Alors que le nombre de cas d’infections au Covid-19 semble repartir à la hausse et que les Autorités de santé françaises vont se prononcer très prochainement sur la place des nouveaux vaccins, dits bivalents ou de nouvelles générations intégrant le variant Omicron, faut-il dès à présent se mobiliser pour vacciner les Français, et si oui, quelles catégories de population seront prioritaires ?
Avec quels vaccins faudra-t-il les protéger ? Enfin, comment communiquer auprès de la population sur une vaccination qui va probablement – sauf nouveau variant extrêmement mortel – ne plus être « populationnel » mais probablement proposée « au cas par cas ».
Le point de vue du Dr Benjamin Davido , infectiologue et référent Covid-19 à l'hôpital Raymond-Poincaré de Garches, qui se dit inquiet face à « une menace dont on ne parle plus mais qui est toujours là » mais considère que « le contrôle des vagues successives à venir est un défi radicalement différent de ce qui s’est passé avant ». Explications.
On observe une remontée de cas de Covid, comment voyez-vous la rentrée en termes épidémiologiques ?
Dr Benjamin Davido : Nous sommes face aujourd’hui à une situation très particulière qui, sans dire qu’elle m’inquiète, m’alerte. On est passé de 3.500 cas lundi dernier à plus de 10.000 cas ce lundi, ce qui me fait craindre une possible reprise d’une 8e hypothétique vague. On peut toujours dire que l’on a moins testé pendant les vacances, mais je ne pense que cela soit seule explication. Il s’agit probablement d’une reprise épidémique suite à la circulation d’un agent infectieux viral (NDLR : Covid), ce qui est classique à cette période de retour de congés et de brassage des populations inhérents aux vacances et au fait que l’on est moins attentif. Entrer dans une période plus froide va nous conduire à avoir des contacts différents, notamment en intérieur sur la période automnale.
Est-ce le bon timing pour promouvoir à nouveau fortement la vaccination ?
Dr Davido : Selon l’adage qui me tient à cœur « mieux vaut prévenir que guérir », et en tenant compte des éléments de reprise évoqués ci-dessus, on a aujourd’hui des arguments pour s’intéresser fortement à la vaccination. À mon grand désarroi, je trouve que l’on n’anticipe pas assez une vague possible de Covid, qui a été annoncée par de nombreux experts comme une éventuelle 8e vague, voire 9e vague. Et, de même, aucun jalon n’a été posé quant à une vaccination, quelle qu’elle soit, 1ère ou 2e génération, pour appeler à une action de prévention en amont, ce qui est le principe même de la vaccination.
Sans compter que cet été, l’épidémie de variole du singe – qui pourrait bien constituer non pas un épisode isolé mais bien une première vague en partie limitée grâce à une vaccination ciblée – a totalement éclipsé l’épidémie de Covid-19. Alors même qu’elle aurait pu servir de tremplin de communication face au bénéfice de la vaccination en générale, elle a quasi annihilé tout message axé sur la prévention et une future vaccination Covid.
La communication sur la vaccination va-t-elle devoir évoluer ?
Dr Benjamin Davido : Tout-à-fait, il va falloir changer de discours avec l’arrivée des vaccins de 2e génération car il y a un risque que l’ « ancien » vaccin (dirigé contre la souche Wuhan) ne trouve plus preneur. Va-t-on vacciner tout le monde ? Non, je ne crois pas, nous ne sommes pas dans cette situation, sauf si la situation épidémique et/ou un nouveau variant – potentiellement mortel – le justifiait. Aussi, ces nouveaux vaccins ne pourront pas être populationnels, car il est très difficile de vacciner tous les 3-6 mois en termes d’infrastructures et d’acceptabilité.
Y-a-t-il un retard dans la communication sur la vaccination ?
Dr Davido : Contrairement à ce qu’a pu dire le Pr Delfraissy, en janvier dernier, sur le fait qu’il fallait repenser la vaccination car le vaccin contre le Covid était un vaccin thérapeutique, je pense qu’un vaccin reste un vaccin, et qu’il doit être donné préventivement en amont d’une vague épidémique – même si celle-ci reste par définition « hypothétique ». Quand, chaque année, on appelle la population vulnérable des plus de 65 ans et/ou ayant des comorbidités à se faire vacciner contre la grippe, on ne se demande pas s’il existe des prévisions sur la vague de grippe à venir, ou même des indicateurs, on propose systématiquement chaque automne (depuis plusieurs dizaines d’années déjà) de vacciner la population contre cette infection et on sauve des vies. C’est pourquoi je ne comprends pas l’attitude successive des différents ministres de la santé qui, globalement, a consisté à éviter le sujet du rappel vaccinal à la rentrée (ou plus largement de façon régulière) à l’instar de la grippe. De mon point de vue, il faut tout d’abord arrêter de compter, et parler de rappel, et faire en sorte que ce dernier soit adapté le plus possible au variant qui circule.
On est retombé, hélas, dans nos vieux travers du « ce n’est pas assez inquiétant pour qu’on communique », et l’on en oublie le principe même de la prévention en santé publique.
À qui va-t-il falloir proposer un vaccin et lequel, le vaccin original, le vaccin bivalent souche d’origine/BA.1 ou le tout dernier qui cible Omicron BA.4-5 ?
Dr Davido : La question se pose et je n’ai pas aujourd’hui la réponse car personne ne sait quel vaccin va être livré, ni quand. La bonne nouvelle, c’est que l’on sait que l’EMA a validé le 14/09/22 ces nouveaux vaccins dont BA.1 et BA.4-5 et donc cela signifie que l’on devrait obtenir rapidement ces nouveaux vaccins et que l’on se dirige vers une médecine « taylor-cut » (au cas par cas, sur mesure), c’est-à-dire que l’on ne va pas vacciner l’ensemble de la population, et que possiblement les personnes qui seront éligibles ne le seront pas forcément toutes au même vaccin, au même moment (Wuhan, BA.1, BA5 etc.). En revanche, sur le papier, cela s’annonce plus compliqué, car si faire de la médecine au cas par cas est une bonne chose, le principe de base d’une vaccination rapide et efficace, repose, lui, sur une vaccination large avec un seul vaccin.
Que préconisez-vous en pratique aujourd’hui face à un patient vulnérable, de par son âge élevé (plus de 80 ans) et/ou de la présence d’importantes comorbidités ?
Dr Davido : De façon très pragmatique, face à un patient qui aurait plus de 80 ans, institutionnalisé car comorbide, et qui présenterait un retard important sur son calendrier vaccinal (> 6 mois)– aujourd’hui, 49% de la population de plus de 80 ans a reçu une quatrième dose –, ou chez une personne présentant d’importants facteurs de risque et serait donc à risque d’hospitalisation avec une forme grave, je recommanderai de le vacciner dès à présent avec un vaccin dirigé contre la souche Wuhan (vaccins Comirnaty ou SpikeVax disponibles aujourd’hui). C’est une question qui va se poser rapidement si l’épidémie repart. En revanche, pour l’ensemble des personnes qui sont à 1 mois d’un rappel prévu et ayant déjà eu la maladie récemment, et chez qui le risque d’une forme grave est plus faible, je conseillerai d’attendre jusqu’à mi-octobre pour bénéficier d’un nouveau vaccin ARNm « 2.0 », en supposant qu’ils devraient être disponibles à cette date qui correspond usuellement à celle de la vaccination grippale.
Quels messages va-t-il falloir faire passer en termes de communication ?
Dr Davido : Outre les plus de 80 ans, il existe factuellement tout un vivier de population à vacciner après duquel il va falloir communiquer sur l’efficacité et l’intérêt d’une nouvelle dose de rappel (4e dose). Mais aussi faire passer des messages chocs, des messages simples, sur le fait que ces doses de rappel de nouvelle génération devraient également nous permettre d’espacer les injections de rappel à plus de 6 mois.
Quelles sont les prochaines étapes attendues par les médecins ?
Dr Davido : À ce stade, on attend de savoir quand les vaccins de nouvelle génération seront disponibles – sachant que l’Europe a déjà passé une commande –, de savoir quelle est leur composition exacte, puis de connaitre les dates de la mise en place des infrastructures de vaccination. Enfin, on attend des autorités un discours clair et précis sur les bénéfices dans la population à vacciner en priorité.
Dr Davido : Oui, tout-à-fait. C’est une modification du vaccin BA.1 qui, lui, a été testé sur des cas humains et l’autorisation qu’il a obtenu de la FDA et désormais de l’Europe est en quelque sorte une translation de la probation du vaccin BA.1. Des voix se sont élevés contre cette autorisation jugée « excessive » en l’absence de données humaines. Cela ne me parait pas adapté, je considère pour ma part que c’est une prouesse de la part des laboratoires qui ont enfin rattrapé leur retard depuis le variant alpha, bêta et delta.
Va-t-il falloir vivre avec le virus du Covid comme avec celui de la grippe ?
Dr Davido : On peut dire que oui, mais il va falloir faire mieux en termes de vaccination contre le coronavirus qu’avec celle contre la grippe. On estime qu’il y a eu 30.000 morts du Covid depuis janvier 2022 en France, et 1 million dans le monde. C’est 3 fois le nombre de décès dus à la grippe par an mais sur 6 mois consécutifs de l’année, avec un variant Omicron considéré « moins dangereux ». Il faut donc s’inscrire dans des mesures de prévention de façon pérenne, avec notamment la vaccination et le port du masque en cas de forte circulation dans les lieux à haut risque de contamination et les tests/autotests en cas de suspicion d’infection.
En conclusion, êtes-vous optimistes sur notre capacité à gérer les éventuelles prochaines vagues de Covid ?
Dr Davido : Tous les éléments que je viens d’évoquer font que l’on est dans une zone de flottement qui rend les choses compliquées pour s’assurer que l’épidémie du Covid reste complètement sous contrôle. Le paradoxe c’est que dans le même temps, on a l’impression qu’on a, à portée de main, tous les outils pour faire mieux, car plus précis et peut-être plus durable mais qu’on hésite encore à les utiliser. En revanche, si on rate le coche de la vaccination afin de nous protéger des prochaines vagues, alors on risque de perdre la confiance des Français face à une politique de santé publique reposant largement sur la vaccination, et il sera alors difficile de la regagner. Gageons que l’ensemble des prouesses de ces dernières années (test, vaccin et traitement) nous permette à long terme de mieux vivre avec, et implicitement de mieux lutter contre les éventuelles futures menaces/pandémies à venir.
Cet article a été écrit par Stéphanie Lavaud et initialement publié sur Medscape.
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