Jean-Pierre Chouraqui (SFP) « le Nutri-Score ne prend pas en compte les besoins nutritionnels des enfants »

  • Caroline Guignot
  • Actualités Médicales
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Le Nutri-Score est apposé sur les emballages pour informer rapidement les consommateurs sur la qualité nutritionnelle des produits : il est coté avec 5 couleurs, et 5 lettres facilitant sa lecture, du vert foncé-A pour les aliments de meilleure qualité au orange foncé-E pour les moins qualitatifs. L’algorithme du score tient compte des nutriments et aliments contenus dans le produit analysé, rapportés à ceux considérés comme étant à favoriser ou à limiter. Le Comité de nutrition de la Société française de pédiatrie a publié une revue qui rappelle que le Nutri Score n’est pas totalement adapté à l’enfant. Son président, Jean-Pierre Chouraqui (SFP), résume leur position et plaide pour une meilleure éducation des parents sur son utilisation.

Univadis : Peut-on rappeler les objectifs du Nutri-Score ?

Jean-Pierre Chouraqui : Ce score a été développé principalement pour prévenir les maladies cardiométaboliques, l’obésité et la dénutrition des seniors. S’il n’aide pas forcément les adultes à s’orienter sur la composition des repas, en cherchant un équilibre entre quelques aliments à mauvais score et un apport suffisant d’aliments bien classés au cours de la journée, le Nutri-Score les aide toutefois à choisir ceux qui sont les mieux classés au sein d'une gamme de produits. Mais il n’est pas obligatoire, il n’est apposé sur les emballages que sur la base du volontariat des industriels, et il n'inclut pas les nutriments importants pour l’enfant tels que les vitamines ou le fer puisqu’il est établi à partir de la composition présentée à l’arrière des paquets. De plus, il ne prend pas en compte les besoins nutritionnels spécifiques de la population pédiatrique.  Un aliment qui peut être adapté à l’adulte ne l’est pas toujours pour les enfants, qui mangent de plus en plus tôt les mêmes aliments que leurs parents. Ces produits ne leur sont donc pas toujours favorables.

Quelles sont les spécificités nutritionnelles pédiatriques qui échappent au Nutri-Score ?

J-P C: Les laits infantiles et les aliments spécifiques bébés sont déjà soumis à la réglementation Européenne et ne sont donc pas concernés par le Nutri-Score, cependant les jeunes enfants, une fois leur alimentation diversifiée, peuvent très tôt consommer des aliments de type adulte. La première difficulté concerne la consommation des lipides qui doivent représenter jusqu’à 50% des apports énergétiques totaux chez les plus jeunes enfants, donc bien au-delà des 30% recommandés chez l’adulte. Aussi, les apports des moins de 3 ans sont souvent très insuffisants une fois la transition entre le lait infantile et le lait de vache effectuée, et une fois les aliments spécifiques remplacés par l’alimentation de leurs parents. Il faudrait donc, à défaut de poursuivre les laits infantiles idéalement jusqu’à 3 ans, privilégier le lait entier plutôt que le lait demi-écrémé au cours des premières années de vie de l’enfant. L’autre difficulté, est que le Nutri-Score favorise l'apport en protéines. Or, les études montrent bien que tous les enfants, quel que soit leur âge, en consomment trop, en France et en Europe. Par ailleurs, ils ont souvent un apport insuffisant en fer, notamment dès qu'ils abandonnent les laits infantiles.  Les apports en fer doivent être favorisés par la consommation de produits laitiers ou les céréales enrichis en fer, et dans une moindre mesure par la viande. Les apports en calcium et vitamines ne sont pas non plus pris en compte, malgré leur importance chez les plus jeunes et au cours de l’adolescence. Enfin, le Nutri-Score ne prend pas en compte le degré de transformation des aliments, et l’ajout d'un certain nombre de produits dont la nocivité chez l'enfant n’est pas établie, comme les conservateurs. L’Europe réfléchit également à l’adoption du score NOVA, un indicateur de la transformation des aliments.

Comment aider les parents à utiliser le Nutri-Score dans ce contexte ?

J-P C: À défaut d’un Nutri-Score pédiatrique, qui n’est pas à l’ordre du jour, il faut les accompagner, et les informer sur la spécificité de l’alimentation de leurs enfants.  Il nous paraît important de faire comprendre que grâce au Nutri-Score les aliments les moins bien classés peuvent être éviter où en tout cas limités dans leur consommation, mais qu'ils ne permet pas forcément de choisir l’alimentation optimale pour l’enfant. La politique de prévention décidée par Santé publique France devrait être plus développée sur ce sujet. Il faudrait aussi être plus coercitif concernant les publicités ciblant les enfants. Actuellement, l’algorithme est en cours de révision mais il ne pourra pas prendre la spécificité de la nutrition des enfants en compte. Le rôle du comité de nutrition de la SFP est d'attirer l'attention sur le sujet, d'autant que nous sommes sollicités par les professionnels de santé et les spécialistes de la petite enfance, pour savoir comment conseiller les parents par rapport à l’utilisation de ce Nutri-Score. Nous sommes en faveur d’une apposition obligatoire du Nutri-Score sur les emballages. L’Europe travaille de son côté à harmoniser l’utilisation d’un score nutritionnel dans toute l’Union mais sa nature reste à déterminer. Il y a évidemment beaucoup de lobbying, qui complique le débat, aujourd’hui politique et non plus scientifique.