COVID-19 : à l’heure du confinement, des questions cliniques et éthiques
- Caroline Guignot
- Actualités Médicales
« L’un des enjeux éthiques majeurs dans cette situation (...) est d’engager la société toute entière dans une véritable démarche de responsabilité et de solidarité. (…) Les données scientifiques (...) indiquent que (…) les citoyens opèrent des arbitrages entre la part de liberté qu’ils sont prêts à sacrifier et la sécurité qu’ils pourraient gagner « en échange ». Cette capacité d’arbitrage s’avère cependant assujettie à leur degré de confiance envers les pouvoirs publics ». C’est en ces mots que le Comité Consultatif national d’Ethique (CCNE) évoquait le 13 mars dernier la nécessaire responsabilité citoyenne face à l’enjeu imposé à tous par l’épidémie de COVID-19. Dans sa réponse à la saisine du ministre en charge de la santé et de la solidarité, dédiée aux enjeux éthiques liés à la pandémie de Covid-19, le Comité insistait de fait sur la nécessité d’une « communication transparente et responsable » et « l’importance pour les décideurs de garder en permanence à l’esprit le devoir fondamental d’expliquer et de rendre intelligibles les décisions contraignantes d’urgence en santé publique, dans la mesure où cela conditionnera leur acceptabilité. »
Confinement et mesures sanitaires
C’est ce qu’a tenté de faire hier Emmanuel Macron dans une nouvelle allocution, motivée par la dynamique toujours inquiétante de l’épidémie (1.210 cas et 21 décès en 24 heures) et l’insuffisante prise de conscience des Français. Lundi 16 mars au soir, sans prononcer le mot confinement, mais dans un vocabulaire guerrier maintes fois renouvelé, le chef de l’État a annoncé l’intensification des restrictions imposées aux français, comme attendu.
Des règles strictes ont été prises concernant les regroupements, amicaux et familiaux, ainsi que les déplacements et de maintien à domicile, dès mardi 17 mars à midi, et pour 15 jours au moins : seuls les déplacements indispensables à la vie professionnelle, à la santé, à la pratique d’une activité physique individuelle, aux achats de première nécessité, pour motif familial impérieux, assistance aux personnes vulnérables ou garde d’enfants seront autorisés sur présentation d’une attestation remplie pour chaque sortie. Le non-respect d’une de ces dispositions sera sanctionné par une amende.
Outre les mesures économiques et politiques, le Chef de l’État a précisé un certain nombre de points sur le plan sanitaire :
- Les “masques seront livrés dans les pharmacies dès demain soir dans les 25 départements les plus touchés*, et mercredi pour le reste du territoire national”, jeudi au plus tard, précisait ce matin Olivier Véran sur France Inter.
- Dans la région Grand Est, l’établissement d’un hôpital de campagne du service de santé des armées va être mis en place en Alsace. Près de Mulhouse et Strasbourg, des évacuations et transferts vont débuter, menés par les services de santé des armées vers des hôpitaux situés dans des régions moins concernées.
- Un service minimum de garde est mis en place pour les enfants des personnels mobilisés. Une prise en charge des taxis et hôtels au profit des professionnels de santé est décidée pour les aider dans leur quotidien.
Notons ce matin la réactualisation des informations aux professionnels de santé émises par le Ministère de la santé concernant l’élargissement de la prise en charge de ville des cas de Covid-19, les recommandations de protection pour les personnels de santé et l’arbre décisionnel concernant la prise en charge d'un patient suspect en médecine de ville
De la pratique clinique à l’éthique...
Hier, Emmanuel Hirsch, dans une tribune parue dans Le Figaro, évoquait des dilemmes moraux qui ne manqueraient pas de se présenter face aux patients les plus gravement atteints. Il ajoutait que l’arbitrage des choix en réanimation « au regard de leurs conséquences en termes de vie ou de mort, ne saurait relever de la seule responsabilité des médecins ».
Dans le contexte de tension relative aux ressources sanitaires, qui est déjà extrême dans certains territoires et qui se profile ailleurs, plusieurs questions viennent à se poser aux praticiens, et en premier lieu celle de l’allocation de ressources. Le CCNE insiste sur la nécessité de garantir le respect du principe d’équité à tous. Il précise qu’alors, « les choix médicaux, toujours difficiles, seront guidés par une réflexion éthique qui prendra en compte le respect de la dignité des personnes et le principe d’équité », « la dignité d’une personne [n’étant] pas tributaire de son utilité. »
Aussi le CCNE propose la mise en place d’une « cellule éthique de soutien » pour accompagner les professionnels de santé au plus près de la définition de leurs priorités en matière de soins, notamment concernant « la prise en charge de patients graves, dans les choix de réorganisation des services de santé devant faire face à la gestion de ressources rares (lits de réanimation, ventilation mécanique) ». « Elle pourrait prendre la forme d’une “cellule de soutien éthique” et bénéficier de l’appui des Agences régionales de santé (ARS) et de l’expérience des ERER (Espaces de réflexion éthique régionaux), en s’appuyant sur les groupes d’éthique clinique des CHU », précise le texte.
Inégalités sociales et refus de soins
La crise confrontera aussi le système de santé aux questions des inégalités sociales : « Les conditions de vie et d’emploi, les conditions sanitaires, les conditions de travail (les contrats à durée déterminée moins favorables que les contrats à durée indéterminée), le chômage, l’état de santé et la fragilité des personnes pauvres (14 % de la population vit sous le seuil de pauvreté) entraînent des risques spécifiques et accrus » qu’il convient d’appréhender et de traiter. À ce titre, le CCNE recommandait, sans que cela n’ait été pour l’heure entendu, la présence de « membres de la société civile, notamment issus des milieux associatifs, en capacité de prendre en compte l’avis des différentes catégories de la population vivant en France, notamment les plus précaires », dans l’instance consultée par le ministère de la santé dans sa prise de décisions.
Par ailleurs, dans la nécessité de concilier principe d’autonomie et exigence de solidarité des personnes, les experts du CCNE rappellent qu’« être autonome, c’est être libre avec les autres et non pas contre eux. » Dans une épidémie de cette nature, « une autonomie mal comprise qui se traduirait par un refus de soin [de la part du patient], [et] dont l’effet serait de favoriser la propagation de la maladie, serait difficilement acceptable par la société. Elle devrait s’effacer au nom de la solidarité. »
Les prochains jours permettront d’apprécier si ces mesures auront fait marquer le pas à l’indiscipline d’une partie des Français. « Il est inévitable que certains de ces choix soient cause d’incompréhension, d’insatisfaction ou de contestation », reconnaît le CCNE, soulignant que l’« on ne peut ignorer une certaine attitude de défiance à l’égard de l’expertise, des décideurs politiques comme, parfois, des professionnels de santé. (…). Si les institutions sanitaires, éthiques, démocratiques franchissent cette épreuve, ce n’est pas seulement la défiance aggravant le mal qui sera évitée, mais la confiance au-delà de cette épreuve qui sera renforcée. »
* Dans sa définition des zones d’exposition à risque réactualisée le 16 mars, Santé Publique France liste les départements français dans lesquels la transmission communautaire du virus est établie : Auvergne-Rhône-Alpes (Ain , Ardèche , Drôme , Haute-Savoie, Loire , Rhône), Bourgogne-Franche-Comté (Côte d’Or, Doubs, Haute-Saône, Le Territoire de Belfort, Saône-et-Loire), Bretagne (Morbihan), Corse (Corse-du-Sud, Haute Corse), Grand Est (Bas-Rhin, Haut-Rhin, Meurthe et Moselle, Moselle, Vosges), Hauts-de-France (Aisne, Oise, Somme), Ile-de-France (Toute l’Ile-de-France : Essonne, Hauts-de-Seine, Paris, Seine-Saint-Denis, Seine et Marne, Val d’Oise, Val de Marne et Yvelines).
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