Expatriation : témoignage du Dr Benoit R., médecin spécialiste dans un hôpital public de Belgique
- Véronique Duqueroy
- Nathalie Barrès
- Actualités Médicales par Medscape
Parmi les 1.000 praticiens français ayant répondu au dernier sondage de Medscape sur la rémunération et la satisfaction professionnelle, 15% envisagent très sérieusement d’aller exercer à l’étranger.
Trois médecins, deux spécialistes et un généraliste, ayant franchi le pas nous ont fait part de leurs motivations à passer le cap. Ils travaillent aujourd’hui dans le service public ou en cabinet privé, au Canada (Québec), en Suisse et en Belgique. Chaque mercredi durant 3 semaines nous vous ferons part de l'un de ces témoignages.
Cette semaine, le témoignage du Dr Benoit R.*, médecin spécialiste dans un hôpital public de Belgique
Dans le cas du Dr Benoit R., l’opportunité d’exercer sa spécialité en Belgique a été vécue comme un soulagement après environ 10 années d’expérience en France, en milieu hospitalo-universitaire, puis en exercice libéral. « J’avais l’impression de ne pas trouver ma place dans le système de santé français », confie le praticien. Ainsi, lorsque se présente l’opportunité de passer de l’autre côté de la frontière pour exercer sa spécialité, il n’a pas eu d’hésitation.
Dès la fin de sa formation, alors qu’il était interne dans un CHU, le Dr R. n’a pas souhaité poursuivre son activité dans cet hôpital. « Je n’étais pas pleinement satisfait de l’organisation du système hospitalier universitaire français. Le modèle est très hiérarchique et peut se montrer assez lourd. » Souhaitant devenir chef de clinique, il n’est pas non plus séduit par l’idée de passer un concours aboutissant à une année supplémentaire en internat dans « un statut précaire », puis d’attendre plusieurs années avant d’espérer avoir un poste.
Le spécialiste se tourne vers une autre structure hospitalo-universitaire de plus petite taille. Alors qu’on lui avait promis une nomination après deux ou trois ans sur un statut de praticien hospitalier, son clinicat est prolongé et on lui explique que les finances de l’hôpital ne permettent pas de confirmer sa titularisation. « Quand on est jeune parent, se retrouver dans une telle situation de précarité ― après une dizaine d’années d’études, avec une charge de travail importante ― ne permet pas d’avoir les conditions sereines pour exercer. »
Il est finalement nommé avec des fonctions hospitalo-universitaires et se retrouve à cumuler les charges liées aux soins, à l’enseignement et à la recherche, « le tout avec des moyens limités ». Après s’être inscrit en thèse de sciences, sa situation professionnelle s’est vite avérée incompatible avec sa vie personnelle et familiale. « J’allais droit au mur. » Informés de la surcharge de travail imposée, le chef de service et la direction de l’hôpital ne cherchent pas à réduire son activité.
Pour retrouver un équilibre, le Dr R. décide alors d’abandonner la recherche et l’enseignement après six années de pratique pour se concentrer uniquement sur les soins. « Un déchirement », avoue le praticien. La rupture avec l’hôpital est alors inévitable. « Puisque la structure hospitalière n’est pas consciente de ce qu’elle demande à ses employés, on en vient malheureusement à prendre ce type de décision. »
Ouvrir son propre cabinet en ville devient son nouvel objectif. Il crée son activité dans sa ville de résidence et se met en lien avec des hôpitaux privés. L’activité démarre vite. Pour partager l’exercice, il recherche un associé exerçant la même spécialité. « J’ai cherché en vain pendant plus de deux ans. Personne ne voulait tenter l’aventure du libéral. Pour tenir, j’ai dû réorganiser mon activité et me focaliser notamment sur les traitements les plus légers. Pour les traitements plus lourds, les patients étaient envoyés à l’hôpital. Ce mode d’exercice ne me convenait pas. J’avais le sentiment de ne pas exercer la spécialité pour laquelle j’avais été formé. »
En parallèle, le médecin se confronte aux contraintes administratives et à l’Assurance maladie, qui oublie régulièrement de verser certaines prestations ou multiplie les pressions pour forcer à faire des économies. Il subit aussi les conséquences inattendues de la mise en place du prélèvement à la source. « Les charges correspondant à mes deux premières années d’exercice n’ont pas été étalées comme attendu, mais prélevées sur une période de six mois, pendant laquelle je n’ai pas pu me verser de salaire. La situation est devenue critique. »
Alors qu’il se retrouve désabusé et prêt à entamer une reconversion professionnelle, un recruteur vient lui proposer d’exercer sa spécialité dans un hôpital belge, en lui vantant notamment l’organisation spécifique de cet hôpital. « L’équipe de direction comprend un directeur administratif, et un directeur médical qui est forcément médecin. Celui-ci est garant du projet médical. C’est une vraie différence par rapport à l’hôpital français et c’est ce qui m’a motivé à venir ici. »
Le Dr R. exerce depuis plus d’un an avec un statut d’indépendant, une autre particularité de la Belgique. « L’hôpital me verse un montant fixe brut par demi-journée de travail, qu’importe le nombre de consultations effectuées. À moi de déclarer mes revenus et de payer mes charges auprès de l’équivalent belge de l’Urssaff. Je travaille quatre jours par semaine. À la fin du mois, je gagne l’équivalent de ce que je gagnais en tant que médecin libéral en France, mais avec moins de contraintes. »
Pour lui, le passage en Belgique s’est traduit par une amélioration de ses conditions de travail. Le praticien apprécie notamment l’appui de personnels paramédicaux d’accompagnement (infirmier spécialisé, psychologue, diététicien, kinésithérapeute…), plus représentés dans les hôpitaux belges, en comparaison avec ses expériences antérieures. Difficile toutefois, selon lui, d’apprécier le changement après un an et demi d’activité, surtout dans le contexte difficile de l’épidémie de COVID-19.
La pratique de la médecine en Belgique a aussi ses inconvénients. « Après un an et demi d’exercice, je ne suis toujours pas officiellement reconnu dans ma spécialité. Étonnamment, il n’existe pas de reconnaissance systématique de diplôme ». De plus, « la situation n’est pas forcément plus favorable en Belgique pour les soignants. Comme partout en Europe, il y a un manque de soignants, alors que les besoins augmentent. »
« On demande de travailler davantage. Certains évoquent un manque de reconnaissance, une perte de sens. Ici aussi, de nombreux soignants quittent l’hôpital, voire abandonnent la profession. Il faut espérer que la société et les pouvoirs publics prennent la mesure des enjeux afin d’assurer une qualité de soins pour les patients. »
* le nom a été modifié
Cet article a initialement été publié sur le site internet Medscape.
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