JESFC 2020 – Reconnaître les complications cardiovasculaires chez le patient cancéreux

  • Yves Goulnik
  • Actualités Congrès
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Transcription de l'interview vidéo enregistrée le 17 janvier 2020, à Paris.

Atul Pathak — Bonjour et bienvenue à cette session consacrée à la cardio-oncologie, dans le cadre des Journées Européennes de la Société Française de Cardiologie (JESFC) 2020. J’ai la chance d’avoir avec moi une pionnière dans le domaine, le Dr Jennifer Cautela, qui travaille à Marseille. Je suis le professeur Pathak et je travaille actuellement au Monaco.

Nous allons aborder un certain nombre de nouveautés et d’innovations qui ont été partagées durant ces JEFSC, et sans plus attendre « attaquer » avec cette classe pharmacologique qui nous intrigue tous : les inhibiteurs des voies très particulières immunologiques, qui sont les inhibiteurs des check-points. En premier lieu, comment marchent ces médicaments ?

Immunothérapie et risque de myocardite

Jennifer Cautela — [L’immunothérapie] est un peu la révolution thérapeutique en oncologie, puisque jusqu’à présent on avait des molécules qui allaient s’attaquer à la tumeur. Ici, c’est différent et c’est pour ça qu’on l’appelle le « vaccin anticancer ». C’est un mécanisme qui va permettre de réveiller l’immunité propre du patient. Donc ce n’est plus une molécule qui lutte contre la tumeur, mais c’est le patient lui-même qui, avec ses lymphocytes T, va de nouveau aller se débarrasser des cellules tumorales grâce à ces molécules qui vont venir inhiber des points de contrôle que la tumeur avait réussi à développer pour endormir l’immunité du patient. Donc, simplement, on la réveille et le patient se bat lui-même contre son cancer.

Atul Pathak — Quand vous évoquez ces activateurs d’immunité, on pense tout de suite maladies auto-immunes et aux complications immunologiques. Quelles sont finalement les complications oncocardiologiques liées à ces traitements ?

Jennifer Cautela — Bien sûr, le problème est que quand on réveille l’immunité, il aurait été trop beau que ce ne soit que contre la tumeur. On découvre donc différentes complications sur plusieurs organes, et notamment sur le cœur, avec des myocardites qu’on dit immunomédiées. Heureusement, c’est une complication rare, que l’on donne de l’ordre du pour cent, mais qui, malheureusement, peut être très grave, donc qu’il est important de ne pas méconnaître.

Atul Pathak — Justement, cette complication rare, grave, a été rapportée dans plusieurs publications grâce à l’utilisation de nouveaux outils de screening, bases de données mondiales, collectes d’informations dans les essais cliniques… mais pour le cardiologue praticien, à quel moment et comment doit-on évoquer ces myocardites ? Qu’est-ce qui doit éveiller le soupçon ?

Jennifer Cautela — C’est là toute la difficulté, parce que j’aurais envie de vous répondre « tout ». C’est-à-dire qu’autant une myocardite virale va se présenter classiquement avec la douleur à la poitrine, la fièvre qui précède. Là, cette myocardite est complètement différente. La première chose à retenir, c’est que cela peut être une complication qui survient très rapidement. Classiquement on dit que c’est dans les trois premières injections — chaque injection étant écartée de trois semaines. C’est une complication qui peut survenir dans les trois premiers mois de la thérapeutique et, là où c’est un peu nouveau, voire même dès la première injection, dès quelques jours après la première injection. Donc première chose — le délai d’apparition très rapide. Deuxième chose, malheureusement, c’est que c’est un diagnostic difficile. Le mode de présentation clinique est très variable. Il y a des patients qui vont se présenter avec une douleur thoracique, mais cela va aller aussi aux patients qui vont présenter des troubles du rythme ou ventriculaires, donc des choses très graves, de la fibrillation atriale ou des troubles conductifs. À côté de cela, on a aussi des patients qui vont rester asymptomatiques ou alors simplement évoquer un peu de fatigue, ce qui, après un traitement du cancer, peut être complètement banalisé. Néanmoins, cela commence comme ça et peut partir très, très vite vers une myocardite que l’on dit fulminante avec, dans les différents registres, une mortalité qui peut atteindre les 47 %. Donc c’est pour cela que je vous dis qu’il faut rester vigilant et dépister le moindre petit signe qui serait anormal et qui pourrait se rapporter au système cardiovasculaire. À ce moment-là, il faut déclencher la machine de la recherche diagnostique de cette myocardite.

Atul Pathak — Pour nos auditeurs, c’est toujours difficile de s’y retrouver avec toutes ces molécules. Donc est-ce qu’il y a des moyens pour reconnaître des gens qui ont été exposés à ce type de traitement, soit parce qu’ils sont davantage utilisés dans certains types de cancer, soit parce qu’il y a des molécules phares que l’on utilise plus que d’autres ? Est-ce que vous pouvez nous donner quelques exemples de situations cliniques ?

Jennifer Cautela — C’est très simple : on les reconnaîtra puisqu’ils terminent par « mab », ce sont des anticorps monoclonaux. Les mots sont effectivement un peu compliqués, les oncologues essaient de nous perdre parfois. La grande thérapeutique est utilisée dans les mélanomes. Récemment, ils ont eu l’AMM pour faire une double immunothérapie, donc ces patients reçoivent deux inhibiteurs des points de contrôle immunitaire et on sait que c’est un facteur de risque de faire des complications cardiaques, donc peut-être rappeler cette situation du patient jeune, qui n’a pas de cardiopathie, qui a un mélanome métastatique, qui reçoit cette thérapie ciblée — qui est ambulatoire, il n’est pas hospitalisé, il reçoit son injection et il rentre chez lui — et qui va pouvoir développer dans les quelques jours qui suivent ces complications. Actuellement, il n’y a aucune recommandation de suivi. C’est trop récent, cela ne fait que deux ans que vraiment c’est utilisé, donc on ne sait pas comment les suivre. La littérature scientifique conseille aux oncologues de suivre l’électrocardiogramme et voire même la troponine – qui dit myocardite, on pense à troponine. Et, contrairement aux anthracyclines — vous le savez, on dosait la troponine après les injections — ici, c’est avant l’injection, la première, pour avoir la référence, et ensuite pour voir si elle s’élève, et surtout ne pas injecter si une toxicité commence. Donc cela rejoint mon premier message de rester vigilant et d’agir vite. C’est-à-dire que si jamais une toxicité est encore au stade asymptomatique, il est important de ne pas réinjecter, parce qu’à ce moment-là vous relancez la tempête immunitaire et les choses peuvent devenir très compliquées.

Atul Pathak — Donc, si on doit résumer, tout patient qui est traité pour un mélanome, chez lequel on suspecte une exposition à un anticorps monoclonal et qui présente un signe cardiologique quelconque, ou même qui est asymptomatique, mais pour lequel on a une suspicion… avec une troponine élevée, par exemple, ou une anomalie électrocardiographique ou échocardiographique si l’échographie a été faite, doit éveiller un soupçon, et en tout cas amener à surveiller de façon plus rapprochée ces patients.

Jennifer Cautela — Et un peu à l’instar de l’embolie pulmonaire, on doit retenir cette phrase que « toute exploration complémentaire ne doit pas faire retarder la prise en charge thérapeutique ». C’est bien dans les recommandations oncologiques européennes : dès la suspicion diagnostique, on doit adresser le patient aux soins intensifs cardiologiques où il recevra une corticothérapie pour aller contre cette immunité réveillée, pour limiter les complications.

Atul Pathak — Oui, c’est un message important. Peut-être rappeler, finalement la gravité de ce tableau qui peut paraître soit asymptomatique, soit apparemment bénin. Et c’est pour cela qu’on souhaite aussi éveiller les consciences.

Quel est le spectre des complications de ces myocardites qui, parfois, ressemblent à des myocardites fulminantes ? Pouvez-vous juste nous éclairer là-dessus ? Pourquoi faut-il envoyer ces patients aux soins intensifs ?

Jennifer Cautela — Parce que très rapidement ils peuvent développer une insuffisance cardiaque, un choc cardiogénique et qui – si là encore on n’a pas mis une corticothérapie qui va diminuer cette dysimmunité très rapidement — sera réfractaire à tout traitement. Il peut y avoir des troubles du rythme ventriculaire, classiquement — et c’est comme ça qu’on les a découverts initialement en 2016 — des troubles conductifs de haut degré qui vont résister à l’isuprel par exemple. Donc voilà, c’est pour ça qu’on conseille de les adresser rapidement aux soins intensifs, pour qu’ils soient scopés. J’aimerais quand même rassurer les gens qui nous écoutent : ce sont les tableaux classiques fulminants, mais il y a aussi des formes beaucoup plus indolentes et qui répondent à un traitement par corticothérapie, voilà. Donc il faut agir vite, mais on peut faire quelque chose.

Atul Pathak — C’est donc un bloc à mon avis très important qu’on va continuer de suivre, puisqu’il y a plus de 1000 molécules actuellement en développement, soit d’origine industrielle, soit académique. Donc c’est vraiment quelque chose, à mon avis, qui va revenir sur le devant de la scène, et comme souvent en oncocardiologie, on apprend en faisant, puisque les essais cliniques, ou en tout cas pré-cliniques, sont rarement informatifs sur le plan des complications cardiovasculaires.

Prévention ou traitement de la maladie thrombo-embolique par AOD chez les patients en cancérologie

Atul Pathak — Deuxième grande question, on va passer des complications rares, graves, les myocardites, à des gestions plus fréquentes : ce sont les complications thrombo-emboliques. Jusqu’à présent ont gérait comme on pouvait avec les HBPM au long cours et ce risque de thrombopénie, de l’injection répétée, avec toujours l’espoir que les anticoagulants oraux directs (AOD) pourraient changer la donne. Que doit-on retenir, en pratique, avec AOD et prévention du risque thrombo-embolique ou traitement de la maladie thrombo-embolique chez ces patients en oncologie ?

Jennifer Cautela — Il y a de nouveau dans diverses recommandations qui sont toutes concordantes. On a la recommandation européenne de cardiologie, la recommandation américaine d’oncologie ou les recommandations du groupe ITAC , qui nous disent toutes pareil : on a des études maintenant qui nous ont permis de dire que l’on peut, dès la prise en charge d’une maladie thrombo-embolique veineuse, débuter par des AOD. Donc c’est-à-dire que les études ont montré une non-infériorité par rapport au HBPM. Donc on peut garder les HBPM chez certains patients ou les AOD paraîtraient compliqués, en particulier du fait d’interactions médicamenteuses, rappelons-le, mais chez d’autres patients et dans la majorité des cas, on peut débuter par un AOD directement. Les essais ont étudié l’édoxaban — que nous n’avons pas en France pour l’instant — et le rivaroxaban. Et dès la prise en charge, ce qui permet d’être beaucoup plus confortable pour les patients. Il y a, bien sûr, un petit surrisque hémorragique avec des hémorragies majeures, donc on se méfiera de certains cas, en particulier les cancers digestifs — on le sait, les AOD font un peu plus saigner dans le tractus digestif, donc peut-être qu’ici, ce sera la bonne situation pour garder les HBPM. Mais dans tous les autres cas — et à la convenance du patient — on peut débuter les AOD directement.

Pour aller plus loin – conseils pratiques

Atul Pathak — Donc deux messages importants pour nos auditeurs : l’avènement de cette nouvelle classe de médicaments et le risque de myocardite, et puis la confirmation qu’on peut, en pratique clinique, enfin utiliser les AOD pour gérer les complications thrombo-emboliques. Sujets vastes, sujets complexes… Pour les auditeurs qui nous suivent, qu’est-ce que vous apporteriez comme conseils pratiques pour se former et s’informer à l’oncocardiologie ou à la cardio-oncologie ?

Jennifer Cautela — Il y a en effet tellement de choses à apprendre et à connaître, c’est difficile de suivre, c’est vraiment une sous-spécialité à part.

Il y a plusieurs moyens : tout d’abord les congrès, comme actuellement aux JESFC, où vous voyez fleurir les sessions de cardio-oncologie. Nous allons développer avec l’université de Paris un congrès national de cardio-oncologie qui aura lieu le 17 et 18 décembre 2020, à Marseille, donc vous pourrez, lors de cette journée et demie, vous former à tout un pan de la cardio-oncologie. Vous avez également maintenant un DESIU de cardio-oncologie, là aussi développé avec l’université de Paris et de Marseille et, enfin, on propose dans notre centre un site — gemedico.fr — qui va regrouper les différents protocoles qui sont les digests des différentes recommandations. Il y a un listing des différentes molécules avec les complications cardiovasculaires qui s’y rapportent et les façons de les suivre, ce qui peut parfois aider en consultation — jeter un petit coup d’œil et savoir qu’il faut faire.

Atul Pathak — Merci docteur Cautela. Je remercie également les auditeurs d’avoir assisté à cette séance d’oncocardiologie et j’espère vous retrouver très prochainement sur le site.

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