COVID-19 sévère : les médecins français n’ont pas attendu l’essai RECOVERY pour prescrire des corticoïdes
- Aude Lecrubier
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- Nathalie Barrès
- Actualités Médicales par Medscape
Reims,France-- La dexaméthasone, corticoïde couramment utilisé et peu onéreux, permettrait d’éviter un tiers des décès chez les patients Covid-19 hospitalisés ventilés, a indiqué l’Université d’Oxford (Royaume-Uni) le 16 juin dernier dans un communiqué de presse. Une annonce choc qui s’appuie sur les résultats non encore publiés de l’essai anglais RECOVERY (Randomised Evaluation of COVID-19 theRapY, voir encadré en fin de texte)[1].
Quel crédit faut-il apporter à cette annonce qui ne repose pas, à ce jour, sur une étude publiée et revue par un comité de relecture ? L’OMS, de son côté a tranché puisqu’elle a indiqué être en voie de modifier ses recommandations qui jusqu’ici déconseillaient l’utilisation des corticoïdes dans le Covid-19.
Reste que se pose une nouvelle fois la question de la transmission et de la qualité de l’information scientifique délivrée aux médias, aux soignants et au grand-public au cours de la crise du Covid-19.
Est-il éthique de communiquer des résultats non publiés ? Est-il éthique de ne pas communiquer des résultats positifs, mêmes préliminaires, alors que des patients décèdent du Covid-19 tous les jours ? Y a-t-il à ce jour d’autres études en faveur de l’utilisation des corticoïdes chez les patients atteints de Covid-19 sévère ? Quels sont les retours du terrain ?
Nous avons posé ces questions au Pr Firouzé Bani Sadr (unité des maladies infectieuses et tropicales, CHU de Reims) qui nous explique pourquoi, dès fin mars, son équipe a systématiquement inclus les corticoïdes dans le protocole de soins des patients Covid-19 hospitalisés avec des résultats qu’elle qualifiait dès le 6 avril de « spectaculaires » dans une vidéo postée sur YouTube.
Etes-vous surprise des résultats annoncés par l’Université d’Oxford ?
Pr Firouzé Bani Sadr :Pas du tout. Je n’ai aucun doute sur ces résultats. J’ai hâte qu’ils soient publiés. De notre côté, dès le 27 mars, nous avons inclus les corticoïdes dans notre protocole thérapeutique pour tous les patients se présentant avec une pneumopathie oxygéno-requérante, soit près de 90% des patients hospitalisés chez nous au cours de la phase épidémique.
Pourquoi avez-vous pris cette décision alors que l’OMS ne recommandait pas les corticoïdes dans le COVID-19 ?
Pr Bani Sadr : D’après la littérature, le pic de la présence du virus au niveau naso-pharyngé se situe pendant la première semaine avec une décroissance importante après J7 et les anticorps apparaissent le plus souvent dès J7 avec à J13-J14 la quasi-totalité des patients avaient des anticorps. Ce qui m’a frappé, c’est de voir, dans la littérature mais aussi dans le service, que les patients s’aggravaient au moment de la clairance virale et de la réponse immunitaire, alors qu’ils étaient en seconde semaine de la maladie. Aussi, en parallèle, nous avons constaté, comme d’autres, que chez nos patients les paramètres inflammatoires augmentaient quoi que l’on fasse. Une étude chinoise avait d’ailleurs montré que les patients décédés du Covid avaient de paramètres inflammatoires plus élevés que les autres. Il est donc apparu clairement que ce n’était pas tant le virus que l’inflammation qui posait problème, d’où l’idée des corticoïdes pour diminuer à la fois l’impact de l’orage cytokinique et également le risque d’évolution vers la fibrose pulmonaire.
Mais, j’avais en tête que l’OMS ne recommandait pas les corticoïdes. En tant qu’infectiologues, nous savons très bien que les corticoïdes sont associés au risque infectieux. Toutefois, je savais aussi qu’il y a des pathologies infectieuses pour lesquelles les corticoïdes ont montré un bénéfice comme la méningite tuberculeuse ou la pneumocystose sévère, par exemple. Pour cette dernière, chez les patients VIH, un essai randomisé a montré que les corticoïdes donnés pendant trois semaines associés au traitement standard diminuent le risque de décès de 50%.
Quand avez-vous franchi le pas ?
Le premier patient à qui je l’ai prescrit, le 24 mars, était un homme de 78 ans qui était suivi pour un cancer du côlon et qui avait été récusé par le service de réanimation. Le patient était à 15 litres d’oxygène et l’hypnovel et la morphine allaient être débutés à des fins sédatives. J’ai donc décidé de tenter les corticoïdes en dernier recours et il s’est amélioré et est sorti de l’hôpital. Dans la même semaine, j’ai alors évalué les corticoïdes chez deux autres patients d’une cinquantaine d’années dont l’état respiratoire s’aggravait, ce dans l’espoir de leur éviter la réanimation. Et ils ont répondu. Au vu de ces résultats et de la littérature sur la cinétique de la maladie, j’ai réuni mon équipe, une trentaine de médecins, et nous avons décidé d’incorporer les corticoïdes systématiquement dans nos protocoles à partir du 27 mars.
Au sein de l’équipe il y a eu naturellement, au début, un peu de scepticisme chez certains, mais comme nous étions dans une situation où un certain nombre de nos patients ne pouvaient pas être pris en charge en réanimation, en raison de leur âge et de leurs comorbidités, nous n’avions pas vraiment le choix et le bénéfice clinique des corticoïdes est très vite apparu évident à l’ensemble de l’équipe médicale.
En pratique quel est votre protocole ?
Initialement nous avons donné des corticoïdes à J7 chez les patients sévères oxygéno-dépendants qui avaient été récusés par la réanimation puis nous avons élargi la prescription aux patients oxygéno-dépendants pour éviter le passage en réanimation et enfin aux patients eupnéiques avec un syndrome inflammatoire en cours d’aggravation en prévention de la détresse respiratoire.
Avez-vous pensé à publier vos résultats ?
Depuis début mai, nous tentons de publier les résultats que nous avons obtenus à partir de notre cohorte de patients inclus entre fin mars et mi-avril. Mais, nous n’avons pas eu à ce jour une réponse positive. Il s’agit d’une étude observationnelle, non randomisée et les revues scientifiques considèrent que le niveau de preuve de ce type d’études est faible. Ce qui m’étonne toutefois, c’est que les études observationnelles qui ont concerné d’autres traitements beaucoup plus chers comme le tocilizumab, l’anakinra ou le remdesivir, ont pu être publiées dans des grandes revues, alors que par exemple celle sur le remdesivir ne montrait pas de bénéfice sur la mortalité. Je m’étonne parce que les corticoïdes sont des vieux médicaments, pas chers, à la disposition de la planète entière. Pourquoi n’ont-ils pas été évalués d’emblée alors qu’on était dans une situation pandémique ? Pourquoi si peu de publications acceptées ? Nous avons proposé un essai randomisé avec les corticoïdes dans la région Grand-Est qui n’a pas été accepté…
A votre sens, fallait-il à tout prix faire un essai randomisé ?
Beaucoup de mes collègues m’ont dit que c’était la seule façon de valider les résultats et de sauver des vies à moyen terme. Mais, de mon côté, j’étais très réservée sur un essai randomisé car quand on a vu des patients condamnés à mourir, vivants, c’est difficile éthiquement de faire un bras sans corticoïdes. Il y a aujourd’hui un dogme de l’essai randomisé. Or, ces essais sont lourds et longs à mettre en place ce qui n’est peut-être pas adapté dans une situation épidémique. Aussi, dans les essais, les patients sont sélectionnés. Or, dans notre service, la majorité de nos patients étaient âgés, avec des comorbidités. Ils n’auraient pas été inclus. Je pense qu’il faut aussi être à l’écoute du terrain.
Avez-vous pensé à communiquer vos résultats aux médias en dépit de l’absence de publication ?
Pensez-vous qu’il y ait eu une perte de chance pour les patients ?
Pas vraiment. Dès le 30 mars, nous avons communiqué notre expérience au niveau national. L’hôpital Bichat donnait aussi des corticoïdes mais chez certains patients déjà en réanimation avec un syndrome de détresse respiratoire aigu puis, rapidement de nombreux cliniciens se sont mis aux corticoïdes, avec des modalités de prescription propres à chaque centre. L’information a très vite circulé auprès des médecins et je ne pense pas qu’il y ait eu beaucoup de perte de chance pour les patients en France même si certains services de réanimation ont été très réticents au début à prescrire les corticoïdes. En revanche, au Royaume-Uni, les auteurs de RECOVERY disent clairement que s’ils avaient utilisé les corticoïdes dès le départ, ils auraient pu sauver 5.000 vies. En tout état de cause, nous sommes en train de colliger nos données françaises pour avoir des données plus importantes.
Que sait-on de la littérature internationale sur le bénéfice-risque des corticoïdes dans le COVID-19 ?
Les médecins chinois ont pratiquement tous utilisé des corticoïdes chez les patients Covid-19 les plus sévères car ce traitement est préconisé dans leurs recommandations nationales. Mais, en termes de publications, une seule étude de cohorte a publié leur intérêt et montré un bénéfice. Chez 84 patients hospitalisés en réanimation avec un syndrome de détresse respiratoire aigu qui avaient reçu des corticoïdes, les chercheurs ont rapporté une baisse de la mortalité 62 % (p=0,03) [2]. Je ne sais pas si les chiffres de mortalité liée au Covid en Chine sont exacts mais, il est possible que la faible mortalité rapportée comparée à l’Europe et aux USA soit aussi en partie due à cette pratique. Concernant les études, on peut aussi mentionner qu’auparavant, une étude dans le SARS avait aussi montré l’intérêt des corticoïdes. Enfin, une équipe américaine de Détroit a pu publier dans la revue Clinical infectious disease des résultats positifs, similaires aux nôtres (alors que la revue a refusé notre étude).
Plus de 11.500 patients ont été recrutés dans plus de 175 hôpitaux du NHS au Royaume-Uni dans l’essai RECOVERY qui a évalué plusieurs traitements potentiels du Covid-19 dont la dexaméthasone à faibles doses.
Le 8 juin, le recrutement dans le bras dexaméthasone a été interrompu car, de l'avis du comité de l'essai, suffisamment de patients avaient été recrutés pour établir si le médicament avait ou non un bénéfice significatif.
Au total, 2.104 patients ont été randomisés pour recevoir 6 mg de dexaméthasone une fois par jour (par voie orale ou par injection intraveineuse) pendant dix jours et ont été comparés à 4.321 patients randomisés pour recevoir les soins standards.
Il en ressort que la dexaméthasone a réduit les décès d'un tiers chez les patients ventilés (RR= 0,65 [IC 95% 0,48 à 0,88] ; p = 0,0003) et d'un cinquième chez les autres patients recevant uniquement de l'oxygène (RR=0,80 [0,67 à 0,96] ; p = 0,0021). Aucun avantage n’a été observé chez les patients qui n'avaient pas besoin d'assistance respiratoire (RR=1,22 [0,86 à 1,75] ; p = 0,14).
Sur la base de ces résultats, 1 décès pourrait être évité par le traitement de 8 patients ventilés ou de 25 patients oxygéno-dépendants.
Cet article a initialement été publié sur MEDSCAPE.
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