Crédibilité de l’expertise scientifique : l’exemple de l’Anses

  • Serge Cannasse
  • Actualités Médicales
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Le rapport sur la « crédibilité de l’expertise scientifique »1 publié par l’Anses (Agence de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) ne fait pas l’objet d’une publicité active de la part de l’agence. Sans un article du Monde2 le signalant, il passerait facilement inaperçu, d’autant qu’il n’est pas simple à trouver sur son site internet. Est-ce parce qu’il est dérangeant, comme le suggère cet article ? À sa lecture, ça n’est pourtant pas l’impression qui en ressort, même s’il n’hésite pas à pointer les insuffisances et difficultés rencontrées par l’agence dans l’exercice de ses missions. En revanche, sa lecture est austère …

Rédigé par un groupe de travail mandaté par le Conseil scientifique de l’agence, lui-même composé d’une majorité de personnalités indépendantes, il fait état des « tensions » auxquelles est confrontée l’expertise scientifique. Elles ont été identifiées après l’étude de trois cas emblématiques des polémiques sur les avis de l’Anses (glyphosate, SDHI – inhibiteurs de la succinate déshydrogénase, néonicotinoïdes), « parmi les centaines d’avis » que celle-ci a rendu, une analyse de la littérature et une trentaine d’auditions, dont de journalistes pas toujours tendres avec l’agence.

Ces tensions sont au nombre de trois.

  • La conciliation entre la prise en compte des « connaissances scientifiques les plus avancées » et « une évaluation des risques transparente, robuste et reproductible » s’appuyant sur « des règles claires et partagées par l’ensemble des acteurs concernés ». L’écart entre ces deux exigences peut aboutir à un décalage entre connaissances scientifiques et résultats de l’expertise.
  • L’obligation de l’urgence à rendre certains avis et le temps nécessaire à une expertise de qualité, avec pour résultat une fragilité de l’avis rendu.
  • La tension entre la nécessité de séparer l’évaluation et la gestion des risques avec la prise en compte de la faisabilité des mesures de gestion dans l’avis rendu, tension particulièrement forte en situation d’incertitude ou de désaccord entre experts.

Le rapport adresse un satisfecit à l’agence sur les enjeux procéduraux (notamment dans le choix des experts sollicités) et sur ses rapports avec les organismes de recherche. Il ne nie pas les pressions politiques, médiatiques et économiques, mais pression ne veut pas dire soumission, même si des dérapages, voire des fautes, sont toujours possibles. Il souligne en particulier un « paradoxe : la confiance dans la science, mais la défiance dans le rôle des autorités publiques », et la difficulté de s’entendre sur la définition du principe de précaution

Il retient 4 thèses sur la crédibilité. Pour lui, elle est « une affaire de :

  • réduction du décalage entre connaissances scientifiques et expertise,
  • procédures,
  • réduction du décalage entre l’expertise et les attentes des audiences concernées
  • impact socio-économique de la mise en œuvre des mesures de gestion des risques. »

Il émet 4 types de recommandations.

  • Amélioration des procédures, notamment en favorisant la pluridisciplinarité, le renouvellement régulier des experts, la traçabilité des discussions, y compris pour les avis minoritaires, la clarification des liens d’intérêt, y compris dans les articles de la littérature consultés. Il s’agira d’informer les experts sur « les attentes des parties prenantes » et de réserver l’urgence « exclusivement à des expertises traitables en un court délai. »
  • Mieux éclairer la décision, notamment en validant la sélection de la littérature avec les collectifs d’experts et en facilitant l’accès des données contenus dans les dossiers réglementaires. Il peut en effet y avoir un écart entre une évaluation menée dans un cadre réglementaire et « les connaissances scientifiques produites hors du cadre des lignes directrices en vigueur. »
  • Poursuivre le renforcement des interactions entre l’agence et les parties prenantes.
  • Renforcer la séparation de l’évaluation et de la gestion des risques.

Au final, les détracteurs de l’agence trouveront matière à leur opinion dans ce rapport. Mais ses défenseurs aussi. C’est sans doute la marque d’un travail complet et honnête.