Financement de la santé : pour un débat démocratique
- Serge Cannasse
- Actualités professionnelles
Quel financement pour la santé ? Alors qu’elle est ancienne et essentielle, la question a été l’objet de débats restreints en France, principalement restreinte à la discussion annuelle sur l’ONDAM (Objectif National des Dépenses d’Assurance Maladie) par le Parlement. L’épidémie de COVID-19 lui a donné une impulsion nouvelle. Pour Mélanie Heard, coordinatrice du pôle santé du Think tank Terra Nova, celle-ci s’est manifestée notamment par le Ségur de la santé et par la proposition de référendum d’initiative partagée par l’association « L’hôpital c’est nous », qui s’est heurtée au veto du Conseil Constitutionnel.
Pour cette auteure, la discussion sur le financement de la santé comporte deux volets : la définition des besoins auxquels il doit répondre et l’identification des procédures démocratiques pour opérer les choix d’allocation des ressources. Aucun des deux ne va de soi.
Besoin de santé : une définition compliquée
En santé publique, un besoin est défini le plus souvent par l’existence d’un écart entre un état de santé constaté et un état de santé souhaité. Le problème est que caractériser celui-ci n’a rien d’évident. La notion de bien-être avancée par l’OMS (Organisation mondiale de la santé) n’est pas opérationnelle. En premier ressort, Mélanie Heard fait appel au philosophe Norman Daniels, pour qui il faut se référer à ce qu’il appelle la « gamme normale d’opportunités », c’est-à-dire « l'ensemble de plans de vie que les personnes raisonnables d’une société sont susceptibles d'envisager pour elles-mêmes. » Le besoin est repéré par l’altération de cette gamme normale, par un processus naturel, social ou mixte.
Quand il s’agit d’être plus concret, les choses se compliquent. Ainsi, la loi de modernisation du système de santé de 2016 a créé les conseils territoriaux de santé, censés élaborer un « diagnostic territorial partagé » de l’adéquation entre offre et besoins. Mais avec quelle méthodologie ? Aucun pays n’a encore vraiment répondu à la question.
Mélanie Heard rappelle qu’en santé publique, on distingue classiquement « les besoins exprimés et satisfaits, qui correspondent à la consommation de soins, les besoins diagnostiqués par un professionnel de santé et les besoins ressentis par la population. » Mais il y a aussi les besoins de prévention, qui le plus souvent ne sont pas demandés par les personnes concernées. Cela soulève le problème de la définition d’un état de santé souhaité par les experts, mais que les patients peuvent contester (voir par exemple les débats autour du dépistage organisé du cancer du sein ou du dépistage néonatal de la surdité).
En définitive, les besoins de santé sont en pratique souvent définis par une méthode comparative. Est par exemple qualifié de « besoin » pour un territoire donné l’écart par rapport à la moyenne régionale, nationale, européenne ou OCDE d’un état de santé. Mais, comme le souligne Mélanie Heard, « il n’y a pas de raison de penser que la moyenne ainsi prise pour norme constitue par elle-même un optimum d’état de santé. »
En 1998, le Haut Conseil pour l’Avenir de l’Assurance Maladie (HCAAM) a proposé d’associer à la mesure des états de santé observés pour différentes populations à âges comparables les écarts observés dans l’accès aux soins et dans l’utilisation du système de soins. Avec pour impératif que « la capacité du système de santé à assurer que les besoins se traduisent en demandes effectives, et à atténuer la façon dont les inégalités sociales affectent ce mécanisme. »
Légitimer le financement de la santé
Sa conclusion est cependant sans appel : « Définir un montant de dépenses nécessaires à partir de besoins de santé définis ex-nihilo (indépendamment des caractéristiques actuelles de l’offre et du recours) est impossible. Il n’existe en effet pas de définition de la santé susceptible d’être déclinée opérationnellement en termes de besoins. » Le HCAAM en déduit qu’il est fondamental d’expliciter les valeurs et les choix politiques qui fondent le financement de la santé. Pour cela, il propose l’élaboration d’un « document unique qui définirait des priorités transversales telles que : réduire les inégalités d’accès aux soins, structurer les soins de proximité, agir sur les déterminants de santé, dans le cadre d’une trajectoire tenant compte du point de départ. » Cette élaboration se ferait dans un cadre interministériel intégrant la santé dans toutes les politiques.
Sa légitimité serait assurée par un débat public. À côté de celui tenu par les représentants de la nation, il en existe différentes modalités, qui ont toutes fait la preuve de leur possibilité mais aussi de leurs limites. Mélanie Heard retient une proposition intéressante, qui est de les mettre en œuvre successivement selon la logique suivante: Dans un premier temps, recenser ces modalités au niveau international, en repérer les forces et les faiblesses et redonner leurs principales conclusions en matière de santé. Dans un deuxième temps, soumettre cet état des lieux à un panel citoyen (par exemple sur le modèle de la Convention citoyenne sur le climat), éventuellement hybridé avec des élus. Dans un troisième temps, les conclusions de ce panel seraient soumises au législateur, c’est-à-dire en démocratie à l’ensemble des citoyens par référendum ou à leurs représentants. Ces conclusions définiraient des priorités transversales (réduction des inégalités sociales de santé, structuration des parcours de santé, action sur les déterminants de santé et l’environnement, qualité des soins, ou encore la préparation des crises sanitaires, …). Y serait associée une trajectoire pluriannuelle des ressources correspondantes.
Reste une autre question, non abordée par ce document : les ressources étant limitées, quelle est leur part allouée à la santé afin de tenir compte des autres impératifs sociaux (l’éducation, la sécurité, etc) ?
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