Oléron, France – La situation dramatique dans les Ehpad français, telle qu’elle nous a été présentée dans les médias, n’est heureusement pas représentative de l’ensemble de établissements pour personnes âgées. À l’image de ceux dépendant de l’hôpital de l'île d'Oléron en Charente-Maritime (17) qui certes, sont situés dans une région peu touchée par l’épidémie de COVID-19, mais ont également bénéficié de mesures de protection strictes (avant même le début du confinement) sur les conseils avisés d’un médecin retraité particulièrement bien informé. Résultat : les résidents n’ont pas été touchés par le virus depuis le début de l’épidémie.
Nouvelle-Aquitaine : une des régions les moins impactées par le coronavirus
Les chiffres des décès en Ehpad font froid dans le dos. Longtemps absents des décomptes officiels, les décès liés au COVID-19 dans ce type d’établissements ont révélé une surmortalité due à l’épidémie. Chaque soir, le triste décompte de la Direction générale de la santé (DGS) dresse le même constat : plus d’un tiers des décès liés au COVID-19 a lieu dans les Ehpad [1].
Si l’Île-de-France est particulièrement touchée (la quasi-totalité des 700 Ehpad de la région a au moins un cas déclaré de COVID-19), d’autres régions sont plus épargnées. À l’image de la Nouvelle-Aquitaine qui est l’une des moins impactées par le coronavirus grâce à un effet conjugué, selon l’Agence régionale de santé (ARS) : « une faible circulation du virus au moment de la décision de confinement et un strict respect de celui-ci ». Selon une étude récente de l'Institut Pasteur, ce sera d’ailleurs la région la moins touchée par le COVID-19 au 11 mai (à peine 1,4% de ses habitants, contre 5,7% pour la moyenne nationale et 12,3% pour l’Île-de-France).
Par ailleurs, les Ehpad de la région sont peu touchés par l’épidémie : seuls 18,2% d’entre eux [2] sont actuellement concernés par une situation de COVID-19 confirmée ou suspectée (résidents et personnel), selon les derniers chiffres de l’ARS Nouvelle-Aquitaine (27 avril). Une proportion nettement inférieure à la région parisienne.
- le 7 mai, le nombre de décès en France s'élevait à 25 987, dont 9 601 dans les Ehpad.
- soit 164 Ehpad sur un total de 898 Ehpad en Nouvelle-Aquitaine.
Aucun cas sur l’Ile d’Oléron
Si le virus a moins circulé dans cette région, l’absence de contamination dans les Ehpad d’Oléron tient aussi à la mise en place de mesures particulièrement prudentes et avisées grâce à une forte anticipation (et à la bonne intuition) d’un médecin de l’île.
« On a mis très tôt des barrières très strictes pour ne pas introduire le loup dans la bergerie. Avant même le début du confinement, on a demandé à tout le personnel de l’établissement de mettre des masques. On prenait aussi leur température de manière aléatoire à leur arrivée le matin », témoigne le Dr Jean-Pierre Hostein, l’un des deux médecins de l’hôpital de l'île d'Oléron qui gère deux Ehpad, l’un sur le site de Saint-Pierre d'Oléron et l’autre à Saint-Georges d'Oléron.
Puis, quand le confinement a démarré, les contrôles de température sont devenus « rigoureusement systématiques. On exigeait aussi du personnel qu’il se lave les mains devant nous, avant de le soumettre à un petit interrogatoire (nez qui coule, toux éventuelle, etc.) », poursuit le médecin. Ces mesures de précaution précoces ont permis de limiter drastiquement le nombre de cas dans les établissements. En effet, aucun résident n’a été infecté depuis le début de l’épidémie dans les deux Ehpad (environ 160 lits au total), tandis que deux cas suspects – des soignants dont la température était supérieure à 38°C – ont été mis en quatorzaine.
Une anticipation adéquate grâce à un médecin bien informé
L’épidémie a probablement été également endiguée sur l’île d’Oléron, en raison notamment de l’isolement géographique, du renforcement des contrôles routiers pour faire face à l’afflux de touristes ou des arrêtés municipaux interdisant locations et séjours touristiques. Contactés par Medscape, aucun des 5 Ehpad de l’île n’a comptabilisé de cas de COVID-19 (résidents et salariés) jusqu’à présent.
Mais si les deux Ehpad de l’hôpital de l'île d'Oléron ont évité la contamination de leurs résidents, c’est aussi grâce à l’anticipation d’un médecin. En effet, le Dr Jean-Pierre Hostein a eu largement le temps de s’informer sur le virus en décembre dernier : « J’ai un très gros avantage, je suis un médecin à la retraite. Je ne travaille qu’à tiers temps ». Informé de la situation en Chine dès l’officialisation des premiers cas, il a notamment suivi sur les réseaux sociaux le Dr Philippe Klein, qui a vécu la crise du COVID-19 à Wuhan de l'intérieur.
« Il nous disait : « faites gaffe, il y a un virus qui est très agressif chez certaines personnes, il tue même des gens qui ont l’air d’être en bonne santé ». Donc, j’ai tout de suite fait remonter les informations auprès de mes collègues et auprès de la direction. Je leur ai dit : « méfiez-vous, soyez prudents et raisonnables, le virus est dangereux. On a réussi à les sensibiliser très vite, en faisant notamment des réunions avec le personnel pour parler du virus. On leur a conseillé de partir masqués pour faire leurs courses, d’emporter leur gel hydro alcoolique, de respecter les mesures de distanciation. On a aussi évoqué la grippe espagnole de 1918 et le risque d’avoir à nouveau une grosse pandémie, avec peut-être des millions de morts. »
Suffisamment de matériel de protection pour les soignants
Sensibiliser est une chose, mais encore fallait-il que la direction mette en œuvre rapidement les mesures nécessaires. Or, non seulement, celle-ci a agi sans attendre, mais elle avait aussi la chance de disposer de suffisamment de matériel de protection pour les soignants. « On avait un gros stock masques (chirurgicaux et FFP2, NDLR) avant le début du confinement : 12 000 à 13 000 masques d’avance (pour environ 90 soignants sur les 2 Ehpad), précise Arnaud Le Bihan, directeur des ressources humaines des 2 Ephad. Des propos confirmés par le Dr Hostein : « On a suffisamment de masques, de sur-blouses, de sur-chaussures, de charlottes, de lunettes en plastique… On a vraiment le luxe d’avoir assez de stock de matériel, on a une dotation parfaite. »
Pour parfaire le tableau, les entrées de nouveaux résidents sont interdites depuis le début du confinement. Même chose pour les visites, sauf cas exceptionnels (lire encadré en fin d’article), jusqu’à ce que le gouvernement les autorise le 20 avril dernier. L’établissement a donc mis en place les règles suivantes : « Les visiteurs prennent rendez-vous et sont pris en charge par une aide-soignante ou une infirmière à l’entrée de l’Ephad, précise le Dr Hostein. Puis, ils sont habillés avec le matériel de protection et rentrent immédiatement dans une salle. La visite ne dure pas plus d’une demi-heure. Ça fait un peu prison, mais on ne prend pas de risques. » Enfin, la direction de l’hôpital de l'île d'Oléron a mis en place un protocole de sécurité spécifique pour le dépôt des objets à destination les résidents : obligation de prendre rendez-vous, puis dépôt des objets à l’entrée principale, avant leur désinfection.
Mais pas assez de tests pour tout le monde
Seule véritable ombre au tableau pour l’hôpital de l'île d'Oléron: les deux soignants potentiellement contaminés. « Ils étaient négatifs au test PCR, mais la clinique était « évocatrice », résume le médecin. On aimerait donc faire rapidement des tests sérologiques pour ces deux personnes, mais aussi à grande échelle. » Alerté par ces deux cas suspects, l’établissement a contacté l’ARS qui lui a répondu, selon Arnaud Le Bihan : « Cela va être compliqué parce que l’on n’a pas assez de tests pour tout le monde. Nous avons déjà effectué d’autres dépistages dans d’autres Ehpad qui étaient touchés, donc on n’a plus de tests. Pour vous, cela ne sera pas pour tout de suite… » »
Malgré les suspicions de COVID-19, malgré l’annonce d’une opération de dépistage massif du COVID-19 dans les Ehpad, les tests ne sont donc toujours pas à l’ordre du jour dans l’établissement. Une situation mal vécue par le Dr Hostein : « On nous dit d’aller à la guerre. Je veux bien y aller, mais j’aimerais bien avoir un fusil et un casque ! » Soit « des tests sérologiques pour savoir un peu où on va. Cela permettrait de voir, en cas de tests positifs, si on est passés à côté de signes cliniques. Et, s’il s’agit de contaminations récentes, de savoir s’ils sont désormais immunisés… Nous avons besoin de pratiquer des tests sanguins sur tout le monde : les résidents, les soignants et le reste du personnel pour savoir ce qu’il en est. » Et, de préférence, en utilisant « des tests homologués et fiables à 100%. Reste à savoir lesquels on va recevoir. »
Et aussi quand ils les recevront…
Pas de visites mais des exceptions…sur des critères d’humanité
Les visites étaient interdites jusqu’au 21 avril dernier, sauf « pour les gens en fin de vie ou qui avaient une détresse psychologique importante, précise le Dr Hostein. Par exemple, « quand un grand-père pleurait sans arrêt parce qu’il voulait voir sa fille, on faisait une exception, mais avec des barrières très strictes. » Autre exemple : « Une vieille dame de 90 ans, qui n’avait pas le COVID-19, avait des problèmes cardiaques et souffrait d’insuffisance rénale. J’ai estimé que sa fin de vie était très proche. J’ai donc autorisé exceptionnellement sa fille à faire une visite. On l’a accueillie au seuil de l’Ehpad, on lui a fait se laver les mains, mis un masque, une sur-blouse, une charlotte…. Puis on l’a accompagnée dans la chambre de sa maman où elle est restée 30 minutes. Elle est arrivée à 10h et la maman est morte à 11h. C’est un cas où j’ai pris la responsabilité et la décision de faire une exception », conclut le médecin.
Cet article a été initialement publié sur Medscape édition française
Malheureusement, l’accès à l’intégralité de cet article est reservé uniquement aux professionnels de santé disposant d’un compte.
Vous avez atteint la limite d'articles par visiteur
Inscription gratuite Disponible uniquement pour les professionnels de santé