Faut-il modifier notre abord de la souffrance psychique de l’enfant ?

  • Agnès Lara
  • Résumé d’article
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À retenir

  • Selon les données récentes de la littérature, les psychothérapies apparaissent légèrement supérieures à une approche médicamenteuse isolée pour prendre en charge les troubles mentaux de l’enfant.
  • Les approches combinées font un peu mieux, mais les tailles d’effet restent modestes et ont peu d’implications en clinique.
  • Ces résultats montrent que les critères de l’evidence based medicine sont peu adaptés à l’évaluation de troubles aussi complexes et multifactoriels, et invitent à des approches plus diversifiées et personnalisées.

Pourquoi est-ce important ?

La consommation des psychotropes est en augmentation chez les enfants et adolescents depuis une dizaine d’années, malgré la faible efficacité d’une approche purement médicamenteuse que l’on sait aujourd’hui trop limitée. L’OMS recommande les psychothérapies en première intention dans la prise en charge de la souffrance psychique chez les enfants et adolescents, comme chez l’adulte. Il apparaissait donc nécessaire de se pencher sur leur efficacité dans cette population. C’est ce à quoi se sont attachés Sébastien Ponnou, psychanalyste et maitre de conférences en Sciences de l’éducation à l’Université de Rouen Normandie, et Xavier Briffault, chercheur en Sciences sociales et épistémologie de la santé mentale au Centre de recherche médecine, sciences, santé, santé mentale, société (CERMES3) du CNRS (1).

Les données de l’Evidence Based Medecine (EBM)

Dans un article publié sur le site « The Conversation », les deux auteurs rapportent les résultats d’une étude publiée dans la prestigieuse revue World Psychiatry en 2022 qui fait référence dans le domaine et rejoint de nombreuses autres (2). Elle a inclus 102 méta-analyses récentes représentant au total 3.782 essais contrôlés randomisés ayant comparé l’efficacité des pharmacothérapies et des psychothérapies à un placebo ou traitement habituel chez des adultes présentant un trouble mental. Les résultats montrent une supériorité des psychothérapies par rapport au placebo, mais avec une faible taille d’effet. Dans la dépression par exemple, une rémission était obtenue chez 43% des patients suivant une psychothérapie contre 33% de ceux suivant le traitement habituel et 23% dans le groupe placebo. La comparaison par rapport au traitement médicamenteux est en faveur des psychothérapies, mais avec une très faible taille d’effet et aucune différence significative n’a pu être mise en évidence pour les troubles dépressifs, anxieux, et les syndromes de stress post-traumatique. En revanche, les combinaisons psychothérapie/pharmacothérapie font systématiquement mieux que les monothérapies, toujours avec une faible taille d’effet cependant.

Les résultats des essais contrôlés randomisés ont-il une réelle traduction en clinique ?

La question se pose en effet face aux très faibles tailles d’effet observées. Les équivalences établies avec les échelles cliniques indiquent que tous les résultats publiés dans cette revue devraient être considérés comme « cliniquement non importants ». Pour autant, précisent les auteurs, il existe une grande variabilité dans les résultats individuels et certains patients bénéficient nettement des thérapies proposées. Par ailleurs, l’abord même de ce type d’évaluation peut être questionné. En effet, les patients et une partie du corps médical considèrent souvent que la réussite du traitement repose sur la bonne adéquation entre diagnostic (cause biologique) et pharmacothérapie (molécule). Mais le seul traitement d’altérations biologiques est insuffisant pour traiter un trouble mental et ces limites valent probablement aussi pour les psychothérapies.

Vers de nouveaux paradigmes

La souffrance psychique de l’enfant est complexe et propre à chaque individu, mettant en jeu différentes facettes de sa vie (personnalité, rapport à lui-même, liens familiaux, parcours scolaire, références culturelles…). Aussi, n’est-il pas étonnant que des approches de court terme et protocolisées, répondant aux nécessités d’une évaluation entrant dans le cadre de l’EBM, ne montrent qu’une faible efficacité. « Les critères de la médecine basée sur les faits ne sont pas les outils les plus adaptés pour saisir la complexité à l’œuvre dans les pratiques de soin psychique à destination des enfants », écrivent les auteurs. Commencent d’ailleurs à émerger dans la littérature internationale des approches plus personnalisées, moins standardisées. En pratique, il s’agira à l’avenir de favoriser des prises en charge plaçant l’enfant et sa famille au centre de l’offre de soin, en favorisant une diversité des approches et en établissant des durées de soins en fonction des situations singulières et non de façon prédéterminée. Une évolution que l’Organisation Mondiale de la Santé appelle de ses vœux (3).