ESMO 2022 – Un risque de cancer qui se respire
- Univadis
- Conference Report
par Elena Riboldi
À retenir
- La pollution de l’air provoque le cancer bronchique non à petites cellules (CBNPC) en agissant comme un agent promoteur de la tumeur.
- Le tissu pulmonaire normal sur le plan histologique est porteur de mutations oncogènes qui s’accumulent avec le vieillissement.
- Les PM2,5 induisent la libération d’interleukine-1 bêta (IL-1β), favorisant la trans-différenciation des cellules épithéliales en cellules progénitrices de type cellules souches qui, si elles sont porteuses de mutations, peuvent se développer.
- Le cancer du poumon induit par la pollution pourrait être évité en ciblant l’axe IL-1β.
La question « Comment les personnes qui n’ont jamais fumé contractent-elles un cancer du poumon ? » trouve une explication possible dans les travaux présentés par Charles Swanton, de l’Institut Francis Crick (Francis Crick Institute, Londres, Royaume-Uni), lors de l’édition 2022 du congrès de la Société européenne d’oncologie médicale (European Society for Medical Oncology, ESMO). Charles Swanton et ses collaborateurs internationaux ont démontré que le cancer bronchique non à petites cellules (CBNPC) peut être directement causé par la pollution de l’air. Ils ont découvert que la cytokine interleukine-1 bêta (IL-1β) est un acteur crucial dans le mécanisme causal reliant les particules fines (PM2,5) et le cancer du poumon, ce qui ouvre la voie à des interventions de prévention du cancer.
L’étude
En analysant les données de la Biobanque du Royaume-Uni (UK Biobank), les auteurs ont confirmé que l’exposition aux PM2,5 est associée à 7 types de cancer, dont le cancer du poumon (CP). Il a été constaté que l’exposition à des niveaux croissants de PM2,5 était liée à une incidence accrue de CP avec mutation du récepteur du facteur de croissance épidermique (Epidermal Growth Factor Receptor, EGFR) en Angleterre, en Corée du Sud et à Taïwan (à noter que les mutations de l’EGFR sont 4 à 5 fois plus fréquentes dans le cadre du cancer du poumon chez les personnes n’ayant jamais fumé [CP-PJF]). Des expériences in vivo et in vitro ont montré que les PM2,5 favorisent le CP chez les souris présentant des mutations préexistantes de l’EGFR ou de KRAS, et qu’elles induisent un état semblable à celui des cellules souches cancéreuses dans les cellules épithéliales. En analysant le tissu pulmonaire normal de personnes n’ayant jamais fumé et de souris après une exposition aux PM2,5, les auteurs ont constaté que la pollution atmosphérique induit l’expression de l’IL-1β à partir de l’épithélium pulmonaire et des macrophages alvéolaires. Un anticorps anti-IL-1β a inhibé le cancer induit par la pollution dans un modèle murin présentant une mutation de l’EGFR. Enfin, un profilage ultraprofond a révélé des mutations de l’EGFR (15 %) et des mutations activatrices de KRAS (53 %) dans des échantillons de tissus pulmonaires normaux ; les mutations oncogènes ont augmenté avec l’âge.
Le modèle
Pour expliquer ses résultats, Charles Swanton remet en cause le modèle de promotion des tumeurs proposé en 1947 par Isaac Beremblum. « Il faut deux étapes pour déclencher une tumeur : un événement déclencheur, dont nous savons maintenant qu’il s’agit d’une mutation, et un événement promoteur. C’est ainsi que fonctionne la pollution atmosphérique ». Le CP-PJF ne présente aucune mutation de l’ADN induite par des carcinogènes environnementaux, mais des mutations sont présentes dans le tissu pulmonaire normal. « Nous estimons que, chez un adulte en bonne santé, environ une cellule sur 600 000 dans le poumon est porteuse d’une mutation. Ces mutations sont le résultat naturel du vieillissement ». Les mutations sont nécessaires mais pas suffisantes pour provoquer un cancer. Charles Swanton pense que nous sommes en présence d’un mécanisme à action éclair. « La libération d’IL-1β a un effet transitoire sur l’épithélium. Elle crée un groupe de cellules progénitrices et, si une cellule porte une mutation oncogène, alors la tumeur peut se former ». Cela peut expliquer pourquoi les essais ayant utilisé l’anti-IL-1β dans les tumeurs établies se sont avérés décevants, tandis que l’essai CANTOS a montré une réduction dose-dépendante dans le cadre d’un nouveau cancer primitif du poumon avec le canakinumab, un anti-IL-1β.
Les implications
Charles Swanton distingue deux implications de ces nouvelles découvertes. « La première implication est un impératif de santé publique de réduction des PM2,5. S’il n’est pas possible de le faire rapidement, je pense que nous devons commencer à cibler les voies du réseau inflammatoire qui favorise l’expansion des cellules progénitrices dans le poumon ».
La voie de l’IL-1β est bien connue. « Il se peut qu’il y ait d’autres molécules présentes dans la voie, que nous pourrions cibler et qui ne nécessitent pas d’anticorps. Cela nous permettrait d’utiliser de petites molécules. Je rêve d’une prévention moléculaire du cancer : dans 10 à 20 ans, nous pourrons peut-être prendre un comprimé par semaine pour atténuer la voie inflammatoire et réduire le risque de cancer, [surtout] pour les personnes les plus à risque dans les zones urbaines fortement polluées. »
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