Couteaux dans le dos de la psychiatrie (opinion Dr Otte)
- Dr G. Otte
- Nathalie Barrès
- Actualités Médicales par Medscape
BRUXELLES 18/08 - Il y a cinquante ans, la psychiatrie recevait un premier coup de couteau dans le dos ; le deuxième coup, plus mortel, suivit peu après, en 1973.
Coup n°1 : La liste du président Bush
Le premier coup consistait en une action du « génial » Président Bush qui, surtout pour contrecarrer les citoyens qui protestaient contre la guerre du Vietnam, tenta de restreindre non seulement les opioïdes et les psychostimulants (héroïne, morphine et stimulants tels que la cocaïne, le speed, etc. ) mais aussi « en passant » des substances utilisées dans la culture des étudiants protestataires et les « rebelles » hippies pacifistes, à savoir les psychédéliques (LSD, MDMA et surtout kétamine et psilocibine, DMT, Ibogaïne etc., inscrits dans la culture hippie et l'anti-establishment). Ces substances furent ajoutées à la liste des produits interdits, malgré le fait qu'à l'époque, un grand nombre de rapports mentionnaient déjà leur utilité thérapeutique potentielle dans de nombreux troubles neuropsychiatriques graves tels que céphalées en grappe, TOC, dépressions existentielles, troubles anxieux diffus, toxicomanie, etc. Ce qui était le cadet des soucis de l'honorable Président et de ses conseillers. Quel homme politique se préoccupe réellement de la psychiatrie ?
Coup n°2 : L'expérience de Rosenhan
Un second coup de couteau, bien plus mortel, fut porté par la vénérable « Stanford University » (Californie), où l'école de psychiatrie sociale était florissante (Cf. expérience de Milgram) et où un psychiatre du nom de David Rosenhan conçut l'expérience suivante :
Avec un groupe de huit autres « collaborateurs anonymes », il se fit admettre en tant que patient souffrant de troubles mentaux - chaque participant étant dans une clinique psychiatrique différente. Il fut convenu que tous feraient semblant d'avoir le même symptôme, à savoir des hallucinations auditives sous forme de voix intérieures. Aucun autre symptôme ne pouvait être mentionné et après l'admission, ils feraient disparaître tous les symptômes et se comportaient aussi normalement que possible lors des conversations avec les psychiatres, les psychologues et les infirmières. Sept d'entre eux - malgré leur normalité - furent diagnostiqués schizophrènes et un (l'auteur lui-même) fut décrit comme souffrant de psychose bipolaire. Plus tard, à leur sortie (généralement contre l'avis formulé, et après 9 à 52 jours d'hospitalisation), aucun de ces volontaires « sains » ne fut étiqueté par les psychiatres comme étant guéri mais seulement comme étant « en rémission ».
Une vaste étude fut publiée en 1973, « On being sane in insane places ». Celle-ci rapportait notamment, de façon très détaillée, le nombre de minutes où ils avaient vu un psychologue, un infirmier, un psychiatre ou son assistant, les activités thérapeutiques proposées, les produits psycho-pharmaceutiques administrés, les diagnostics, etc.
L'histoire servit de modèle au film de Jack Nicholson « Vol au-dessus d'un nid de coucou », dans lequel l'inhumanité de la psychiatrie institutionnelle est dépeinte de façon très crue, se concentrant sur l'incompétence fondamentale de la psychiatrie à distinguer des malades mentaux les personnes en parfaite santé mentale.
La réputation des institutions psychiatriques s'est effondrée comme un pudding raté, et l'antipsychiatrie prit un essor rapide avec des ténors très lus tels que Thomas S. Szasz (« The Myth of Mental Illness »), Ronald Laing, Jan Foudraine (« Wie is van hout »). Les unités psychiatriques asilaires furent rapidement et systématiquement fermées. Elles serviraient plus tard de toile de fond à divers films d'horreur qui contribuèrent à leur tour, et pas un peu, à accentuer encore une stigmatisation déjà négative (cc. « Shutter Island », « Asylum » et bien d'autres).
La psychiatrie sur l'échafaud public
Cette exécution de la psychiatrie était-elle justifiée ? Des études récentes jettent un éclairage tout à fait différent sur la publication de Rosenhan et al. Il est clair que lui-même fut le premier à s'écarter de l'accord conclu (une présentation monosymptomatique : uniquement le fait d'entendre des voix) puisqu'il feignit lui-même, en tant que participant, des symptômes tels que la dépression, le taedium vitae, des idées suicidaires, etc.
De plus, la publication entière est basée sur son rapport personnel, et l'on n'a pu retrouver et identifier que deux des huit mystérieux sujets d'étude. On a retrouvé des notes détaillées de ces deux personnes (un ingénieur en informatique et un PDG) de la classe de Rosenhan. L'un d'eux a même rapporté des expériences positives au cours de son hospitalisation, mais ceci fut, bizarrement, censuré par Rosenhan. Se pouvait-il -il qu'une expérience positive ne corresponde pas à son hypothèse négative anti-psychiatrie ?
En outre, une étude des chiffres très détaillés présentés par Rosenhan a montré qu'ici aussi, il y avait beaucoup de matière à contestation, avec plus d'une critique non-négligeable (comme ce serait le cas, entre autres, pour le rapport de la tristement célèbre expérience de Milgram).
Lorsque certains auteurs partent de visions présupposées et d'hypothèses ultérieures, le danger existe (surtout à cette époque où les études et les publications étaient difficiles à contredire et où la « révision par les pairs » n'en était encore qu'à ses débuts) que de nombreuses données soient « amassées » pour arriver là où l'on veut aboutir. Il s'agit hélas d'un phénomène de tous temps, comme ce fut le cas par exemple pour l'étude PACE sur le SFC, pourtant publiée dans la très vénérable revue The Lancet.
Resident evil
Mais le mal était fait. La psychiatrie résidentielle fut étiquetée d'horrifique et de tortionnaire, les asiles furent rapidement démantelés partout dans le monde et fermés parfois du jour au lendemain (Cf. Prof. Basaglia en Italie), avec une sortie massive de tous les patients ; de sorte qu'au lieu d'avoir 5% de patients dans la rue, ce chiffre fut propulsé à la hauteur effrayante de 20%. Par conséquent, des patients psychiatriques chroniques, tels des vagabonds ou sans-abri, se retrouvèrent à la rue, bannis dans des bidonvilles et des ghettos abjects, ou finirent en prison.
Une idéologie sans âme
Les idéologies qui ne tiennent pas compte du sort des individus et des effets humains, surtout lorsque ces initiatives sont renforcées et concrétisées par des motifs politico-économiques (la fermeture des lits résidentiels semble être une mesure d'économie) entrent rapidement dans une zone trouble en termes d'éthique.
Les conséquences sont souvent humiliantes, et l'on peut aussi porter à leur compte un retard de 50 ans dans le domaine de la psychiatrie.
Le phénix psychiatrique
La psychiatrie s'efforce de combler ce fossé de 50 ans. Des éléments et visions efficaces, en psychothérapie dynamique, psychiatrie sociale, psychopharmacologie, neurochirurgie fonctionnelle, neurostimulation non traumatique et en neurosciences doivent à présent collaborer pour rattraper le retard et réaliser enfin ce à quoi les gens ont droit : une psychiatrie performante, accessible mais surtout efficace, dans tous les aspects complexes du modèle bio-psycho-social. C'est aussi une leçon que nous pouvons tirer de cette période de coronavirus.
Qui éclaire la voie ?
La politique reprendra-t-elle le flambeau et soutiendra-t-elle ce mouvement, ou restera-t-on indifférent, le doigt levé, lorsqu'il s'agira d'investir dans la santé mentale ? Le pronostic n'est pas si favorable, car treize condamnations de l'Europe pour des situations inhumaines de patients internés dans les prisons ont à peine suffi à remédier à cette situation. Dans le domaine de la psychiatrie et de la santé mentale, il n'y aura pas de condamnation européenne et nous devons compter sur - ou faire confiance à - l'initiative de ces quelques politiciens consciencieux, qui osent regarder dans le miroir de leur âme et, comme Livinas, y reconnaître les yeux de leurs semblables qui souffrent psychologiquement.
Ils y lisent ce que tous les médecins du monde savent depuis longtemps : il n'y a pas de santé sans santé mentale.
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