Encéphale 2022 - Grossesse et périnatalité : l'enjeu majeur des souffrances psychiques et des maladies psychiatriques
- Marine Cygler
- Nathalie Barrès
- Actualités Congrès
Des femmes en souffrance psychique lors de la grossesse ou à la naissance de leur enfant ou des femmes ayant un trouble psychiatrique chronique qui souhaitent avoir un bébé et mener leur grossesse le plus normalement possible, des situations différentes mais qui connaissent souvent le même parcours : l'absence de prise en charge appropriée.
Ces situations, suffisamment fréquentes pour que la société et les médecins s'en préoccupent, sont du ressort de la psychiatrie périnatale dont les enjeux ont été détaillés lors d'une session dédiée à la périnatalité [1] du congrès de l'Encéphale 2022 .
Promue ces dernières années, la psychiatrie périnatale repose sur des soins conjoints : le bébé et le ou les parents bénéficient tous d'une prise en charge, qui peut commencer pendant la période antéconceptionnelle et se poursuivre jusqu'à la fin de la première année de l'enfant.
« Dans mon propos je veux illustrer comme nous avons encore une marge de manœuvre conséquente pour que les femmes, les familles et les bébés puissent accéder à des soins de qualité », a souligné l'orateur, le Dr Romain Dugravier (pédopsychiatre, Centre de psychopathologie périnatale, Institut Paris Brune).
Aujourd'hui, indique-t-il, seules 27% des femmes en souffrance psychique pendant leur grossesse ou leur début de maternité ont accès à une professionnel de santé mentale. On se rappelle aussi qu'en 2020, l'étude EPOPé a révélé que le suicide était la première cause de mortalité maternelle dans l'année qui suit la naissance d'un enfant. Or « 9 décès sur dix auraient été évitables », d'après le Dr Dugravier.
Comment répondre à ces enjeux ? L'orateur a cité plusieurs stratégies au travers de l'exemple du dépistage de la dépression périnatale et celui de la prise en charge des femmes vivant avec un trouble psychiatrique chronique désireuses de devenir mère.
Exemple du dépistage de la dépression périnatale
Pour mémoire, la dépression périnatale concerne environ 100.000 femmes par an en France mais seules 25% d'entre elles accèdent à des soins. Romain Dugravier explique ce décalage par d'une part la formation insuffisante des professionnels en première ligne (sages-femmes et obstétriciens), l'absence de stratégie de dépistage structurée mais aussi la honte et la culpabilité pour une mère de demander de l'aide et une résistance de l'entourage à percevoir et entendre la souffrance d'une jeune mère.
Dans sa présentation, Romain Dugravier a décrit l'expérience PsyCOVIDUM qui a été lancée au printemps 2020 au cours du premier confinement avec les maternités de l'hôpital Saint-Joseph (Paris) et de l'hôpital Louis Mourier (Colombes). Cette étude avait pour but d'évaluer l'évolution de la dépression maternelle en fonction des pics de Covid. Toutes les femmes qui venaient d'accoucher étaient dépistées à la maternité par le questionnaire EPDS et un entretien.« On a confirmé les données de la littérature : beaucoup de femmes étaient passées inaperçues », explique-t-il. Les femmes identifiées comme fragiles recevaient une fois rentrées chez elle un soutien par appel téléphonique.
« Nous avons décidé de pérenniser ce dispositif dans ces deux maternités car on lui a trouvé plusieurs vertus. D'abord, il permet aux femmes passées inaperçues d'accéder aux soins. De plus, il a permis de sensibiliser les sages-femmes à la problématique de la santé mentale des femmes qu'elles suivent. Et comme le questionnaire était réalisé pour toutes les femmes, cela permet de banaliser le sujet des dépressions périnatales et de montrer qu'il peut concerner tout le monde », poursuit-il.
Crainte de la stigmatisation des femmes atteintes de troubles psychiatriques
Le Dr Dugravier a terminé sa présentation en mentionnant le cas particulier mais fréquent des grossesses des femmes atteintes d'un trouble psychiatrique chronique. « Elles font plus de bébés qu'avant », constate Romain Dugravier. « Si leur fécondité est moindre que celle la population générale, la moitié des femmes souffrant de schizophrénie et les trois-quarts de celles souffrant de troubles bipolaires auront au moins un bébé au cours de leur vie », précise-t-il.
Las, un constat désolant : ces femmes sont bien moins suivies sur le plan psychiatrique mais aussi sur le plan obstétrique. Il y a à la fois de leur part la crainte d'une stigmatisation et de la part des professionnels de santé des croyances qui voudraient que la grossesse soit une période protégée vis-à-vis de la maladie mentale.
« Parmi celles qui sont identifiées, on s'aperçoit qu'elles ne vont pas à l'entretien prénatal précoce, qu'elles ne font pas de préparation à la naissance, qu'elles sont moins bien suivies lors des consultations prénatales et que les examens – échographies, sérologies – sont bien moins faits », déplore Romain Dugravier. Ce dernier constate aussi que nombre de femmes se désengagent des soins psychiatriques dans un désir de normalité et par crainte du regard médical. Or « faire un épisode aigu de son trouble est le principal risque quand on est atteinte d'un trouble psychiatrique et qu'on attend un bébé », indique-t-il, précisant qu'il y a alors un risque d'une hospitalisation en urgence et si le bébé est né, un risque de séparation. Le risque de séparation est réel, et les craintes des femmes justifiées, dans la mesure où une femme schizophrène sur deux perdra la garde de son enfant de façon temporaire ou définitive.
Des stratégies d'accompagnement des femmes avec troubles psychiatriques
Que proposer ? Le Dr Dugravier et son équipe ont fait le choix d'un dispositif anténatal, et même antéconceptionnel, mené par une équipe de psychiatres, pédopsychiatres et infirmières. « Le choix est d'être très en amont, de rencontrer des femmes présentant des troubles psychiatriques avec un projet d'enfant afin d'identifier avec elles leurs besoins », explique Romain Dugravier en présentant le principe d'anticipation du dispositif CICO (consultation d'information, de conseil et d'orientation). A l'issue d'une première consultation d'une heure et demie, « qui pose les jalons des conditions de bien-être et de sécurité de la famille », celle-ci est accompagnée toute la grossesse et même après par l'équipe d'infirmiers.
Ce type de dispositif n'est pas promu par le gouvernement qui a préféré la notion de « référent-parcours », c'est-à-dire de « renforcer, dans la maternité, les staffs dits de parentalité qui visent à identifier, en anténatal, les situations les plus vulnérables ».
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