Douleurs neuropathiques : une nouvelle piste pour soulager les patients
- Anne-Gaëlle Moulun
- Nathalie Barrès
- Actualités Médicales par Medscape
Une étude française révèle un mécanisme expliquant l’efficacité limitée des antidépresseurs dans le traitement des douleurs chroniques neuropathiques. Elle montre également que l’association d’un antidépresseur avec un amplificateur des transporteurs du chlore permet de réduire la douleur, sur un modèle animal. Les explications du Pr Pascal Fossat, professeur à l’université de Bordeaux et chercheur à l’Institut des maladies neurodégénératives (IMN).
Les douleurs chroniques neuropathiques sont liées à des lésions du système nerveux central ou périphérique et touchent autour de 8% de la population adulte en France. « Ce qui est très difficile avec ces douleurs, c’est qu’elles sont résistantes aux traitements à base d’opioïdes », explique le Pr Fossat.
En première ligne de traitement, ce sont essentiellement des antiépileptiques et des antidépresseurs dits tricycliques (TCA) ou des inhibiteurs de recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSN) qui sont utilisés, mais ils ont une efficacité très partielle : « Avec ces traitements, on améliore de 50% le niveau de douleur chez environ un patient sur trois. Malheureusement, nous avons beaucoup de patients en errance thérapeutique », pointe le Pr Fossat.
Techniques d’optogénétique
Dans ses recherches, il s’intéresse aux monoamines, en particulier à la sérotonine, connue depuis longtemps pour son rôle dans la douleur.
« Notre équipe a utilisé des techniques d’optogénétique pour stimuler des populations de neurones dans le tronc cérébral », indique-t-il. L’optogénétique est une technique qui date de 2005 et qui consiste à introduire dans une cellule un gène qui code pour une protéine photosensible, l’opsine, qui va s’activer lorsqu’on l’éclaire avec une lumière spécifique. « Nous avons fait exprimer l’opsine dans les neurones à sérotonine uniquement, ce qui nous permet de les activer à façon à une certaine longueur d’onde, grâce à une fibre optique », décrit le chercheur. En stimulant spécifiquement les neurones à sérotonine du tronc cérébral sur un modèle animal, les chercheurs ont observé que la sérotonine était capable de moduler l’information nociceptive. « Le seuil de stimulation pour lequel les animaux généraient une réponse douloureuse augmentait. Ils avaient en quelque sorte moins mal », résume le Pr Fossat.
Mais lorsque l’équipe réalise cette même stimulation sur des modèles animaux atteints de neuropathie périphérique, stupeur : « la stimulation avait un effet opposé. Au lieu d’avoir moins mal, les animaux avaient encore plus mal ! Nous étions un peu perplexes, car nous ne parvenions pas trop à expliquer pourquoi », raconte le scientifique.
Altérations du transport du chlore
Grâce à une collaboration avec l’université Laval à Québec, une hypothèse met les chercheurs sur la piste. « Les chercheurs québécois avaient mis en évidence des altérations du transport du chlore dans la moelle épinière, en lien avec les douleurs neuropathiques. Nous avons nous-même mis en évidence des intermédiaires, activés par la sérotonine, appelés interneurones inhibiteurs. Or, ils ne pouvaient agir comme inhibiteurs que s’il y avait un bon équilibre du chlore. Nous avons donc fait l’hypothèse que l’hyperalgésie chez les souris neuropathiques était due à un déséquilibre du chlore », développe-t-il.
Pour vérifier leur hypothèse, les chercheurs ont joué sur la modulation des transporteurs de type KCC2 contrôlant l’homéostasie du chlore. « Dans notre modèle animal neuropathique, leur expression était diminuée. Nous avons utilisé des molécules pour les réexprimer. Et lorsque nous avons fait cela, la sérotonine redevenait antalgique ! », souligne-t-il. Ces résultats permettent d’expliquer pourquoi les inhibiteurs spécifiques de la recapture de la sérotonine (dits IRSS) comme le Prozac sont inefficaces chez les patients souffrant de douleurs chroniques neuropathiques, mais également la faible efficacité des autres familles d’antidépresseurs.
En se basant sur ces découvertes, l’équipe s’est ensuite penchée sur une possibilité de traitement thérapeutique. « Nous nous sommes dit que si notre mécanisme était vrai, peut-être qu’en utilisant un booster du chlore on rendrait ces molécules efficaces ».
Booster les transporteurs du chlore
C’est donc ce que les chercheurs ont effectué et ce qu’ils montrent dans l’étude : « En boostant les transporteurs au chlore, on rétablit l’effet analgésique de la sérotonine chez des souris neuropathiques. Et en associant cela à des IRSS, on obtient un effet d’au moins 24 heures, voire 48 heures ». Cette découverte a fait l’objet d’un dépôt de brevet et ouvre des perspectives pour les patients atteints de douleurs chroniques neuropathiques. « L’association entre un antidépresseur et un amplificateur du chlore pourrait permettre de traiter ces douleurs », conclut le Pr Fossat.
Cet article a été écrit par Anne-Gaëlle Moulun et initialement publié sur Medscape.
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