Entretiens de Nutrition 2023 – L'épigénétique, déterminante pour les 1.000 premiers jours de l’enfant

  • Caroline Guignot
  • Actualités Congrès
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Le concept DOHAD de l’origine développementale de la santé et des maladies (Developmental Origins of Health and Disease) repose sur l’idée que les facteurs environnementaux au sens large (hygiène de vie, toxiques, stress…) influencent continuellement l’enfant, dès sa vie embryonnaire et va conditionner sa santé ultérieure. Aujourd’hui, ce concept est renforcé par l’accumulation de données faisant la démonstration de la transmissibilité de traits phénotypiques de la part de la mère et du père. Ces traits, reposant sur des mécanismes moléculaires d’épigénétique, ont fait l’objet d’une communication au cours des 24e Entretiens de Nutrition (1er juin 2023, Lille). Leur compréhension incite d’autant plus à renforcer la prévention lors des 1.000 premiers jours de vie de l’enfant.

Des modifications moléculaires à la plasticité développementale

L’épigénétique correspond à des mécanismes moléculaires (méthylation de l’ADN, modification des histones, production d’ARN non codants) qui surviennent au voisinage du génome et qui vont en influencer le niveau d’activité et l’expression séquentielle des gènes, sans en modifier la séquence nucléotidique. Elle constitue « un système qui fait le lien entre l’environnement d’un individu et les caractéristiques de son génome et de son expression, a expliqué Umberto Simeoni (CH de Lausanne). Elle lui permet de s’adapter à son environnement en permettant au génome de devenir plastique. Il est probable que l’épigénome joue un rôle aussi, voire plus important que ce dernier sur la prédisposition d’adaptation biologique d’un individu face aux évènements de sa trajectoire de vie ». Le fait que ces caractéristiques épigénétiques, donc acquises, puissent persister et être transmises à la descendance pourrait expliquer certaines maladies familiales non génétiques. Il existerait donc une empreinte épigénétique acquise au tout début de la vie intra-utérine puis au cours de la petite enfance, ainsi qu’une empreinte héritée des parents.

Le modèle des famines périnatales

Entre septembre 1944 et mai 1945, 20.000 néerlandais sont morts de famines suite au blocage soudain de l'approvisionnement en nourriture d’une grande partie des Pays-Bas par les Allemands. En 2018, des chercheurs ont consacré une étude au suivi des enfants nés de mères enceintes durant cette période par rapport à leurs frères et sœurs dont la vie foetale avaient eu lieu hors de cette fenêtre : la Dutch Hunger Winter Study a ainsi montré que les enfants dont les mères avaient consommé moins de 500 kCal/jour avaient des paramètres de santé – obésité, diabète de type 2, dyslipidémie, schizophrénie - moins favorables que la fratrie contrôle. La privation de nourriture au cours de la vie in utero, et particulièrement au cours du premier trimestre de grossesse, a conduit ces enfants à développer un phénotype d’épargne métabolique qui repose sur l’épigénétique. Bien d’autres études ont pu être conduites sur le sujet, confirmant ces résultats, notamment par l’étude des descendants de sujets ayant subi d’autres famines au cours du 20e siècle (Holodomor en 1932-1933, famine du grand Bond en avant chinois en 1958-1960...). Ces données invitent à être très prudent sur les restrictions caloriques des mères enceintes, afin de préserver une trajectoire de santé métabolique ultérieure favorable chez l’enfant.

D’autres études du même type décrivent aussi l’impact de ces famines sur la deuxième génération, avec un risque accru de syndrome métabolique, non seulement pour les enfants nés de mères exposées à la famine lors de leur vie in utero, mais également chez les enfants dont les pères avaient été concernés en phase pré-conceptionnelle, suggérant une transmission épigénétique de la part des deux parents. « On peut se demander si l’explosion surprenante de l’obésité dans nos pays ne reposerait pas sur un effet transgénérationnel de l’épigénétique, interroge Jean-Michel Lecerf (Institut Pasteur, Lille), lorsqu’on sait par exemple que « depuis une quarantaine d’années, les apports alimentaires réels et la disponibilité alimentaire sont stables aux Etats-Unis ».

La réponse au stress, transmise de parent à enfant

Ce ne sont que quelques exemples parmi les plus frappants du rôle de l’épigénome sur la santé ultérieure de l’enfant. Beaucoup d’autres données existent aujourd’hui, comme celles décrivant l’influence du tabagisme de la mère et du père sur l’adiposité ultérieur de leur enfant ou encore le stress vécu par les parents : ainsi, une étude a décrit que les enfants adultes ayant au moins un parent survivant de l'Holocauste avaient des altérations de la méthylation d’un gène impliqué dans la gestion du stress (NR3C1) suggérant une influence transgénérationnelle de la vulnérabilité crée par les traumatismes. Le stress chronique durable et intense corrélé au cortisol a aussi une influence sur le neurodéveloppement des enfants. Pris ensemble, ces données sont autant d’éléments qui « invitent à rompre les cycles de souffrance intergénérationnelle » a martelé le Dr Thierry Cordoso (Santé Publique France), en poursuivant : « La prévention en santé conceptionnelle devrait reposer sur une action combinée entre politique publique, mobilisation sociale et actions sur l’individu, a t-il conclu. Cela passe par la prise de conscience de l’impact des environnements délétères ou favorables aux enfants, la capacité à appréhender les phénomènes de stress toxique et d’adversité dans l’enfance et à comprendre le potentiel de répercussion sur l’individu tout au long de la vie pour identifier des solutions environnementales et individuelles à mettre en oeuvre pour en atténuer les effets ». Selon lui, les professionnels de l’accompagnement parental doivent avoir une posture d’accompagnement qui intègre la sécurisation émotionnelle des futurs parents : « il faut réduire l’impact du stress sur leurs capacité à devenir parents et qu’ils soient prêts à développer leurs capacité d’adaptation au stress au plus tôt ». Ces éléments jouent un rôle fondamental de sécurisation de l’enfant, socle fondamental pour une croissance en bonne santé.