Expatriation : témoignage du Dr Fabien Touzot, immunopédiatre au CHU Sainte-Justine, Montréal (Canada)
- Véronique Duqueroy
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- Nathalie Barrès
- Actualités Médicales par Medscape
Parmi les 1.000 praticiens français ayant répondu au dernier sondage de Medscape sur la rémunération et la satisfaction professionnelle, 15% envisagent très sérieusement d’aller exercer à l’étranger.
Trois médecins, deux spécialistes et un généraliste, ayant franchi le pas nous ont fait part de leurs motivations à passer le cap. Ils travaillent aujourd’hui dans le service public ou en cabinet privé, au Canada (Québec), en Suisse et en Belgique. Chaque mercredi durant 3 semaines nous vous ferons part de l'un de ces témoignages.
Cette semaine, le témoignage du Dr Fabien Touzot, immunopédiatre au CHU Sainte-Justine, Montréal (Canada)
C’est en 2016 que le Dr Fabien Touzot, immunopédiatre, quitte son poste de maître de conférence universitaire et patricien hospitalier en immuno-hématologie à l’hôpital Necker enfants-malades de Paris. Il part alors s’installer, avec sa femme et ses deux jeunes enfants, à Montréal, au Québec, où il exerce actuellement dans sa spécialité au CHU Sainte-Justine.
La suppression de postes d’infirmiers et d’aides-soignants a été particulièrement délétères pour les services. « Nous en étions à assumer des tâches qui ne relevaient pas de nos fonctions, juste pour maintenir le bon fonctionnement des services. On nous demandait de maintenir les lits et l’activité, mais avec moins de personnel. Et lorsque nous obtenions des résultats conformes aux attentes de l’administration hospitalière, il n’y avait pas de reconnaissance ». Le Dr Touzot évoque avec étonnement des échanges « surréels » pendant les réunions avec l’administration hospitalière. Le poids du système hiérarchique en place à l’hôpital a fini de le conforter dans sa volonté de prendre le large.
« Le problème est que le système de santé français ne repose aujourd’hui que sur la bonne volonté du personnel soignant. La plupart ont choisi cette voie par vocation. Or, nous nous retrouvons finalement à compenser des défaillances générées par une administration purement comptable de la santé. À un moment, les soignants n’en peuvent plus : ça fini par craquer », analyse le praticien. « Beaucoup de mes amis médecins hospitaliers restés en France partent vers le privé ou loin des grandes villes. Il y a un état d’épuisement évident. »
En 2015, il commence à rechercher un poste combinant à la fois recherche et pratique médicale dans une spécialité qui reste assez peu représentée. Séduit en partie par la perspective d’émigrer avec sa famille dans un pays francophone, il postule en 2016 au CHU Sainte-Justine de Montréal, qui a aussi l’avantage de disposer de l’une des plus importantes activités en pédiatrie d’Amérique du Nord, avec des besoins en immunopédiatrie.
Admis au poste, il bénéficie d’un recrutement par sélection qui le dispense d’un stage non rémunéré de trois mois au Québec pour obtenir une équivalence à son diplôme. Une fois au CHU Sainte Justine, « j’ai retrouvé plusieurs anciens collègues français, ainsi que des praticiens ayant participé à ma formation en France ». Beaucoup d’entre eux avaient quitté la France quelques années plus tôt, « essentiellement pour des problèmes avec la hiérarchie », plus que pour des questions de moyens, précise le Dr Touzot.
D’un point professionnel, « je ne regrette absolument pas d’être parti ». « Nous disposons d’excellentes conditions de travail et nous sommes très bien rémunérés. » Le système en place au Québec pour assurer le fonctionnement du système hospitalier « est très protecteur pour les praticiens », qui exercent avec « très peu de pression hiérarchique ». Il n’y a pas de distinction entre médecins. « Ici, le titre de professeur est purement universitaire. Il a peu de valeur honorifique et, surtout, n’implique pas de subordination entre les praticiens ».
Des différences s’observent également dans l’organisation des services hospitaliers. « En France, dans un hôpital universitaire, le chef de service a une position directrice très forte. Il y a peu de renouvellement. Ici, il est choisi de manière collégiale par les membres du service, qui l’évaluent ensuite tous les cinq ans avec le responsable du département » Un mode de fonctionnement qui allège le poids de la hiérarchie.
Du côté de la recherche, « les possibilités sont beaucoup plus importantes qu’en France, même s’il y a toujours ce risque de voir ses financements interrompus du jour au lendemain ». La recherche permanente de fonds pour soutenir ses recherches représente aussi un point négatif. « Ceci dit, si mon activité de laboratoire s’arrête, j’ai toujours celle de médecin. Je trouve mon équilibre entre les deux. »
La reconnaissance exprimée par les patients, aspect le plus gratifiant de la profession pour beaucoup de praticiens interrogés dans notre sondage, représente également un point positif. « Au Québec, il existe davantage de respect vis-à-vis des médecins qu’en France. C’est probablement lié à l’influence de la culture anglo-saxonne, qui encourage un respect mutuel, très présent dans ce pays. »
Concernant la rémunération, les conditions sont aussi nettement plus favorables. En tant que pédiatre hospitalier, le salaire de base est de 740 dollars canadiens brut par journée (510 euros brut), soit environ 120.000 dollars canadiens annuels (81.600 euros brut). S’y ajoute une rémunération à l’acte qui porte l’ensemble de la rémunération brute annuelle à 350.000 dollars en moyenne pour la spécialité de pédiatrie (238.000 euros bruts). Le taux d’imposition se situe entre 40 et 50%.
Parmi les aspects négatifs, l’immunopédiatre évoque l’accès aux traitements médicamenteux qui est égalitaire mais non équitable entre les patients. Si l’hospitalisation et les soins sont pris en charge par l’Etat via la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), la prescription de certains médicaments doit souvent être justifiée auprès des assurances privées. « En cas de prise en charge, elle ne s’applique qu’au-delà d’une franchise de 900 à 1.000 dollars. »
Un retour en France est-il envisageable ? « Je ne me vois pas retourner en France faire de la médecine. Je pense finir ma carrière au Québec. J’ai une qualité de vie ici que je n’aurais pas ailleurs. Mes enfants sont ravis. Ma femme, infirmière, a fini par trouver son équilibre. » Pour autant, s’expatrier si loin de son pays d’origine « n’est pas une expérience facile » et il faut savoir s’y préparer, surtout lorsque le déménagement se fait en famille. « Chacun doit pouvoir y trouver son compte. »
Cet article a initialement été publié sur le site Medscape.
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