Encéphale 2022 - Idées suicidaires de l’enfant et de l’adolescent : quelle prévention ?

  • Stéphanie Lavaud

  • Nathalie Barrès
  • Actualités Congrès
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La Haute Autorité de Santé (HAS) a publié en octobre dernier de nouvelles recommandations consacrées à la « prévention des idées suicidaires chez l’enfant et l’adolescent ». Lors du congrès de l’Encéphale 2022 , le Dr Charles-Edouard Notredame (MCU-PH dans le service de Psychiatrie de l'Enfant et de l'Adolescent du CHU de Lille), qui a co-dirigé ce travail, est revenu sur les nouveautés de ce texte, tandis que son collègue, le Dr Vincent Trebossen, psychiatre de l'enfant et de l'adolescent à l’hôpital Robert Debré (Paris) a abordé l’impact de la pandémie Covid-19 sur la santé mentale des jeunes [1].

 

Suicide : 2ème cause de décès chez les 15-24 ans

Avec 23 cas chez les 5-14 ans en 2017 et 312 chez les 15-24 en 2017, le suicide des enfants et des adolescents reste rare. « Néanmoins rapporté aux chiffres de la mortalité à ces âges-là, ces chiffres prennent de l’importance puisque le suicide représente alors 14% de la part de la mortalité chez les 15-24 ans et se place en 2ème position de la cause des décès dans cette tranche d’âge », a rapporté le Dr Charles-Edouard Notredame.

Avant la crise Covid, c’était 8 adolescents de 17 ans sur 100 qui disaient avoir eu des idées suicidaires tandis que 14 avaient fait une tentative de suicide hypothéquant leur pronostic vital. Des chiffres préoccupants « car des études ont montré qu’une tentative de suicide à l’adolescence péjorerait, indépendamment de toute pathologie psychiatrique, le risque vital et fonctionnel et augmenterait le risque de troubles psychiatriques ultérieurement, de même que celui d’avoir davantage de troubles somatiques, de souffrir d’isolement et d’avoir besoin d’aide sociale », a expliqué le psychiatre lillois. Cette hypothèque de l’avenir des jeunes après une tentative de suicide, justifie, pour l’orateur, « l’effort considérable à mener en termes de prévention. »

Le fort impact Covid

Et ce d’autant qu’il y a véritablement un avant et un après Covid quant à la santé mentale des jeunes. Depuis 2019, les chiffres ont littéralement explosé avec plus de 126% de passages aux urgences pour des idées suicidaires chez les 11-17 ans, et une augmentation de 30% des tentatives de suicide. « Et le début 2022 est très inquiétant avec des données qui sont déjà le double de 2021 », a précisé le psychiatre lillois.

Un constat inquiétant corroboré par le Dr Vincent Trebossen, qui a vu une nette augmentation des passages aux urgences de l’hôpital Robert Debré (Paris) à partir de septembre 2020, surtout chez les moins de 15 ans, par rapport aux années précédentes. « Il est indéniable que le Covid a eu un impact sur la santé mentale », a affirmé le psychiatre parisien. S’il y a une tendance à l’augmentation depuis 2010, on assite à une nette accélération ces derniers mois, a-t-il précisé.

C’est donc dans ce contexte tendu que la HAS a procédé à la mise à jour des recommandations en matière de prévention, de repérage, d’évaluation et de prise en charge des idées suicidaires chez l’enfant et l’adolescent, parue en octobre 2021, alors que les dernières dataient de 1998. « L’idée a été de capitaliser sur les anciennes pour en faire de nouvelles », a expliqué le Dr Notredame, qui a copiloté ce travail.

 

Plusieurs changements de paradigme

Parmi les changements de paradigme retenus figure le fait de ne plus mettre de limites d’âge aux recommandations pour les adolescents et les jeunes suicidants, mais de les étendre à la tranche allant de 11 à 25 ans, compte-tenu que l’adolescence est « sous-tendue par un processus développemental biopsychosocial », explique le psychiatre lillois. Autre grand principe : les idées suicidaires de l’enfant ou de l’adolescent ne doivent plus être banalisées, il faut, autrement dit, « en finir avec l’idée communément admise que tout ado a des idées suicidaires ou que faire une tentative de suicide à l’adolescence, c’est normal » sachant qu’il existe un « continuum » allant des pensées suicidaires au suicide complété. « Il est largement étayé que les personnes qui adoptent des conduites suicidaires préparatoires sont exposées à un surrisque de tentatives de suicide futures, et que le fait d’avoir fait une tentative de suicide augmente à son tour le risque de mourir de suicide. De même, les idées suicidaires augmentent la probabilité d’une tentative de suicide ultérieure, voire d’un suicide complété », peut-on lire dans les recommandations.

En termes de prise en charge, il s’agit par exemple « de ne plus préconiser de façon systématique l’hospitalisation car de nombreux autres dispositifs sont nés depuis [les dernières recommandations], des dispositifs ambulatoires, des dispositifs originaux ou renforcés, des suivis étroits tels l’Asma à Marseille ou à VigilanS, le dispositif permettant de recontacter les jeunes après une tentative de suicide. On peut donc désormais s’appuyer sur des dispositifs post-hospitaliers et on a décidé aussi de mutualiser les différentes solutions qui peuvent être mises en œuvre après une tentative de suicide », a considéré le psychiatre.

Autre changement en termes de priorités et des enjeux de la prévention du suicide : passer sur le mode collectif. « S’il y avait à l’époque, une volonté de mobiliser le sanitaire, on veut aujourd’hui aller plus loin » et faire en sorte d’engager « la responsabilité collective, avec la nécessité d’une mobilisation de l’ensemble des acteurs de la prévention, supposant une meilleure coordination de l’action de ses acteurs dans le respect du champ de responsabilité et de compétence de chacun », a-t-il précisé.

 

Changement de vocabulaire : « appeler un chat, un chat »

Un point sur lequel les auteurs de la recommandation se sont montrés « un peu pointilleux, voire exigeant » est celui du vocabulaire employé pour désigner les conduites et pensées relatives au suicide. « Premièrement, on a préconisé d’arrêter de parler de « suicide accompli ou réussi » ou de « tentative de suicide ratée » parce que nous avons voulu vider la terminologie autour des conduites suicidaires de toutes dimensions morales », explique le Dr Notredame, « en considérant que ce n’est jamais une réussite de se suicider, que ce n’est jamais un échec de faire une tentative de suicide ». « Deuxièmement, on a évité tout ce qui est « idées noires, tentative de suicide, parasuicide » pour appeler un chat, un chat. Si on veut faire de la prévention et de la recherche exigeantes, il faut pouvoir avoir des terminologies précises sans utiliser des éléments de pudeur ». Le champ du vocabulaire faisant référence au champ pénal est aussi à bannir. Ainsi on parlera non plus de « récidives suicidaires mais de ré-itération suicidaire », ne pas dire « commettre un suicide mais plus simplement, se suicider. » De même, essayer d’éviter les termes « menaces de suicide ou chantage au suicide » qui sont aussi très connotés moralement, a indiqué le Dr Notredame.

 

Une approche globale, développementale, éco-systémique et pro-active

Sinon, de façon plus générale, les auteurs de la recommandation HAS ont souhaité « ancrer quatre principes forts de la prévention du suicide, à savoir une approche globale, développementale, écosystémique et proactive », a rappelé le psychiatre lillois.

« L’approche globale, c’est une approche multi-niveau, ciblée, impliquée, sélective et universelle. Cela signifie qu’elle est multimodale, conjuguant différentes actions, multidisciplinaires, avec différents champs pouvant être convoqués, mais aussi multi-secteurs, englobant le sanitaire, le médico-social, le social, l’éducatif.... L’approche développementale signifie, elle, que l’on prend en compte les besoins et les modalités d’action spécifiques à l’enfant et à l’adolescent », a décrypté le psychiatre. Par approche éco-systémique, comprendre que la famille doit tenir une place importante dans la prise en charge de conduites suicidaires. « Dans l’approche proactive, exit le temps où l’on attendait que l’adolescent soit motivé ou soit en demande, pour le prendre en charge. L’idée, c’est d’aller au-devant des enfants et des adolescents, et d’assumer le fait qu’ils ont des difficultés (surtout les ados) à demander de l’aide (surtout quand ils ne vont pas bien) ».

Le but de toute cette démarche est de « structurer une chaine de prévention depuis la détection qui s’appuie sur le repérage et le dépistage, puis l’évaluation de l’urgence et de la vulnérabilité suicidaire, l’orientation vers les bonnes ressources et, enfin, la prise en charge en termes de protection, de soins et d’accompagnement », a précisé l’orateur. « Nous avons proposé que toute cette chaîne s’appuie sur la structuration de parcours territoriaux auprès des acteurs de primaire et de seconde ligne », a-t-il poursuivi, avant de promouvoir, pour clore son intervention la ligne de prévention du suicide 3114 (voir encadré ci-dessous) mise en place fin 2021.

 

De nouveaux outils

Si la période pandémique a été (et est encore) une période très difficile en termes d’impact psychologique sur les enfants et les adolescents, elle a aussi vu émergé de nouveaux outils à destination de la population, a fait remarquer la Pre Priscille Gerardin, responsable de la pédopsychiatrie au CHU de Rouen, qui co-animait la session. Le Dr Vincent Trebossen a ainsi souligné la création du site de ressources clepsy.fr qui regroupe de nombreuses fiches pratiques, conçues par les professionnels du Centre d’Excellence des Troubles Neurodéveloppementaux de l'Hôpital Robert Debré AP-HP (InovAND) sous la houlette du Dr Benjamin Landman,pour accompagner les familles dans leur quotidien. (Lire Des fiches pour aider les parents d’enfants en difficulté pendant le confinement). Le Dr Notredame a, quant à lui, fait la promotion du numéro national de prévention du suicide mis en place le 1er octobre dernier. Gratuit et confidentiel, le 3114 permet une prise en charge sanitaire des personnes ayant des idées suicidaires 7j/7 et 24h/24, sur tout le territoire national.

Cet article a été écrit par Stéphanie Lavaud et initialement publié sur le site internet Medscape.