Des liens très étroits entre COVID-19 et AVC


  • Agnès Lara
  • Actualités Médicales
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Invité lors du webinaire du 12 mai par la Société Française de Neurologie (SFN), le Collège des Enseignants de Neurologie (CEN) et l’Association Nationale des Assistants et Internes de Neurologie de France (ANAINF), le Dr Bertrand Lapergue, chef de service de Neurologie de l’hôpital Foch à Suresnes, a fait le point sur les liens qui existent entre infection COVID-19 et AVC. L’infection augmente-t-elle le risque d’AVC ? Et inversement, le fait d’avoir déjà souffert d’un AVC augmente-il la gravité de l’infection COVID-19 ? Quelques réponses apparaissent à partir des cas observés en France durant l’épidémie et d’autres publiés dans la littérature.

À voir aussi sur Univadis et issus de ce même webinaire : 

- Manifestations neurologiques associées au COVID-19 : où en est-on ? 

- Premier registre français des manifestations neurologiques associées au COVID-19

 

Une forme particulière d’AVC sévère sur fond de COVID-19 chez des patients jeunes

Parmi les AVC survenus dans le cadre d’une infection COVID-19, Bertrand Lapergue a relevé plusieurs cas d’AVC graves survenus en France ayant particulièrement retenu son attention du fait de leur caractère inhabituel. Il s’agissait de patients assez jeunes (42 à 66 ans), mais ayant des facteurs de risque cardiovasculaires comme un surpoids, une hypertension ou un diabète, ce qui incite à la prudence en cette période de déconfinement. Ces AVC étaient associés à l’atteinte des gros vaisseaux et se manifestaient le plus souvent par une aphasie et une hémiplégie droite survenant entre 7 et 12 jours après l’apparition du tableau classique de COVID-19. Deux caractéristiques ont en particulier surpris le neurologue : d’une part, les patients étaient très inflammatoires sur le plan de la biologie, ce qui est très inhabituel en cas d’AVC, et d’autre part, ils avaient fréquemment à l’imagerie une occlusion en tandem, c’est-à-dire à la fois intracrânienne et de la carotide, ou de gros caillots dans les artères à destinée cérébrale, « Une charge thrombotique tout à fait exceptionnelle en dehors des cas d’infection sévère ! » s’est exclamé le neurologue. Certains patients reformaient même un thrombus après thrombectomie. Dans certains cas, une plaque d’athérome sous-jacente a pu être observée à l’imagerie, ce qui soulève la possibilité d’une décompensation au cours de l’infection par le SARS-Cov-2.

Des cas d’AVC extrêmement sévères au plan clinique ont également ont été rapportés dans la littérature, comme ceux décrits à New York et publiés dans le New England Journal of Medicine (1). Là aussi, ces patients étaient jeunes (33 à 49 ans) mais dyslipidémiques, hypertendus et avaient de grosses charges thrombotiques. La présence d’un athérome sous-jacent semblait être un trait assez constant de ces AVC sévères associés au COVID-19. 

Tout récemment, le préprint d’une étude observationnelle chinoise monocentrique a rapporté les données de 221 patients consécutifs hospitalisés à l’hôpital Union de Wuhan pour un COVID-19. Sur cette série, 5% d’infarctus cérébraux ont été enregistrés, mais peu d’hémorragies, ce qui correspond à ce qui est observé en France. Les patients concernés avaient des facteurs de risque vasculaire et les plus âgés avaient un COVID-19 plus sévère et un état inflammatoire plus marqué (CRP, D-Dim).

 

L’infection COVID-19 augmente-t-elle le risque ou la gravité de l’AVC ?

« Oui clairement », a affirmé le neurologue. En Île-de-France, les cas d’AVC les plus sévères survenus chez les patients COVID-19 étaient souvent associés à un terrain athéromateux. Les cas chez les sujets jeunes restent rares en dehors de ceux précédemment décrits avec un syndrome inflammatoire important. De façon générale, le COVID-19 augmente le risque d’AVC parce que les patients semblent avoir un état d’hypercoagulabilité avec en conséquence une tendance à faire des caillots. Surtout, l’infection augmente la gravité des AVC « parce qu’ils arrivent avec retard à l’hôpital par peur d’y venir en cette période d’épidémie, et aussi parce que le pronostic est nécessairement plus sombre lorsque l’AVC survient chez des patients en réanimation dans un contexte d’insuffisance respiratoire ou de défaillance multivicérale, » a-t-il expliqué.

Ces observations indiquant que les patients COVID-19 sont plus à risque d’AVC ont été retrouvées dans la littérature. Sur une cohorte de 184 patients en unité de soins intensifs avec un COVID-19 confirmé et enrôlés au sein de 3 hôpitaux hollandais, les affections thrombotiques (en particulier les embolies pulmonaires, représentant plus de 80% de ces événements) étaient présentes dans près d’un tiers des cas (31%) et ont largement impacté le pronostic des patients COVID-19 en réanimation. Les traitements anticoagulants ont même dû être renforcés pour prévenir ce type de complication. L’âge et la présence d’une CIVD (coagulopathie intravasculaire disséminée) avaient un poids pronostique très important (2). L’étude de 13 cas français montre aussi que la gravité des AVC est augmentée par l’infection : les patients ont tendance à reformer un caillot après thrombectomie (38% des cas), ce qui assombrit nécessairement le pronostic.

 

Inversement, l’AVC est-il associé à un risque plus élevé de forme grave de COVID-19 ?

« Oui également, » a confirmé Bertrand Lapergue : le fait d’avoir déjà fait un AVC est associé à des infections beaucoup plus graves. Ainsi, selon une méta-analyse américaine portant sur plus de 1.800 patients COVID-19 confirmés, le fait d’avoir souffert d’un AVC augmente de 2,5 fois le risque de faire une infection COVID_19 sévère (3). Celui-ci semble lié à des facteurs de risque cardiovasculaires partagés puisqu’en cas de surpoids, d’âge plus avancé, de terrain vasculaire (diabète, hypertension), le risque de développer une forme grave est très augmenté. Ainsi, sur une cohorte américaine de près de 6.000 patients hospitalisés dans 12 hôpitaux de la région de New York, pas très âgés (63 ans d’âge médian), mais ayant des facteurs de risque vasculaires (HTA 56,6%, obésité 41,7%, diabète 33,8%), l’âge est apparu comme ayant un poids pronostique très important sur la gravité de l’infection, avec une nette augmentation de la proportion de décès pour les tranches d’âge les plus élevées (60,6% pour la tranche des 80-89 ans contre 12,2% pour la tranche des 50-59 ans) (4).

 

L’âge comme facteur pronostique prépondérant

Dans différentes études, l’âge est apparu comme un facteur pronostique essentiel. Une observation confirmée par une analyse exploratoire de cas de COVID-19 diagnostiqués en Chine portant sur plus de 70.000 sujets. Les plus de 80 ans y présentaient le taux de mortalité le plus élevé (14,8%) contre 1,3% dans la tranche des 50-59 ans (5). Une étude anglaise non encore publiée et portant sur 17 millions d’adultes dont 5.683 patients décédés du COVID-19, a analysé les facteurs associés à la gravité du COVID-19 et, là encore, l’âge est apparu de loin comme le facteur pronostic le plus important, avec un Hazard ratio de 2,09 pour les 60-70 ans par rapport à la population générale et de 12,64 pour les plus de 80 ans. D’autres facteurs semblent intervenir également de façon significative comme le sexe masculin, la pauvreté et la présence de comorbidités (asthme sévère, diabète mal équilibré, obésité, insuffisance cardiaque, cancer) et notamment les pathologies neurologiques dont les AVC (6). 

 

Quels sont les mécanismes sous-jacents ?

Plusieurs hypothèses physiopathologiques ont été émises. Tout d’abord une infection directe des cellules endothéliales par le SARS-Cov-2 qui pourrait conduire à une inflammation vasculaire. Une hypothèse soutenue par l’observation post-mortem d’inclusions virales dans les cellules endothéliales de tissus rénaux (7). L’inflammation systémique associée au COVID-19 et le « déluge » cytokinique qui l’accompagne pourraient favoriser la rupture de plaques d’athérome et la formation de caillots. Enfin, une hypercoagulabilité a été décrite chez les patients COVID-19 (8,9). Elle pourrait être liée au syndrome des anticorps antiphospholipides, une maladie immunitaire qui a été associée au COVID-19, mais rien n’a encore pu être clairement établi en ce sens pour le moment (10).