JESFC 2022 - Apnée du sommeil et risque cardiovasculaire : les femmes encore trop négligées

  • Marine Cygler
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  • Nathalie Barrès
  • Actualités Congrès
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Les femmes (et les modèles animaux femelles) sont tellement sous-représentés dans les études sur le sommeil qu'on ne dispose pas de données les concernant avec suffisamment de puissance. Et pourtant, tout comme les hommes, elles souffrent aussi de troubles du sommeil, lesquels ont un impact négatif sur leur santé cardiovasculaire, comme l'ont rappelé les orateurs d'une session dédiée [1] lors des Journées Européennes de la Société Française de Cardiologie (JESFC 2022). Cette session s'est concentrée sur le syndrome d'apnée du sommeil (SAS) qui s'il touche majoritairement les hommes n'épargne pas les femmes.

 

Un SAS différent selon le genre

D'un point de vue physiologique, le sommeil est différent selon qu'on est une femme ou un homme : les femmes dorment plus et ont tendance à être plus matinales et à présenter plus de réveils intranuits que les hommes. Le sommeil pathologique est lui aussi genré.

Ainsi pour le syndrome d'apnée du sommeil (SAS), on constate aussi une expression clinique selon le genre. Chez les hommes, la survenue répétitive au cours du sommeil d'obstructions complètes ou partielles responsables d'apnées ou d'hypopnées se manifeste principalement par des ronflements et une somnolence diurne. « Quand on pense au SAS, on a tendance à voir un homme de 50 ans ronflant somnolent », résume la Dr Stéphanie Bioulac (psychiatre, CHU de Grenoble). Un portrait-robot qui serait encore plus complet avec la notion de surpoids.

« Chez la femme, l'expression clinique est différente : il y a plutôt une symptomatologie d'insomnies, d'éléments dépressifs et avec des comorbidités (HTA, diabète, pathologie thyroïdienne, asthme et cancer cutané) », détaille-t-elle, soulignant l'impact négatif majeur sur la qualité de vie lié à la somnolence diurne et aux insomnies.

A la polysomnographie, les femmes présentent plus d'hypopnées et moins d'apnées que les hommes. Les apnées sont aussi plus courtes et il y a plus de microéveils. Le SAS chez les femmes est majoritairement lié au sommeil paradoxal. « On a longtemps pensé que cette phase du sommeil avait peu d'importance », commente le Dr Frédéric Roche (physiologiste, CHU Saint-Etienne), deuxième orateur de cette session.

Concernant la prévalence, une étude australienne en population générale de 2021[2] sur des individus nés entre 1946 et 1964 montre que 20% des hommes et 10% des femmes présentent un syndrome obstructif d'intensité modérée à sévère. En tenant compte de l'âge des femmes [3], on constate une prévalence moindre du SAS avant la ménopause qu'après (<5% vs 20%), ce qui témoigne du rôle essentiel joué par les hormones sexuelles dans la pathologie respiratoire.

 

Sommeil et risque cardiovasculaire

« Il existe des grandes études qui ont changé nos pratiques car elles ont montré que les pathologies respiratoires du sommeil sont un facteur de risque cardiovasculaire important », indique Frédéric Roche. Mais les populations recrutées sont majoritairement masculines, parfois les résultats englobent les deux sexes, c'est-à-dire qu'il n'y a pas d'analyse selon le genre. Si bien que le spécialiste du sommeil souligne qu' « on manque de puissance pour connaître les conséquences lourdes en termes de morbimortalité chez les femmes ». Une étude canadienne de 2020[4] qui s'est intéressée spécifiquement aux conséquences CV du SAS des femmes a montré que quand l'apnée est sévère, la sévérité du syndrome est associée à un surrisque CV identique chez les hommes et chez les femmes. En revanche si l'apnée est modérée, seuls les hommes sont à risque.

« La prévalence des arythmies, des AVC, de l'HTA et des maladies coronaires est majeure avec le SAS », indique le Pr Jean-Louis Pépin (physiologiste, CHU de Grenoble) qui poursuit « mais chez les femmes l'apparition est beaucoup plus tardive que chez les hommes. Il y a un décalage de 10 à 15 ans ». De fait avant la ménopause, il y a une protection vis-à-vis de l'hypoxie intermittente, laquelle fait partie, avec la dysfonction endothéliale, l'inflammation ou encore le stress oxydatif, des mécanismes essentiels des pathologies CV. « Retenez bien de cette session, amis cardiologues, que le SAS est très important mais que tous les aspects de privation de sommeil et d'insomnie activent les mêmes mécanismes et induisent des pathologies CV, et en particulier l'insuffisance cardiaque », lance-t-il lors de sa présentation.

Les mécanismes diffèrent selon le genre. Une étude allemande de 2021[5] sur les conséquences CV du SAS chez les femmes a montré que les femmes ont un risque de dysfonction endothéliale plus important. Avant la ménopause, les oestrogènes protègent contre le stress oxydatif, il y a moins d'activation des voies proarythmogènes et l'inflammation est moins marquée. En revanche, ces facteurs de protection disparaissent après la ménopause.

Cela dit, cette étude révèle aussi que les incidents CV sont liés à ces profils de symptômes. « Ce sont les phénotypes les plus somnolents, probablement moins les femmes, qui sont les plus exposés aux conséquences CV. Les femmes, elles, ont plutôt des problèmes d'insomnies et de fatigue », indique le Pr Pépin.

Cet article a été écrit par Marine Cygler et initialement publié sur le site internet Medscape.