Echec du vaccin contre le VIH : les chercheurs expriment leurs « frustrations » ...
- Dawn O'Shea
- Actualités Médicales
L’échec de la phase III de l’essai MOSAICO (HVTN 706/HPX3002) a conduit à un déferlement de « déception », de « frustration », de « tristesse » et de « douleur » chez les chercheurs et les participants impliqués. L’essai évaluait l’efficacité et la sécurité d’emploi d’un schéma préventif composé de 2 vaccins contre le VIH dans plus de 50 centres répartis dans 8 pays, dont l’Argentine, le Brésil, l’Espagne, le Mexique et le Pérou. Malgré l’échec de l’essai, les personnes impliquées dans l’étude ont exprimé leur fierté d’avoir été parties prenantes de l’effort, soulignant que les recherches doivent continuer pour identifier un schéma qui fonctionne et qui complète les stratégies de prévention existantes.
Le 18 janvier, le Réseau d’essais de vaccins contre le VIH (HIV Vaccine Trials Network, HVTN), l’organisation à l’origine de la recherche clinique menée au Centre de lutte contre le cancer Fred Hutchinson (Fred Hutchinson Cancer Center) de Seattle, a annoncé dans une déclaration que l’essai avait été interrompu à la suite des résultats décevants d’analyses intermédiaires planifiées par le comité indépendant de surveillance des données et de la sécurité d’emploi de l’étude. Bien que le vaccin expérimental ait été « globalement sûr et bien toléré », le comité a estimé que le schéma n’était pas significativement efficace pour prévenir les infections, par rapport au placebo. Janssen Pharmaceutical, la filiale de Johnson & Johnson qui a développé le vaccin, a publié une déclaration similaire au même moment. Le langage utilisé dans les deux déclarations, y compris les termes comme « déception », était similaire.
Le Dr Pedro Cahn, directeur scientifique de la Fondation Huésped à Buenos Aires, qui a recruté environ 120 participants pour l’essai MOSAICO, a déclaré : « Nous sommes bien sûr extrêmement frustrés. Nous aurions aimé réussir à créer un vaccin contre le VIH. Mais cela démontre la difficulté de développer un vaccin et renforce le fait que nous devons continuer à faire tout ce que nous savons déjà efficace : éducation sexuelle complète, dépistage, prophylaxie pré-exposition [PrEP] et instauration immédiate d’un traitement dans l’idée que le VIH, lorsqu’il n’est pas détectable, n’est pas transmissible.
« Nous devons poursuivre nos efforts pour mettre au point un vaccin, mais nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre un vaccin sans utiliser les autres stratégies dont nous disposons aujourd’hui », a-t-il ajouté.
« Nous restons extrêmement déçus. Cela prouve que le VIH est [un] [virus] sournois. Des investissements colossaux ont été consacrés au VIH et pourtant, 40 ans plus tard, [seuls] 8 essais cliniques sur des vaccins ont réussi à atteindre la phase III, et tous ont donné des résultats maigres et décourageants », a déclaré la Dre Brenda Crabtree Ramírez, spécialiste des maladies infectieuses à l’Institut national des sciences médicales et de la nutrition Salvador Zubirán de Mexico, au Mexique, qui a recruté environ 150 participants pour l’essai.
« Il faut mettre au point un vaccin : nous devons chercher encore et encore. Même si nous avons des stratégies de prévention et de traitement [du VIH] excellentes et efficaces, la recherche d’un vaccin doit rester une priorité absolue », a ajouté B. Crabtree Ramírez. Elle a ensuite souligné les aspects positifs de l’essai, tels que le meilleur accès des volontaires aux informations sur la santé sexuelle, le déploiement des programmes de PrEP et la participation transparente et rigoureuse des centres de recherche dans toute la région d’étude.
D’autres chercheurs et membres de la communauté universitaire ont également partagé leur déception sur les réseaux sociaux. La nouvelle « est extrêmement décevante », a tweeté le Dr Carlos del Rio, professeur émérite de médecine au service des Maladies infectieuses de la Faculté de médecine de l’Université Emory (Emory University School of Medicine) et codirecteur du Centre Emory pour la recherche sur le SIDA (Emory Center for AIDS Research) à Atlanta.
« C’est un résultat très douloureux au regard de tous les efforts qui ont été déployés pour que cet essai soit une réussite. Le VIH est certainement le virus le plus difficile à vaincre », a déclaré Alfredo G. Torres, titulaire d’un doctorat, professeur émérite en microbiologie et immunologie au sein de la branche médicale de l’Université du Texas (University of Texas Medical Branch) à Galveston.
En 2021, l’étude HVTN 705 a été interrompue pour la même raison. Cet essai réservé aux femmes, mené dans 5 pays d’Afrique subsaharienne est connu sous le nom d’étude Imbokodo (imbokodo est un mot zoulou utilisé dans une expression qui fait référence à la force que possèdent les femmes). L’efficacité du vaccin dans cet essai a été estimée à 25%.
Une recherche extrêmement complexe
Dans l’essai MOSAICO, les tests de la stratégie de vaccination ont commencé en novembre 2019, avec 3.800 volontaires sains âgés de 18 à 60 ans. Ils ont été sélectionnés car, en raison de leurs pratiques sexuelles et de leurs antécédents médicaux, ils présentaient un risque élevé de contracter l’infection, outre le fait qu’ils ne prenaient plus de PrEP. Il s’agissait principalement d’hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, âgés en moyenne de 28 ans.
Selon les données présentées le 25 janvier lors d’un webinaire, près de 90 % des volontaires étaient d’origine ibéro-américaine : Pérou (1.615), Brésil (952), Argentine (402), Mexique (3.479) et Espagne (262). Les autres ont été recrutés en Italie, en Pologne et aux États-Unis (dont 10 à Porto Rico). Le dernier volontaire a terminé le dernier schéma en octobre dernier.
La formule expérimentale était basée sur des immunogènes « mosaïques » (c’est-à-dire, des immunogènes qui présentaient des éléments de multiples sous-types du VIH) dans le but d’induire une réponse immunitaire protectrice contre l’infection à un niveau mondial. Elle combinait un vaccin à vecteur adénovirus (Ad26.Mos4.HIV) et deux vaccins à protéine bivalente (Clade C gp140 et Mosaic gp140). Le projet était en développement depuis près de deux décennies et a été étayé par des résultats encourageants provenant d’études précliniques sur des primates non humains, ainsi que d’études cliniques.
La moitié des participants ont été affectés de manière aléatoire pour recevoir le vaccin et l’autre moitié pour recevoir le placebo. Comme prévu par Stephaun E. Wallace, titulaire d’un doctorat, directeur des relations externes pour le Réseau de prévention du COVID-19 (COVID-19 Prevention Network) basé au Fred Hutchinson et l’HVTN, et scientifique au sein du service des vaccins et des maladies infectieuses au Fred Hutchinson, aucune différence n’a été observée concernant le taux d’infection entre les 2 groupes : 4,1/100 personnes-années à 23,7 mois de suivi.
Pourquoi un tel échec ? Les raisons ne sont pas encore claires pour les chercheurs, mais ils sont convaincus qu’elles sont davantage liées aux problèmes associés à la biologie du VIH ou à des déficiences inhérentes au vaccin qu’à un problème de méthodologie de l’étude ou qu’aux effets imprévus de la pandémie de COVID-19, qui dans de nombreux cas ont retardé ou limité le recrutement des participants et peut avoir temporairement modifié les habitudes sexuelles des uns et des autres.
« Le VIH se caractérise par sa capacité à éviter la réponse immunitaire en se camouflant de manière très efficace pour échapper au système immunitaire. En ce sens, la recherche d’un vaccin est extrêmement complexe en comparaison avec d’autres virus, tels que le SARS-CoV-2 », a déclaré le Dr Marcelo Losso, chef du service des patients immunodéprimés à la Clinique de santé sexuelle de l’Hôpital Ramos Mejía de Buenos Aires, qui a recruté 127 participants pour l’essai.
« De nombreuses personnes se demandent comment tant de vaccins ont pu être développés pour le COVID-19 en si peu de temps, alors que nous n’avons pas été capables d’en créer un seul contre le VIH en 40 ans [d’essais]. Cela est dû au fait que ces virus se comportent différemment. [Avec le SARS-CoV-2], c’est le système respiratoire qui est attaqué et le système immunitaire qui répond. Dans le cas du VIH, c’est le système immunitaire lui-même qui est attaqué. C’est la différence entre un voleur qui braque une banque et qui se retrouve face à face avec les policiers et un voleur qui désactive le réseau de communication de la police avant de passer à l’acte », a expliqué le Dr Cahn.
Pour la Dre Susan Buchbinder, professeure clinique de médecine, épidémiologie et biostatistique à l’Université de Californie (University of California) à San Francisco, et codirectrice de l’HVTN pour l’essai MOSAICO, le VIH « continue de soulever des difficultés uniques pour développer un vaccin ». Cependant, elle soutient que la communauté scientifique reste pleinement engagée pour parvenir à mettre au point ce vaccin, soulignant que chaque étude nous permet de faire un pas de plus vers la réussite.
La Dre Michelle Trespach, vice-présidente des affaires médicales pour l’Amérique latine chez Janssen, a affirmé sa déception face aux résultats et a souligné que de multiples défis restent à affronter avant de parvenir à mettre au point un vaccin contre le VIH, notamment le fait que les personnes ne produisent pas de réponse immunitaire ou de défense immunitaire suffisamment forte pour arrêter ou contenir le virus sans médicaments ou traitement. Il n’y a pas suffisamment de personnes guéries naturellement pour identifier un mécanisme d’action clair que l’on pourrait imiter avec un vaccin. Dès lors qu’il pénètre le corps d’une personne, le virus se « dissimule » immédiatement dans le matériel génétique et devient invisible pour le système immunitaire. Il est alors libre de muter sans fin, ce qui donne naissance à plusieurs variants.
« Nous n’avons actuellement aucune hypothèse [viable] quant à la raison pour laquelle le schéma vaccinal expérimental contre le VIH ne protège pas contre l’infection à VIH-1. Les investigateurs de l’étude s’efforcent de comprendre les facteurs qui sous-tendent le résultat et œuvrent pour fournir des mises à jour transparentes. Une analyse finale de l’étude sera réalisée et servira de base au rapport d’étude clinique », a-t-elle déclaré.
Pour le moment, Stephaun E. Wallace a écarté la possibilité que l’accès à la PrEP ait pu affecter les résultats de l’essai. À 24 mois, seuls 10% des participants ont déclaré avoir eu recours à la PrEP.
Des données plus complètes sur l’essai seront présentées du 19 au 23 février lors de l’édition 2023 de la Conférence sur les rétrovirus et les infections opportunistes (Conference on Retroviruses and Opportunistic Infections, CROI), à Seattle.
Pas de regrets
Les investigateurs ont également salué l’altruisme et l’enthousiasme des volontaires de l’étude, qui ont décidé de participer à l’essai en sachant qu’il était possible qu’ils reçoivent le placebo, ou que le vaccin expérimental ne fonctionne pas. « Toutes ces personnes ont tout mon respect et ma reconnaissance, car elles nous donnent leur temps par amour de la science. Et bien que nous n’ayons pas obtenu un résultat positif, elles gardent l’impression d’avoir participé à quelque chose d’important », a déclaré B. Crabtree Ramírez, spécialiste des maladies infectieuses à Mexico.
« Nous admirons la force dont elles font preuve face à des résultats négatifs comme celui-ci, ainsi que leur volonté de continuer à aider à trouver de nouvelles réponses aux grandes questions de santé publique », a déclaré le Dr Losso.
Certains des volontaires ont exprimé cette détermination, cette tristesse et cette fierté sur les réseaux sociaux. « Je n’ai aucun regret [concernant ma participation à l’essai]. Je recommencerais autant de fois que nécessaire pour aider à trouver plus de moyens de prévenir et d’éradiquer [le VIH] », a tweeté Hu Von Berry, artiste et photographe de Buenos Aires.
Pendant ce temps, d’autres schémas de vaccination prometteurs se profilent à l’horizon, bien qu’aucune étude d’efficacité clinique ne soit prévue avant plusieurs années. La Dre Buchbinder a évoqué deux nouveaux schémas au cours du webinaire. L’un consiste en une perfusion directe d’anticorps neutralisants à large spectre et à action prolongée, qui pourrait offrir une protection à plus long terme que les schémas de PrEP actuels et qui a déjà montré des résultats positifs dans des études précoces, bien que « nous devions peut-être recourir à plusieurs anticorps neutralisants ».
L’autre approche implique le recours aux vaccins à acide ribonucléique messager (ARNm), qui incitent l’organisme à produire ses propres anticorps neutralisants à large spectre. « Il y a une vingtaine d’études en cours sur ces deux approches, mais nous en sommes encore aux balbutiements du développement », a déclaré la Dre Buchbinder de l’UCSF.
Lorsqu’on lui a demandé si Janssen abandonnait le projet de vaccin contre le VIH ou si le schéma, les formules ou la méthodologie de l’étude pouvaient être modifiés, la Dre Buchbinder a répondu : « Notre engagement contre le VIH est plus fort que jamais. Nous restons déterminés à soutenir les avancées en matière de prévention et de traitement du VIH, et nous nous tenons aux côtés des personnes vivant avec cette maladie, des personnes vulnérables face au virus, ainsi que des défenseurs des patients et des chercheurs. »
Les Drs Cahn, Crabtree et Losso font partie des investigateurs de l’étude MOSAICO, financée par Janssen Vaccines & Prevention et l’Institut national américain des allergies et des maladies infectieuses (National Institute of Allergy and Infectious Diseases). La Dre Trespach est employée par Janssen.
Cet article a initialement été publié sur Medscape.com.
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