De la tétraplégie à la marche : première mondiale francosuisse
- Caroline Guignot
- Résumé d’article
Grâce à des technologies mises au point en partenariat avec le CEA de Grenoble, une équipe hospitalo-universitaire de Lausanne (Suisse) a développé et implanté une interface cerveau-rachis chez un homme de 40 ans tétraplégique, Gert-Jan Oskam, et lui a permis de marcher à nouveau [1].
Cette première mondiale, qui a fait grand bruit à juste titre, fait suite à l’évolution d’un premier neurostimulateur suisse qui, en 2018, avait permis à plusieurs patients ayant une lésion de la moelle épinière de marcher, dont ce même sujet [2] : cet implant rachidien permettait d’administrer une stimulation électrique épidurale ciblant les différentes zones d'entrée de la racine dorsale au niveau lombosacré. Mais les séquences de stimulation étaient préprogrammées : si elles permettaient de rétablir la station debout et le mouvement de marche, elles n’étaient pas adaptées à l’intentionnalité du sujet ou au terrain de marche.
C’est ici qu’interviennent les équipes grenobloises (centre de recherche biomédicale Clinatec/ CEA) qui développent depuis une dizaine d’années le dispositif WIMAGINE® : ce dispositif médical constitué de 64 électrodes permet de mesurer et de transmettre en temps réel les électrocorticogrammes (EcoG) d’un patient et de les transférer à un algorithme d’intelligence artificielle (machine learning) pour les traduire en mouvement via l’utilisation d’un exosquelette. Les données EcoG sont transférées à un ordinateur placé dans un sac à dos. En 2017, ce dispositif avait été implanté au niveau de la boîte crânienne d’un sujet tétraplégique de 27 ans, en regard des zones sensorimotrices supérieures [3]. Celui-ci, à force d’entraînement dans le pilotage d’environnements virtuels, a pu contrôler progressivement l’exosquelette pour enchaîner quelques pas et contrôler ses membres supérieurs.
La marche naturelle rétablie
C’est donc la réunion de ces deux technologies qui a fait la une des journaux la semaine dernière : en combinant les deux approches, ce « pont digital » a permis de transférer l’information recueillie au niveau cortical au dispositif de neurostimulation rachidien et de restaurer ainsi la communication entre le cerveau et la région de la moelle épinière commandant le mouvement des jambes. Cette interface combine le système d'enregistrement des signaux corticaux et la modulation analogique de la stimulation électrique épidurale ciblant les régions de la moelle épinière impliquées dans la production de la marche
Cette réussite médicale a fait l’objet d’une publication dans le journal Nature [1] qui rapporte : « dès la première séance après l'intervention neurochirurgicale, l'algorithme a calibré l’interface pour permettre au participant de contrôler la flexion relative des hanches gauche et droite d'un avatar projeté sur un écran.” Ils ont ensuite appliqué ce décodage à la stimulation de la moelle épinière. “En position allongée, le participant a pu, en moins de deux minutes, contrôler l'activité des muscles de la hanche pour générer un couple avec une précision de 97% ». Une fois élargi aux articulations de la hanche, du genou et de la cheville, « le participant est parvenu à contrôler progressivement le mouvement de chaque articulation bilatérale avec une précision de 74 ± 7%, alors que le niveau de hasard était limité à 14% » avec une faible latence (1,1 seconde). La combinaison des deux approches permet au patient de décider l’initiation, le maintien ou l’arrêt de la marche. Elle remédie également à sa capacité d’adapter son pas au terrain. À noter que l’un des implants a dû être retiré en raison d'une infection sous-cutanée à Staphylococcus aureus. Il a été remplacé après traitement et guérison du patient.
Comme le rapporte la revue Nature [4], ce travail montre que « même s'il s'agit d'une lésion chronique à long terme, la guérison peut encore avoir lieu». Dans Le Monde [5], Grégoire Courtine confie qu’« avec le programme précédent, nous avions déjà constaté qu’une grande majorité des patients récupéraient des fonctions neurologiques perdues après leur accident, mais cette interface semble encore augmenter la récupération neurologique. Cela suggère une repousse et une réorganisation des fibres nerveuses impliquées dans la marche, mais aussi une forme de collaboration entre le pont numérique et le pont nerveux naturel. » L'équipe suisse va maintenant initier de nouvelles études pour élargir cette preuve de concept à une plus large cohorte, et recrute actuellement trois personnes pour évaluer si un dispositif similaire peut restaurer les mouvements du bras. De leur côté, l’équipe grenobloise travaille à une transition vers une puce électronique, version miniaturisée de l’ordinateur portable. D’autres applications, comme le contrôle de la vessie ou de l'intestin, pourraient aussi être visées par ce type de dispositif.
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