposés aux patients à haut risque évolutif alors qu’on tend à faire l’inverse » a insisté la spécialiste. De plus, des critères cliniques plus pertinents et des biomarqueurs plus efficients sont attendus.

Face à toutes ces données, la spécialiste l’a reconnu : « si je devais me prononcer en faveur d’un remboursement, ce serait en faveur des traitements symptomatiques », qui ont été déremboursés à tort a renchéri le Pr David Devos (CHRU Lille), modérateur de la session, en concluant : « On se bat pour des bénéfices cliniques mais on n’améliorera pas la mort neuronale, ce serait en méconnaître les mécanismes ». À moins que des combinaisons permettant aux anticorps d’agir en synergie avec d’autres molécules ciblant d’autres facettes de la physiopathologie, ne contredisent le constat actuel.